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Ce qui est naturel est-il nécessairement une valeur ?

Publié le 01/02/2004

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C'est pourtant, en apparence, quelque peu paradoxal : en effet l'idée même de valeur est culturelle, elle marque l'importance d'un sens, et donc l'intervention de l'homme. Se peut-il alors que la nature elle-même ait une valeur, ou bien est-ce l'intervention de l'homme qui lui confère cette valeur qu'elle n'aurait pas par elle-même ? La valeur de la nature est-elle quelque chose de donné ou quelque chose de construit ?I - Une valeur intrinsèque de la nature ?a) Que vaut la nature en soi ? Si on la considère au sens propre, ce n'est peut-être pas une bonne question à poser pour la nature. Si la nature est un ensemble de phénomènes soumis à des lois, quelle est leur valeur en eux-mêmes ? L'eau qui coule du torrent ou la chaleur du soleil peuvent éventuellement avoir ce que les économistes appellent une « valeur d'usage » : cette eau et ce soleil me servent à boire et à avoir moins froid. Mais nombre de phénomènes naturels ne sauraient représenter, d'un point de vue intéressé ou non, une valeur pour nous. Or l'adverbe « nécessairement », dans le libellé du sujet, nous oriente vers la recherche d'une relation universelle, systématique et qui ne souffre pas d'exceptions.

« I - Une valeur intrinsèque de la nature ? a) Que vaut la nature en soi ? Si on la considère au sens propre, ce n'est peut-être pas une bonne question à poserpour la nature.

Si la nature est un ensemble de phénomènes soumis à des lois, quelle est leur valeur en eux-mêmes? L'eau qui coule du torrent ou la chaleur du soleil peuvent éventuellement avoir ce que les économistes appellentune « valeur d'usage » : cette eau et ce soleil me servent à boire et à avoir moins froid.

Mais nombre dephénomènes naturels ne sauraient représenter, d'un point de vue intéressé ou non, une valeur pour nous.

Orl'adverbe « nécessairement », dans le libellé du sujet, nous oriente vers la recherche d'une relation universelle,systématique et qui ne souffre pas d'exceptions.Il faut donc, pour chercher cette relation, sortir la notion de valeur du domaine du quantifiable : si la valeur sedéfinit comme l'importance d'un sens, alors on peut trouver une valeur à la nature, et même ériger un modèle naturelpour « vivre selon la nature ».b) Ainsi Calliclès veut-il, dans le Gorgias de Platon, s'en tenir à ce qui est « juste selon la nature », c'est-à-dire aupur règne de la force et du surhomme, qui s'adonne tout entier à sa passion de jouir toujours plus (voir, dans lecours, première partie, II).

Mais ce modèle naturel doit être suspecté, car rien ne dit que l'idée d'avoir toujours plus(la pléonexia grecque) soit quelque chose de naturel.

De même, quoique dans un tout autre genre, on retrouve denos jours l'idée de vivre selon la nature, dans l'écologie, la macrobiotique ou l'alimentation végétarienne : cescomportements prennent toute leur valeur aux yeux de leurs adeptes dans la mesure où ils se prévalent du label dela nature, même si la nature en question incarne fortement un pur fantasme culturel.

Le mouvement issu des annéessoixante a voulu « désinhiber » notre rapport à la nature : c'est là non pas supprimer la culture, mais en changer.L'exemple du naturisme, qui veut proclamer sa valeur naturelle en formant son vocable à partir du mot « nature »,est révélateur : en effet la nudité n'est en rien rapport à la nature, elle est une attitude culturelle qui ne peutconcerner que l'homme : les autres animaux ne sont, eux, ni nus, ni habillés.c) La notion de nature n'a alors de valeur que dans la mesure où on projette sur elle, où on lui fait incarner de force,un certain nombre d'options culturelles.

Ainsi traitée, l'idée de nature devient une idiosyncrasie*, c'est-à-dire uncomposé porteur de toutes sortes de valeurs, mais qui n'a plus rien de naturel au sens propre du mot.

Dans Par-delàbien et mal, Nietzsche fait un sort à ce type d'idiosyncrasie : « Vous voulez vivre "en accord avec la nature" ? Onobles stoïciens, comme vous vous payez de mots ! [...] Votre orgueil entend régenter jusqu'à la nature et luiinculquer votre morale et votre idéal » (§9).

La dénonciation est claire : l'emploi du mot « nature », la référence à lanature sont ici des impostures qui ne cachent qu'un orgueil déplacé : la valeur de la nature ne vient alors que denous, qui ressentons le besoin d'invoquer le label naturel comme un justificatif. II — La valeur opératoire de l'idée de nature a) La notion de nature, vidée de son sens, prend alors une valeur opératoire : elle devient un instrument, unenorme, quitte à être vide et introuvable.

Dans l'entreprise de Rousseau, par exemple, l'idée d'une nature favorable et satisfaisant tous les besoins n'est guère cohérente d'un point de vuescientifique : mais précisément, ce n'est pas là sa vocation ni son rôle (voir,dans le cours, le III de la première partie).

L'état de nature chez Rousseauest une hypothèse méthodologique qui permet de penser un état social queRousseau veut pouvoir critiquer.

La valeur de l'idée de nature est alorsopératoire et normative.

Plus largement, l'appel à la notion de nature estsouvent révélateur de la recherche d'une caution, et l'emploi courant del'adjectif « naturel » en est l'illustration : quand nous disons d'une chosequ'elle s'est passée de façon naturelle, nous voulons souligner satransparence, son caractère acceptable ; quand nous invoquons notre «nature » ou notre « pente naturelle », nous désignons la nature comme unecause implacable et donc comme une excuse : l'idée de nature fonctionnealors comme un secours ou une justification, ce qui la transforme en uneculture qui ne veut pas dire son nom et qui ne s'engage pas.b) On peut aller ici jusqu'à retourner l'énoncé, pour répondre que c'estprécisément ce qui a une valeur pour nous que nous avons tendance àappeler « naturel », comme pour nous excuser de décerner des valeurs etd'être intéressé : la nature ainsi comprise est le paravent de la culture, ellen'a de valeur que comme construction culturelle.

Ainsi la phrase « c'est toutnaturel », que je peux rétorquer à celui qui me remercie de lui avoir tenu laporte, signifie-t-elle en réalité : « c'est tout culturel ».

On peut alors parlerd'un fétichisme de la notion de nature ; peut se définir en effet commeattitude fétichiste toute attitude qui consiste à conférer une valeur à une chose, à incarner cette valeur dans cettechose.

Donner cette valeur opératoire à la nature, construire cette idée de la nature comme fonds de justificationuniverselle relève donc bien d'un fétichisme, qui consiste peut-être à confondre la notion de nature avec celle devie : « Et à supposer que votre maxime "vivre en accord avec la nature" signifie au fond "vivre en accord avec lavie", comment pourrait-il en être autrement ? » (Nietzsche, Par-delà bien et mal). Conclusion Seul ce qui est culturel peut avoir une valeur : la nature ne prend donc de valeur qu'en tant que constructionculturelle.. »

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