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« En quoi Phèdre et Antigone sont-elles des héroïnes tragiques ? »

Publié le 19/09/2010

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antigone

 

I) UNE EXISTENCE CONTRARIEE : LA FATALITE ET LE CONFLIT

 

A) Des héroïnes soumises à la fatalité :

 

Tout d’abord, Phèdre et Antigone sont soumises à la fatalité et sont au cœur d’un conflit existentiel. Par sa nature même, Antigone, comme toute héroïne tragique, est promise à la mort. La fatalité la conduira inéluctablement et nécessairement à sa perte. Le héros tragique illustre en effet ce combat désespéré que mène un homme contre des forces qui le dépassent, qui l’écrasent et qui finissent par le tuer. Ainsi la fatalité au départ s’inscrit-elle  nécessairement dans la continuité : les enfants meurent de la même malédiction que leurs parents : le passé d’Antigone est d’ailleurs jalonné de morts. Mais chez Phèdre qui est une tragédie classique l’héroïne semble, plus encore que dans les tragédies contemporaines, victime d’une malédiction divine. Ainsi Pasiphaé la mère de Phèdre est-elle déjà punie par Vénus qui la condamne à des amours, à des pulsions monstrueuses. Le Minotaure naîtra donc de l’union horrifiante de Pasiphaé avec un taureau. Antigone par exemple semble moins condamnée à mourir qu’à être elle même. Ce qui tue Antigone c’est moins ce qu ‘elle ressent que ce qu’elle est : la fille d’Œdipe. D’ailleurs Créon lui dit : « Orgueilleuse ! Petite Œdipe ! « Elle meurt parce qu’elle ne parvient pas à sortir d’elle même, à être quelqu’un d’autre. A trop vouloir être elle-même, à ne vouloir ressembler à personne elle n’a plus rien à faire sur cette Terre qui est d’abord faite pour les vivants. Phèdre est elle aussi promise à la mort mais elle meurt moins pour les valeurs qu’elle incarne qu’à cause de ce qu’elle ressent. Le sentiment qui hante Phèdre, qui la possède jusqu’à la maîtriser complètement, est l’amour le plus interdit, le plus rédhibitoire de tous, l’amour incestueux qu’elle éprouve pour Hippolyte le fils de son propre époux. Elle est comme possédée, sous l’influence de forces mystérieuses et supérieures. Elle se dit elle-même « l’objet infortuné des vengeances célestes « (acte II,5). Elle n’agit pas en son âme et conscience, elle n’est « ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente «. Elle constate seulement l’impuissance de son libre arbitre et les Dieux apparaissent responsables de son malheur :  « Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle/ de séduire le cœur d’une faible mortelle «. 

 

B) Des personnages en conflit 

 

De plus, le héros tragique est en général un adepte du « tout ou rien « et se place par là même dans une relation conflictuelle avec le monde ou avec lui-même. Ainsi Antigone et Phèdre sont des héroïnes tragiques car elles vivent un conflit, que ce soit un conflit avec d’autres personnages ou un conflit intérieur. Antigone est par exemple en désaccord permanent avec le monde, avec la réalité qui l’entoure. Ce désaccord s’incarne dans sa confrontation avec Créon : « Je suis là pour vous dire non et pour mourir «. Elle veut tout ou rien et est tellement entière qu’elle en devient absurde : « Moi je veux tout, tout de suite et que ce soit entier ou alors je refuse «. Elle est dans une conception du bonheur et même de la vie totalement utopique, imaginaire. Elle exige un bonheur entier, exigeant, total, absolu, sans compromis, sans concessions, elle veut un monde à son image, un monde qui lui ressemble : « moi je ne veux pas être modeste«. « Moi je veux être sûre de tout aujourd’hui, et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite ou mourir «. C’est cette démesure, cette hybris qui condamne Antigone comme de nombreux héros de tragédies à la mort. Antigone l’idéaliste veut un monde parfait et comme l’existence ne peut être « tout «, elle est réduite à n’être « rien «. Phèdre quant à elle vit d’abord un conflit intérieur qui se fait véritable déchirure : sa morale lutte contre l’amour incestueux qu’elle ressent pour son beau-fils, Hippolyte. Pourtant dans les actes il n’y a pas d’inceste. De plus, quand Phèdre se déclare, elle se croit veuve de Thésée, ce qui annule tout lien de parenté avec Hippolyte. Mais Phèdre est déchirée entre les bienséances et le caractère irrationnel de cette passion fatale. Ainsi elle exhorte Hippolyte à la châtier : « Venge toi. Punis moi d’un odieux amour «.L’oxymore révèle la lucidité et l’impuissance de cette femme amoureuse. Elle avoue ses sentiments mais aussi la culpabilité qu’elle ressent (acte II scène 5) : « Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, / Innocente à mes yeux je m’approuve moi-même «. Et ce conflit intérieur prive l’héroïne tragique de sa propre existence.

 

II) LE HEROS TRAGIQUE :UN ETRE SINGULIER ET EN SOUFFRANCE QUI NE PEUT EXISTER DANS CE MONDE :

 

A) Des personnages seuls, isolés car différents

 

Mais ces deux personnages, Phèdre comme Antigone sont des personnages très complexes et différents des autres, par leur destin certes mais aussi et surtout par leur façon de penser. Ils se sentent différents qu’ils le revendiquent comme Antigone ou qu’au contraire ils le subissent comme Phèdre. De cette différence découle le fait qu’ils sont incompris, qu’ils semblent maudits et qu’ils sont enfermés dans une vie faite de souffrance et de malheur. C’est en effet cette singularité qui pousse le héros tragique à plonger dans l’hybris, dans la démesure. C’est cette démesure qui les entraîne à transgresser un interdit de quelle que nature qu’il soit. Le héros tragique est différent toujours déjà parce qu’il a d’excessif. Ainsi Antigone transgresse-t-elle un interdit d’ordre politique en s’opposant au roi pour enterrer son frère. Elle mourra pour s’être « dress[ée] seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle qui est le roi «. Tout le monde ressemble un peu à Antigone mais le peu on l’a dit n’est pas le héros tragique, il est tout. Cette singularité, cette volonté irrationnelle d’être autre, d’être différente à tout prix c’est cela qui fatalement tuera Antigone.  Phèdre est elle aussi frappée de cette différence, différence qui est l’un des points communs à tous les héros tragiques. Elle commet, si l’on peut dire, un crime plus grave puisqu’elle transgresse un interdit moral, un interdit familial, celui de l’inceste. Ce qui caractérise en outre cet amour interdit, cet amour « monstrueux « c’est son extrême intensité. La passion de Phèdre est hyperbolique, elle devient « fureur « c’est à dire folie amoureuse. A tout vivre dans l’excès, à tout ressentir de manière démesurée, hyperbolique, le héros tragique se condamne à la mort. Sans cette hybris le héros tragique pourrait sans doute survivre car il pourrait être compris des autres et ainsi être sauvé. Mais le veut-il vraiment ? Antigone semble refuser toute l’aide qu’on lui propose, elle repousse Créon, Ismène et Hémon son fiancé. Elle s’isole elle-même en s’éloignant progressivement de tous ceux qui la rattachaient à la vie. Elle n’est pas seulement seule elle est solitaire. L’impossibilité à communiquer, à échanger est remarquable dans l’œuvre d’Anouilh. Ce manque de communication enferme Antigone dans sa solitude et renforce sa dimension tragique. 

 

B) Des personnages en souffrance

 

           Ainsi, les héroïnes tragiques sont condamnées à une vie tourmentée, à une vie de souffrance. Phèdre est victime de l’amour présenté comme un « poison «, un « mal « au sens de maladie qui se propage dans « tout [s]on sang «.Ainsi du début à la fin de la pièce, elle apparaît souffrante : « d’un incurable amour, remèdes impuissants ! «. Alors à défaut d’en guérir Phèdre cherche à cacher au monde son terrible secret. Et le secret est un mal qui ronge les héros tragiques en général. Mais le silence douloureux de Phèdre ne fait pas taire sa douleur ni sa passion qui éclate malgré elle au grand jour. La honte et la culpabilité la rongent, la détruisent surtout une fois que cet amour a provoqué la mort d’Hippolyte.

 

C) La mort comme une délivrance

 

Finalement le héros tragique traverse ainsi, marginal et isolé, la tragédie et cette existence qui ne semble pas faite pour lui. Antigone meurt pour rien, pour se rester fidèle jusqu’au bout. Elle dit « non « par opposition au « oui «. Quand Créon après avoir longuement tenté de la raisonner finit par la faire arrêter, Antigone s’écrie : « Enfin, Créon ! «. Les didascalies précisent même qu’elle le fait « dans un grand cri soulagé «. Le Chœur évoque la mort d’Antigone comme l’élément de résolution : « Antigone est calmée maintenant, nous ne saurons jamais de quelle fièvre «. Ainsi, la mort prend en quelque sorte une valeur positive. En outre, elle est parfois recherchée et même provoquée comme chez Phèdre qui se suicide. La mort devient un aboutissement, une échappatoire, une forme de liberté nouvelle qui délivre le héros tragique à la fois du monde et de lui-même. Phèdre met un terme à sa souffrance et expie ses fautes par la mort. Chez Antigone même si elle se suicide aussi en un sens (puisqu’elle provoque sa propre mort) les choses sont plus complexes puisqu’elle avoue au garde : « Je réalise seulement maintenant combien c’était simple de vivre «. Le désespoir conditionne la tragédie puisque la lutte du personnage est par essence désespérée. Selon Anouilh dans la tragédie l’issue réside dans le désespoir, il faut réaliser l’inutilité de la révolte, du combat contre soi ou contre les autres. C’est l’acceptation qui soulage le héros tragique.

 

Conclusion :

 

le héros semble en inadéquation avec le monde il provoque peut-être sa propre fin alors finalement les plus tragiques, les plus pathétiques ne seraient-ils pas les autres personnages de la tragédie victimes des excès et des imperfections du héros tragique tels que Hémon, Eurydice dans la pièce d’Anouilh ou Hippolyte dans la pièce de Racine? Antigone et Phèdre sont donc bien des héroïnes tragiques même si elles témoignent aussi de leur époque plus ou moins modernes. En effet Anouilh propose par l’intermédiaire de sa tragédie une réflexion existentielle sur le destin et sur le libre arbitre qui peut s’avérer fort enrichissante pour qui sait, pour qui veut la déchiffrer..

 

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