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Racine, dans sa Préface de Phèdre, écrit que le caractère de son héroïne est peut-être ce qu'il a "mis de plus raisonnable sur le théâtre". Commentez d'après ce que vous savez de Phèdre, de Racine et de l'idéal classique. ?

Publié le 05/04/2009

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racine
Poser tout de suite le paradoxe de la formule : le jour où Racine crée l'héroïne la plus« osée « de son théâtre, la plus moderne et la plus troublante (on Ta souvent rapprochée des héroïnes de Mauriac), ce jour-là Racine se défend en disant que cette héroïne est peut-être ce qu'il a mis de plus raisonnable sur le théâtre «. Eliminons naturellement l'interprétation à grossier contresens qui consisterait à croire que Racine justifie son héroïne et trouve « raisonnable « tout ce qu'elle fait! Ce qu'il veut dire, c'est qu'elle agit conformément à ce qu'on pourrait attendre de tout personnage de tragédie placé dans une situation identique, avec un caractère analogue. La « raison « est donc en l'occurrence une sorte de logique interne des sentiments dans un genre déterminé, conformément à certaines traditions d'art.
  •  I La « raison « = lois du genre
 Si nous étudions le contexte de notre citation dans la Préface de Phèdre (cf. XVIIe Siècle, p. 307), il apparaît que Racine pense surtout aux traditions esthétiques et littéraires.  1 L'imitation des Anciens. Racine déclare que Phèdre est raisonnable d'abord parce que c'est un caractère qu'il a emprunté à Euripide (idée qui du reste devrait être fortement nuancée, mais là n'est pas la question). Il doit d'ailleurs aussi en réalité à Sénèque, à Garnier. De toutes façons, et même s'il assimile et transforme ses emprunts, il y a « raison « parce qu'il y a conformité à une tradition d'art.

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« la conscience de la voie unique en art. III Dangers et déviations Racine, sous prétexte de valeur universelle, de vraisemblance, etc., ne fait malgré tout pas, ou ne fait que peu, deconcessions à son public, n'affadit pas sa peinture, reste le dramaturge hardi des situations osées.

Mais l'accentqu'il met sur le « raisonnable » sera dangereux pour ses successeurs au génie moins évident. 1 La raison devient l'académisme.

Chez ces successeurs notamment la raison devient un « académisme » quirecueille pieusement les lois de l'art classique, mais sans en garder la force et l'énergie.

Art « raisonnable » que lestragédies de Voltaire ou de Ducis, mais application souvent formelle des lois du genre, lois vides, lois dont l'ensembledevient le « goût ». 2 La raison devient le goût.

Poussant en effet un peu trop loin le respect du public qu'impliquait déjà l'idéal de la «vraisemblance », la « raison » devient volontiers refus de choquer, sens des convenances, en un mot « goût » ou «bon goût ».

Déjà dans la Préface de Phèdre, il y a des traces de ce « bon goût », aux exigences un peu étroites.C'est ainsi qu'une nourrice peut calomnier: « Cette bassesse m'a paru plus convenable aune nourrice, qui pouvaitavoir des intentions plus serviles.

» Sans doute Racine n'applique-t-il pas dans sa tragédie cette naïve hiérarchie oùmoralité et rang social se confondent : dans Phèdre Œnone représente moins la servilité que la tentation, mais queldanger dans le principe! Quand, sous prétexte de raison, on éliminera tout ce qui choque, quand une princesse nepourra plus avoir que des sentiments nobles et vertueux, quand on refusera, comme le fait déjà Racine dans laPréface d'Iphigénie, de souiller « la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimablequ'il fallait représenter Iphigénie », et quand, par-dessus le marché, on n'aura pas la puissance de Racine, on auradéfinitivement vidé la tragédie classique de ses forces. 3 La raison devient l'abstraction.

Pour éviter de heurter le goût, pour rester « raisonnable », un caractère tragiquen'aura plus guère comme ressource que d'être un pâle schéma de forces psychologiques tout abstraites : Zaïre,dans la tragédie de Voltaire qui porte ce nom.

c'est la jeune fille née chrétienne, élevée dans l'Islam et que, pourson malheur, sa foi reprend au moment de se marier; Orosmane, c'est le « despote éclairé-, mais qui malgré ses »lumières » garde l'empreinte de sa « sauvagerie » orientale native (cf.

XVIIIe Siècle, p.

107).

Ainsi «raisonnablement » peut-on définir ces héros dans des formules qui les contiennent tout entiers ou à peu près.

C'estle triomphe de la raison, mais c'est la mort de la vie.

Toute la réaction romantique se définira contre cet art qui,pour vouloir imposer un ordre esthétique au réel, aura totalement perdu de vue ce réel. Conclusion Leçon de Racine, la même que celle de Boileau: «Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux/Qui, par l'art imité,ne puisse plaire aux yeux ».

En d'autres termes, on peut peindre les caractères les plus troubles et les plus obscurssuivant un ordre artistique dont l'écrivain reste le maître : Phèdre est peut-être ce que Racine a mis de plus «raisonnable » sur le théâtre.

Mais toute la difficulté ce sera de garder la « raison » sans perdre la vie, de ne pasoublier que tout le problème d'un art classique est justement de conserver toute la vie, les serpents et lesmonstres, dans le réseau serré et intelligent d'un art ordonné.

La faiblesse de la tragédie pseudo-classique sera decroire que cet ordre nécessite l'élimination des serpents et des monstres.

Ceux-ci se vengeront en voulant, avec leromantisme, non seulement redevenir la matière de la littérature, mais aussi lui faire la loi.. »

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