Devoir de Philosophie

La raison ne se connaît pas encore.

Publié le 11/05/2011

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Destouches démontre le théorème suivant : « Si l'on a construit deux théories physiques, on a la possibilité de construire une théorie qui les englobe ou les unifie. « Poincaré démontre le théorème suivant : « Si un phénomène comporte une explication mécanique complète, il en comportera une infinité d'autres qui rendront également bien compte de toutes les particularités révélées par l'expérience «... Sous une forme élémentaire, on peut remarquer la différence vraiment essentielle des théorèmes philosophiques de Poincaré et de Destouches par la double formule : Pour Poincaré, il s'agit de dire autrement la même chose. Pour Destouches, il s'agit de dire de la même façon autre chose. De l'un à l'autre, on passe de la philosophie du comme si à la philosophie du non, on passe d'une épistémologie déductive et analytique à une épistémologie inductive et synthétique. La synthèse vraiment logique de deux théories primitivement inconciliables et qui n'ont, comme garantie de validité, que leur cohérence intrinsèque, réclame des modifications spirituelles profondes. Destouches place la pensée scientifique contemporaine devant un dilemme : ou bien l'on gardera l'unité spirituelle et l'on tiendra pour contradictoires des théories divergentes en ayant confiance en un avenir qui décidera qu'au moins une des deux théories opposées était fausse — ou bien l'on unifiera les théories opposées en modifiant convenablement les règles de raisonnement élémentaires qui paraissent solidaires d'une structure invariable et fondamentale de l'esprit. Tout philosophe se récriera devant un tel dilemme; il dira que la pensée scientifique n'est qu'un bien petit côté de la vie de l'esprit, que les lois psychologiques ne peuvent être modifiées par un usage restreint, particulier, éphémère des efforts de connaissance; il n'hésitera pas à sacrifier toutes les théories physiques pour maintenir intactes les règles univoques, prédicatives, rationnelles du raisonnement. C'est cependant dans le sens inverse que Destouches résout le dilemme et il semble bien que ce soit le choix raisonnable. En effet, les organisations théoriques qui se heurtent dans la microphysique ne sont pas de vaines conceptions; ce sont des conceptions qui se vérifiaient toutes dans la physique classique. Par exemple, la conception d'un corpuscule permettait de développer une mécanique qu'on appelait à juste titre rationnelle; de même la conception d'un éther continu qui transmettait des ondes lumineuses permettait de traiter à fond mathématiquement dans tous les détails du phénomène le problème des interférences. ... Dire qu'il y a un domaine où les conceptions corpusculaires et ondulatoires se heurtent, c'est ruiner leur double triomphe initial. Corrélativement c'est avouer que les méthodes de raisonnement qui les laissaient dans une coopération sans trouble étaient insuffisantes ou mauvaises. Il faut donc souder les conceptions corpusculaires et les conceptions ondulatoires dans leurs applications les plus fines. Si la soudure est bien faite, si elle est faite par les moyens de la philosophie du non, on verra ensuite assez facilement pourquoi les deux conceptions ne se heurtaient pas dans leurs applications grossières. Mais cette union des théories opposées ne peut se faire qu'en modifiant des méthodes de raisonnement élémentaires qu'on estimait naturelles parce qu'on ne les développait pas. Pour que la connaissance ait toute son efficacité, il faut maintenant que l'esprit se transforme. Il faut qu'il se transforme dans ses racines pour pouvoir assimiler dans ses bourgeons. Les conditions mêmes de l'unité de la vie de l'esprit imposent une variation dans la vie de l'esprit, une mutation humaine profonde. En somme la science instruit la raison. La raison doit obéir à la science, à la science la plus évoluée, à la science évoluante. BACHELARD.

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