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LA RAISON. LES LUMIÈRES AU XVIIIe siècle

Publié le 28/06/2011

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Pour les croyants, la raison était une étincelle divine, une parcelle de vérité concédée aux créatures mortelles, en attendant le jour où elles franchiraient les portes du tombeau, et où elles verraient Dieu face à face. Pour les nouveaux venus, ce ne seront là que les chimères d'une époque révolue et d'un moment dépassé. Comme dans sa définition du bonheur, la pensée européenne commence ici par un acte d'humilité, lequel sera vite suivi d'un acte d'orgueil; mais son premier décret contient l'annonce d'un sacrifice. Elle s'avoue incapable de connaître la substance et l'essence, situées dans une région inaccessible à ses prises. Assez longtemps, proclame-t-elle, les hommes ont accumulé des systèmes qui tour à tour ont péri, explications chaque fois définitives et chaque fois illusoires. Jeu de fous, que de s'évertuer à franchir des barrières posées comme infranchissables; jeu dangereux.

« carte du Tendre par celle de la Félicité; au théâtre, on pouvait voir jouer l'Heureux, pièce philosophique en troisactes et en prose.

Il y avait un Ordre de la Félicité parmi les sociétés secrètes, et dans ses assemblées, on chantaitdes couplets comme ceux-ci : L'île de la FélicitéN'est pas une chimère;C'est où règne la voluptéEt de l'amour la mère;Frères, courons, parcouronsTous les flots de Cythère,Et nous la trouverons. « Le bonheur », écrivait Mme de Puisieux en peignant les caractères de ses contemporains, « est une boule aprèslaquelle nous courons quand elle roule, et que nous poussons du pied quand elle s'arrête...

On est bien las quand onse résout à se reposer, et à laisser aller la boule...

» On n'était jamais las, à en croire Montesquieu : « Monsieur de Maupertuis, quia cru toute sa vie et qui peut-être a prouvé qu'il n'était point heureux, vient de publier un petit écrit sur le bonheur.»L'époque était obsédée par quelques idées fixes.

Elle ne se fatiguait pas de les reprendre; avec prédilection, ellerevenait aux mêmes formules, aux mêmes développements, comme si jamais elle n'était sûre d'avoir suffisammentprouvé, suffisamment convaincu.

Nous la voyons ici dans une de ses attitudes favorites, et dans un de sesacharnements.

Les guerres ne cessaient pas : guerre de la succession d'Espagne, guerre de la successiond'Autriche, guerre de Sept Ans; guerre dans le proche Orient, guerre portée jusqu'au Nouveau Monde.

De temps entemps, la peste ou la famine venaient ravager quelques provinces; partout on souffrait, comme d'ordinaire.Cependant l'Europe intellectuelle voulait se persuader qu'elle vivait dans le meilleur des mondes possibles; et ladoctrine de l'optimisme était son grand recours. C'est l'histoire éternelle d'une éternelle illusion...— Non pas.

Il y a des époques désespérées.

Il y a des époques douloureuses, qui n'oseraient afficher cetteexigence, parce qu'elle leur semblerait dérision; qui ont été si profondément atteintes dans leur esprit et dans leurchair, qu'elles osent à peine croire à des lendemains meilleurs, et qui savent qu'elles portent en elles toute la misèredu monde.

Il y a des époques de foi, qui, ayant constaté notre irrémédiable misère, mettent leur confiance dans unAu-delà dont elles attendent justice : celles-là parient sur l'infini.Le bonheur, tel que l'ont conçu les rationaux du XVIIIe siècle, a eu des caractères qui n'ont appartenu qu'à lui.Bonheur immédiat : aujourd'hui, tout de suite, étaient les mots qui comptaient; demain semblait déjà tardif à cetteimpatience; demain pouvait à la rigueur apporter un complément, demain continuerait la tâche commencée ; maisdemain ne donnerait pas le signal d'une transmutation.

Bonheur qui était moins un don qu'une conquête; bonheurvolontaire.

Bonheur dans les composantes duquel ne devait entrer aucun élément tragique : Beruhigung derMenschen que l'humanité se tranquillise! que cessent les troubles, les incertitudes et les angoisses! Rassurez-vous.Vous êtes dans une aimable prairie entourée de bosquets, traversée par des ruisseaux d'argent, et qui ressembleaux jardins de l'Eden : vous refusez de la voir.

Une odeur exquise s'échappe des fleurs : vous refusez de la sentir.Des lys éclatants, des fruits délicieux s'offrent à vous : vous refusez de les cueillir.

Si vous allez vers un rosier, vousvous arrangez pour être déchiré par ses épines; si vous traversez le gazon, c'est pour courir après le serpent quifuit.

Là-dessus vous poussez des soupirs, vous vous lamentez, vous dites que l'univers est conjuré contre vous, etqu'il vaudrait mieux que vous ne fussiez jamais né.

Vous n'êtes qu'un insensé, et vous causez vous-même votremalheur.

— Ou bien vous vous plaisez à évoquer un spectre, une effroyable déesse : elle est habillée de noir, sapeau est plissée de mille rides, son teint est livide, et ses regards pleins de terreur; ses mains sont armées defouets et de scorpions.

Vous écoutez sa voix ; elle vous conseille de vous détourner des attraits d'un mondetrompeur, elle vous dit que la joie n'est pas le lot de l'espèce humaine, que vous êtes né pour souffrir et pour êtremaudit, que toutes les créatures souffrent sous les étoiles.

Alors vous demandez à mourir.

Mais ne savez-vous pasque c'est la Superstition qui vous parle ainsi, fille de l'Inquiétude, et qui a comme suivantes la Crainte et le Souci ?La terre est trop belle pour que la Providence l'ait destinée à être un séjour de douleur.

Refuser de jouir desbienfaits que l'auteur des choses a préparés pour vous, c'est faire preuve d'ignorance et de perversité.Rien de commun avec le bonheur des mystiques, qui ne tendaient à rien de moins qu'à se fondre en Dieu; avec lebonheur d'un Fénelon, qui se sentait l'âme plus sûre et plus simple que celle d'un petit enfant, quand en pensée ilrejoignait le Père; avec le bonheur d'un Bossuet, douceur de se sentir commandé par le dogme et conduit parl'église, certitude de compter un jour parmi les élus qui figurent à la droite du Saint des Saints; avec le bonheur desjustes qui acceptaient l'obéissance à la loi et espéraient la récompense qui ne finirait plus ; avec le bonheur dessimples abîmés dans leur prière; avec les béatitudes...Des béatitudes, avant-goût du ciel, ceux qui remplaçaient les anciens maîtres ne se souciaient plus; un bonheurterrestre, voilà ce qu'ils voulaient,Leur bonheur était une certaine façon de se contenter du possible, sans prétendre à l'absolu; un bonheur demédiocrité, de juste milieu, qui excluait le gain total, de peur d'une perte totale; l'acte d'hommes qui prenaient. »

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