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LA RÉALITÉ

Publié le 04/10/2010

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La notion de réalité s'offre dans un nombre considérable d'expressions qui témoignent d'abord de son extraordinaire polyvalence : on parle de la réalité en général, mais aussi de la réalité d'un fait, d'une théorie, d'un rêve, d'une hallucination, pour signifier l'ensemble des choses qui possèdent une existence objective, ainsi que l'être véritable des choses. Une double acception se fait jour : la réalité comme totalité synthétique des différentes réalités; le caractère de ce qui est réel, actuel, donné, par opposition à l'invention, l'illusion, l'apparence, la fiction, le rêve. Toutefois, si la réalité désigne un type d'existence caractérisé par la permanence, la fiabilité, la limitation, s'imposant et résistant à ceux qui tentent de l'oublier ou de la nier (contrairement à l'apparence qu'on peut justement faire disparaître ou qui disparaît d'elle-même), l'objectivité ne semble pas être le seul attribut de la réalité : une chose peut être réelle pour moi sans pour autant avoir une existence concrète, scientifiquement avérée (la réalité du délire psychotique, par exemple). L'idée de réalité ne se confond pas non plus avec celle de fait, dans la mesure où la première résulte d'une démarche de rectification d'une erreur, par distinction d'avec la croyance, le préjugé ou le raisonnement abstrait. La réalité peut alors jouer le rôle d'une norme sur laquelle la connaissance doit s'étayer, si cette dernière souhaite prétendre à une certaine légitimité. L'idée de réalité nous renvoie tout droit du côté d'une problématique à la fois ontologique et épistémologique qui se double d'une perspective éthique : se demander s'il existe une réalité en soi, indépendante du sujet ou de l'esprit qui la conçoit, revient non seulement à s'interroger sur le fondement de la connaissance et des représentations, mais aussi sur le sens qu'il convient de conférer à l'existence humaine. Car selon le statut que l'on accorde à la réalité – simple illusion, construction de l'esprit humain, absolu, etc. – découlent des attitudes et des projets philosophiques radicalement différents. La sagesse consiste-t-elle ainsi à rechercher un modèle dans un au-delà caché ou inaccessible, considéré comme l'authentique réalité ? Faut-il parler de la réalité ou bien de réalités multiples et hétérogènes ? S'il n'existe qu'une seule réalité, accessible par la connaissance, quelle est la nature de cette réalité ? Est-elle irréelle ou simplement inintelligible ? La réalité souffre-t-elle d'une insuffisance intrinsèque qui justifierait que l'on cherche " hors du réel le secret de ce réel même " (Clément Rosset, Le principe de cruauté, p. 13) ? Convient-il, au contraire, d'accepter dans sa cruauté même le caractère insignifiant et éphémère de la réalité ? Que faire, en somme, s'il y a de l'être ou s'il n'y en a pas ? La détermination de la nature, de l'existence et de la valeur de l'idée de réalité nous permettra ainsi de méditer le radicalisme sceptique – pyrrhonien notamment – qui ouvre la possibilité d'une sagesse tragique et matérialiste. Quelle est, en premier lieu, la nature du concept de réalité ? Que désigne-t-il exactement ? L'étymologie (latin res) du terme ‘’ réalité’’ nous oriente d'abord en direction de la notion de chose, entendue soit comme n'importe quel objet de pensée, soit comme donnée objective indépendante de l'esprit et de la représentation. Cette première acception donne à voir déjà une tension entre une définition réaliste ou empiriste, qui postule l'existence d'une réalité objective, indépendante de l'esprit, vers laquelle devrait se rapprocher la connaissance, et une approche idéaliste ou rationaliste, qui réduit la réalité à une représentation subjective. L'optique réaliste, qui se déploie en de nombreux courants depuis le réalisme platonicien des Idées jusqu'au matérialisme, fait de la réalité l'ensemble des choses s'offrant dans l'expérience, essentiellement par le canal des sens. Ici la réalité désigne ce qui possède une certaine détermination, une existence, ce qui s'impose par sa massivité, son irréductibilité : la réalité est ce dont je ne peux m'abstraire; elle exige des réponses, des comportements qui lui sont adaptés, elle me rappelle à l’ordre dès que les réactions ne sont pas adéquates à la situation. Ce sont précisément ces différents caractères qui sont censés discriminer la réalité du rêve, de la fiction, du délire, voire du virtuel. La réalité apparaît donc d'abord comme cela même qu'on ne saurait réduire, support de toute affirmation et attribution (ce que la métaphysique appelle la substance), rendant possible le discours cohérent (le principe de non contradiction, chez Aristote, par exemple, comme détermination fondamentale de l'être) et l'action maîtrisée (le principe de réalité chez Freud qui permet de définir névrose et psychose comme retrait partiel ou global vis-à-vis de la réalité). Au contraire, l'illusion se manifeste comme croyance ou opinion fausse abusant l'esprit par son caractère séduisant. De même l'apparence signifie-t-elle l'aspect trompeur des choses ou l'aspect extérieur d'une chose, donné dans la représentation. La réalité, ce serait ainsi l'existence réelle et actuelle, par opposition à ce qui est imaginé ou simplement représenté (le rêve, la fiction, l'idéal, la vision, la chimère, etc.). Mais, dans une perspective idéaliste ou rationaliste, la notion de réalité sert également à qualifier ce qui est réel en tant qu'il s'impose à l'esprit ou résulte d'une construction de l'esprit, comme lorsqu'on parle de la réalité des nombres ou des figures. On peut concevoir, sans se contredire, une réalité subjective, au sens de quelque chose qui possède une signification et une certaine efficace pour le sujet (réalité d'un rêve, d'une chimère, d'un délire, d'une hallucination). Ainsi, comme le montre Spinoza dans L'Ethique (4e partie, scolie de la proposition I), une illusion survit à sa réfutation, la connaissance vraie ne fait pas disparaître la perception illusoire, lorsque, par exemple, "nous regardons le soleil" et que "nous imaginons qu'il est distant de nous d'environ 200 pieds ". L'illusion possède une certaine réalité, c'est-à-dire nécessité, en ce qu'elle traduit la force du désir. La réalité n'est donc pas tant l'objet fiable et extérieur au sujet sur lequel doit se calquer la connaissance qu'une modalité de la subjectivité dans son rapport au monde. La notion de réalité est souvent confondue avec celle de réel. En effet, on qualifie de réel un pouvoir ou un mérite lorsque ce dernier n'est pas seulement à l'état virtuel ou imaginaire, mais donné hic et nunc. La confusion évoquée précédemment entre la réalité comme totalité synthétique et la réalité comme existence concrète se retrouve à l'endroit du terme " réel ". Ce dernier est toujours utilisé au singulier, tandis que l'on parle de réalités – historique, sociale, politique, etc. La notion de réel semble donc sous-tendue par un postulat moniste, au fondement du rationalisme, alors que celle de réalité laisse ouverte la possibilité de réalités multiples, voire hiérarchisées, possibilité qui caractérise la démarche dualiste. Sans doute ne faut-il pas non plus mettre sur le même plan réalité et monde. C'est notamment ce que montre Kant dans La critique de la raison pure (Dialectique transcendantale). La confusion entre l'idée de monde et celle de réalité relève d'une illusion transcendantale qui a pour fondement le souci de relier un conditionné à sa condition première. L'idée de monde est "objectivée" comme réalité, c'est-à-dire comme totalité des phénomènes. Kant établit que cette confusion entre le monde et la réalité aboutit à des antinomies qui révèlent, de la part de la raison humaine, la passion immédiate de l'inconditionné, du système, c'est-à-dire finalement du repos. Si la réalité désigne l'Absolu proprement inconnaissable (l'ensemble de tout ce qui existe), l'idée de monde incarne alors les limites de la connaissance et de l'expérience humaines. La notion de réalité ne semble pas non plus recouper tout à fait celle d'objet. La notion d'objet recouvre deux acceptions fondamentales. En un sens ordinaire, il s'agit de toute chose solide susceptible d'être perçue. En un sens plus travaillé, l'objet désigne ce qui est pensé, par opposition à l'acte même de penser. Tout ce qui existe figure dès lors un objet pour le sujet qui est amené à se le représenter. Or, au regard de la première définition, il est clair qu'une chose peut très bien ne pas s'offrir à la perception sans pour autant que lui soit dénié le statut de réalité. Ainsi l'Idée platonicienne possède-t-elle une plus grande réalité que l'objet phénoménal qui en est la copie. Qui plus est, la réalité, comme on le voit chez Kant, n'a pas besoin d'être un objet de pensée ou d'expérience puisqu'elle peut exister à titre de postulat, d'idée régulatrice pour la connaissance et l'action. Mais si le concept de réalité ne se réduit pas à l'idée d'une totalité organique ou d'un système, pour signifier cette fois une élaboration théorique ou pratique du sujet, la réalité représente, sur un mode presque métaphorique, une transposition du clivage du sujet et de l'objet qui s'inscrit au coeur de toute connaissance, voire de toute action. La réalité, c'est alors la matière inerte que façonne le démiurge dans le Timée de Platon à partir d'un modèle éternel, de sorte que l'idée de réalité incarne une sorte de paradigme artisanal ou technicien qu'on retrouve dans la définition cartésienne de la connaissance comme entreprise de maîtrise et de possession de la nature. Prévaut ici une conception dualiste du monde fondée sur un mouvement de balancier entre le sujet et l'objet, comme on peut le constater dans l'interprétation hégélienne de l'art : qu'est, en effet, une oeuvre d'art, sinon l'expression ou l'extériorisation de l'esprit à travers une forme sensible ? Ici, le sujet, l'Idée, l'Esprit informent la réalité, la spiritualise, en lui donnant une dimension inédite, l'activité artistique exprimant le besoin proprement humain de se saisir, en tant qu'esprit, dans le réel et dans les choses. D'où un hiatus permanent entre la réalité comme substrat inaltérable et immuable de tout ce qui existe, et la réalité comme principe de création et de production, que l'on nomme ce principe Dieu, matière, nature, etc. Où l'on voit que la question de la nature de la réalité se double d'une réflexion ontologique et épistémologique sur la nature de l'être et l'essence de la représentation ou de la connaissance. On passe ainsi à une nécessaire réflexion sur l'existence de la réalité, après avoir envisagé le problème de sa nature. La réalité existe-t-elle à proprement parler ? Dans l'affirmative, quelle est-elle ? S'agit-il de la réalité ou de certaines réalités ? Convient-il de distinguer différents niveaux de réalités, la connaissance vraie devant tendre vers une réalité authentique qui ne se donne pas à voir immédiatement ? Ou bien la réalité est-elle nimbée dans un voile inaltérable qui rendrait caduque le projet même d'une connaissance rationnelle ? Le problème de l'existence de la réalité fait osciller sans cesse l'histoire de la philosophie d'une perpective réaliste ou empiriste à une conception idéaliste ou rationaliste. A l'extrémité de ces deux pôles, la variante sceptique constitue une limite apparemment difficile à penser, en ce qu'elle semble mener tout droit à un nihilisme ontologique et moral. Le débat porte à la fois sur la possibilité d'une réalité indépendante de l'esprit ou du sujet et sur le statut de la connaissance humaine qui prétend avoir la réalité comme objet ou comme horizon régulateur. Ces deux questions débouchent sur la question du rapport de l'esprit et des choses. Le versant réaliste repose sur l'affirmation de la possibilité d'acquérir une connaissance directe et fiable du monde. La réalité se définit dès lors comme l'être ou l'objet indépendant de la connaissance que l'on en prend, réalité qui est censée garantir l'adéquation de nos représentations du monde avec le monde réel. Cette perspective que Kant qualifie de dogmatique s'articule sur un postulat dualiste qui distingue plusieurs niveaux de réalités. Depuis Parménide, en effet, la réalité est cela même qui se découvre progressivement au terme d'un long processus cognitif, ce qui suppose une distinction radicale entre le caractère intelligible, représentatif, conceptualisable ou universalisable de la réalité, et son aspect sensible ou phénoménal. Si la réalité authentique, aux yeux de Parménide, est tout entière du côté de l'être immuable, c’est notamment en vertu du caractère périssable des objets sensibles qui naissent et meurent, pétris par le temps, la mort, la contradiction. La réalité incarne le principe de la permanence. D'où la tâche de dévoilement assignée à la connaissance rationnelle puisque cette réalité profonde, absolue, située derrière ou au-delà des choses, est d’un accès assurément difficile. La réalité figure donc le fond ultime et inébranlable des choses, satisfaisant la quête de la connaissance, par opposition au monde des apparences, du devenir, de la multiplicité qui est celui du Non-Etre. Le réalisme est lui-même tiraillé entre un dualisme transcendant (réalisme des idées), qu'incarne la tradition platonicienne, et un réalisme immanent (réalisme des substances et des individus), qu'inaugure Aristote. Tandis que le platonisme se définit par la primauté ontologique de l'Intelligible par rapport au sensible, la réalité se déployant sur un plan vertical et hiérarchisé, la dichotomie du monde intelligible et du monde sensible devient, chez Aristote, intérieure au seul monde réel, séparé désormais en une région céleste et une région sublunaire; l'intelligible n'est plus transcendant au monde, il en est une partie puisqu'il n'y a pas de réalité en-dehors d'une composition de matière et de forme. La réalité passe, du coup, du côté de la chose ou de la substance sensible. Que la réalité soit envisagée du côté du sensible ou de l'intelligible, on retrouve toujours, dans la démarche réaliste, un dualisme de la conscience et du monde qui s'épuise souvent, chez Descartes en tout cas, en un dogmatisme qui ne peut faire l'économie d'une médiation divine rendant possible l'accord de nos représentations avec la réalité. Ce modèle ontologique équivaut à une promotion, sur le plan de la connaissance, de la déduction, c'est-à-dire finalement du paradigme mathématique, alors que, dans la variante empiriste du réalisme, le primat est accordé à l'induction sur la déduction, ouvrant la voie à la science expérimentale. La question de l'existence de la réalité reçoit ainsi une double réponse de la part du courant réaliste, selon que l'on envisage une approche rationaliste ou une orientation empiriste. En effet, l'empirisme privilégie, dans le processus de la connaissance, la réalité dans ce qu'elle a de multiple, discontinu, hétérogène, singulier. La réalité se résout alors en une connexion contingente entre les faits, elle se caractérise par une discontinuité des choses entre elles qui est aussi une discontinuité de l'esprit aux choses. On ne peut parler de réalité qu’au pluriel, la multiplicité prévalant par rapport à l'unité du concept ou de la conscience. L'empirisme tend donc à réduire la réalité à la notion d'objet et à privilégier cette dernière sur les relations qui unissent ces objets. A contrario, le rationalisme épouse un idéal d'unification moniste du réel, calqué sur le modèle de la conscience humaine, et accorde sa préférence à la construction conceptuelle ou théorique. Cette tension entre l’homme et le monde semble s’abolir avec la philosophie de Kant qui repousse la réalité au-delà des bornes de la connaissance humaine, dans le domaine de l'indémontrable, de l'Absolu, de la phénoménalité. La critique de la raison pure constitue sans conteste un geste inaugural consistant à vider la notion de réalité de sa dimension d'extériorité transcendante pour la penser au plus près du sujet et pour résoudre la coupure ontologique du sujet et de l'objet qui est au coeur des grandes métaphysiques traditionnelles. En effet, la philosophie classique règle la finitude humaine sur l'Absolu, dessinant ainsi, depuis Platon, un ordre transcendant de perfection censé fournir un modèle d'intelligibilité à la connaissance et à l'action. En Dieu est recherché le lien qui unit la pensée et le monde, ce qui suppose une disproportion irréductible entre la finitude humaine et la perfection divine, en même temps qu'un passage mystérieux du possible au réel. Kant retourne la perspective, en pensant cette fois l'Absolu à partir de la finitude humaine. Du coup, que devient la réalité dans une philosophie des limites de la représentation ? Non point une construction ex nihilo de la subjectivité, puisque précisément, en l'absence de tout concept, l'intuition serait aveugle, de même qu'en l'absence de toute intuition, le concept serait vide. La réalité, c'est ce qui est déjà là, avant même toute connaissance que j'en ai; le sujet reçoit le monde dans ce moment de passivité qui est celui de l'intuition (L'esthétique transcendantale); mais comme la connaissance n'est pas une pure passivité, le sujet connaissant va se représenter la réalité, la mettre en forme et non pas seulement la recevoir (Analytique transcendantale). Et l'unité possible de la conscience (le " Je pense ") entraîne nécessairement la construction de la réalité objective, le sujet signifiant alors, non plus une substance pensante qui se réfléchit en se déprenant du monde comme chez Descartes, mais un simple pouvoir de synthèse a priori. Ainsi, contrairement à Berkeley qui soutient que le sujet connaissant n'a aucun moyen de connaître véritablement le monde extérieur, Kant "désubstantialise" paradoxalement l'idée de réalité, en trouvant dans la conscience les conditions a priori de l'objet. Il est impossible de sortir de la représentation pour aller voir l'objet réel afin de le comparer à sa représentation; la réalité est cette chose en soi, hors d'atteinte, qui ne désigne pas tant l'objet réel, par distinction d'avec l'objet connu (la représentation), que le fait même de la représentation, - conception qui permet de penser l'objectivité autrement qu'en termes d'intériorité (le sujet) et d'extériorité (le monde). La notion de réalité apparaît bien à la fois comme une limite de la connaissance, ainsi que sa condition de possibilité même, dans la mesure où l'esprit ne peut naturellement se départir du désir de franchir cette limite infranchissable qu'est la chose en soi (Dialectique transcendantale). Où l'on voit également que l'empirisme et le rationalisme constituent des extrêmes de la pensée : une pensée pure, sans détour par l'intuition, semble impossible, comme le montre la physique; l'expérience n'est jamais non plus tout à fait brute et se trouve toujours déjà peu ou prou médiatisée par la représentation, comme on le voit dans l'expérience de la perception. Mais la conception kantienne de la réalité réintroduit subrepticement le dualisme du sujet et de l’objet. L’entendement ne peut connaître que le fini, la réalité ultime étant reléguée au rang de chose en soi, d’idée de la raison (dans son usage constitutif), d’objet d’une foi (dans son usage régulateur), en tout cas jamais d’objet de connaissance. Dans cette perspective, la raison est législatrice, elle ordonne les phénomènes de l’extérieur et la réalité ultime demeure inaccessible. Cette opposition du phénomène et de la chose en soi se voit dépassée d’abord par l’idéalisme égélien, ensuite par la phénoménologie husserlienne qui abandonnent toutes les deux la réduction de la réalité à l’objet, au profit soit de l’idée de réel (perspective hégélienne de l’unité et de la rationalité de la réalité), soit de l’idée de monde (approche phénoménologique des champs de la conscience). Ainsi, alors que toute la métaphysique depuis Platon, à l’exception notable du courant matérialiste et sceptique, oppose réalité vraie et phénomène, être et paraître, Hegel définit la connaissance comme la reconnaissance de ce qui est. En effet, la réalité phénoménale ne consiste nullement en une réalité saisie de l’extérieur, en des objets pour un sujet. La raison est en même temps principe de connaissance des phénomènes et principe d'organisation de la réalité; en découvrant la rationalité des phénomènes, elle se reconnaît elle-même dans le monde, de sorte que le phénomène n'est plus ni une simple apparence, comme dans le platonisme, ni saisi de l'extérieur par une raison qui structure l'expérience, comme chez Kant. Hegel renonce ainsi à postuler l'existence de multiples réalités pour reconnaître la rationalité absolue d'une réalité unique. Cette tentative de déployer l'idée de réalité à partir d'une circulation dialectique entre la conscience et le monde se retrouve dans la phénoménologie husserlienne dont le projet est un retour aux choses elles-mêmes. On retrouve à nouveau la problématique de l'être et du paraître : le phénomène ne désigne plus l'apparence opposée à la réalité mais l'apparition de la chose telle qu'elle se donne; le monde n'a son sens de monde que parce qu'il m'apparaît comme monde, et le moi n'a son sens de moi que parce qu'il est le vis-à-vis du monde. L'essence ne signifie plus une idée générale abstraite, mais ce qu'est la chose, telle qu'elle se manifeste immédiatement à travers l'objet singulier. Comment dès lors comprendre cette difficulté qu'a l'esprit humain à forger une représentation non dualiste de la réalité et à échapper au déchirement où l'avaient plongée les grandes philosophies ? Quelle est, en somme, la valeur de la notion de réalité ? Cette dernière se réduit-elle à une interrogation ontologique et épistémologique ou bien peut-elle également avoir une signification éthique ? La notion de réalité semble d'abord posséder une incontestable fonction régulatrice, comme le montre Kant dans La dialectique transcendantale. La connaissance est unification, la raison se définit par la quête de l'inconditionné, c'est-à-dire de l'absolu. Sa fascination pour l'inconditionné n'exprime que son désir naturel de trouver le repos, d'abolir la distance entre le sujet et le monde. Cette idée de réalité, hypostasiée en idée de monde, n’a pas de valeur transcendante ou objective, mais uniquement une valeur régulatrice et organisatrice dans l’interprétation de l’expérience. L'idée dirige les connaissances en un point focal. Cette valeur régulatrice de l'idée de réalité, qui exprime un idéal d'unification du réel, de rationalisation des choses, se retrouve à l'intérieur de tous les champs du savoir et de l'activité humaine. En science, par exemple, les mathématiques se déploient en un versant plutôt empirique, avec la géométrie, et représentatif, avec l'algèbre. Les sciences humaines hésitent entre un courant positiviste, fondé sur le paradigme des sciences expérimentales (la sociologie de Durkheim), et un versant plutôt phénoménologique, axé sur le sujet et ses significations (la psychanalyse post-freudienne, celle notamment de Binswanger). En art, l'idée de réalité renvoie à un idéal de vérité et d'élucidation des pouvoirs de l'esprit humain aliéné dans la réalité sensible. Le mouvement réaliste incarne, sous un certain angle, un souci d'exactitude et de reproduction de la réalité, mais aussi une importation du modèle des sciences expérimentales et du discours positiviste. Flaubert, Courbet entendent dépouiller la représentation artistique de tout prolongement méditatif ou pathétique pour retrouver une sorte de pureté factuelle qui n'est autre qu'un regard renouvelé sur le monde. Mais la volonté de faire prendre la copie pour le modèle, qui caractérise le réalisme, renonce à l’évocation de la structure profonde des choses. Or, selon Platon, dans La république, la fonction de l’art consiste à modéliser le réel pour mieux le révéler. L’art ne doit pas être une imitation servile de l’apparence. Le réalisme, l’illusionnisme, le trompe-l’oeil aplatissent la réalité, la réduisent à la superficie de l’apparence. Platon demande à l’art authentique de sublimer l’apparence qu’il est obligé d’emprunter, de se constituer comme voie authentique vers l’être, c’est-à-dire vers la vérité profonde du réel apparent. En somme, pour déceler le vrai, il est nécessaire d’interpréter l’oeuvre, de la réfléchir, de la laisser retentir en nous. Dans le processus artistique, le paraître est au service de l’être. L’art est cette réalité paradoxale qui « ment « pour dire le vrai, qui médiatise le réel pour le donner à voir. Outre sa valeur heuristique ou paradigmatique, l'idée de réalité possède également une fonction pratique et sert de référent permanent à la réflexion éthique. Dans cette perspective, la problématique ontologique du sujet et de l'objet se prolonge en une interrogation sur le sens qu'il convient de donner à sa propre existence. C'est au prix d'une réintroduction subreptice du dualisme de l'être et du phénomène que la possibilité d'une action morale est postulée par Kant. La distinction du phénomène et du noumène, ainsi que la définition de la réalité comme idée transcendantale, excluent la liberté du monde de l'expérience et la relèguent dans le monde transcendant des noumènes. Et la dichotomie, sur le plan ontologique et épistémologique, entre l'être et le paraître, est censée sauver la liberté tout en conservant le déterminisme. Cette conception produit une morale de la bonne volonté, de l'impératif catégorique qui ne résout nullement le déchirement de la conscience et du monde mais l'accentue, en rendant par exemple insolubles les dilemmes moraux (exemple de la discussion de Kant avec Benjamin Constant à propos du droit de mentir). Ainsi le dualisme est-il le prix à payer de toute sagesse dont l'ambition est de nier la dimension d'altérité de la réalité. Comme le souligne Clément Rosset dans Le principe de cruauté, dans Le principe de cruauté, l'idée d'une " insuffisance intrinsèque du réel ", au nom de laquelle la réalité immédiate est dépréciée, et qui fonde justement le postulat dualiste, s'explique par le caractère essentiellement cruel, douloureux, tragique de la réalité : "…l'idée de réalité suffisante, privant l'homme de toute possibilité de distance ou de recours par rapport à elle, constitue un risque permanent d'angoisse et d'angoisse intolérable " (op.cit., p 17). La réalité incarne finalement l'ordre de l'imperfection et c'est précisément la résolution du mal et des passions qui fonde l'idéal de la sagesse. Or, seule une ontologie moniste de la réalité rend possible une véritable éthique du bonheur. Car une des caractéristiques de la conscience malheureuse est précisément cette incapacité à vivre la réalité dans sa cruauté. Ainsi l'éthique spinoziste de la joie et de la béatitude est-elle une philosophie de l'immanence ( Ethique, I, notamment). Le Dieu-réalité n'est plus une personne, un créateur, un juge, un monarque, il n'est que le monde lui-même dans son infinité et son unité, c'est-à-dire la substance entendue comme le tout de la réalité. Nous sommes ici en présence d'un réalisme perspectiviste et objectiviste, où l'attribut est un aspect réel de la substance et la réalité telle que nous la percevons. La réalité est immanente en somme, intérieure à notre monde. S'il n'existe aucune réalité transcendante, nous sommes intérieurs à l'Etre, et l'Etre est intérieur à ce monde-ci. L'unité de la réalité comme " Nature naturée " et " Nature naturante " permet d'envisager une éthique libérée de la crainte et de l'obéissance. Le monisme de Spinoza se définit comme un déterminisme dont la signification éthique consiste, par la connaissance des causes, à faire passer le Désir de la passivité à l'activité, en nous rendant maîtres de nous-mêmes. Dans cette philosophie de l'immanence, la vertu n'est pas, comme chez Kant, l'action désintéressée, mais le Désir considéré à la fois comme source ultime de l'action et comme but de celle-ci. Il apparaît ainsi que la plupart des philosophies de l'immanence débouchent sur des sagesses tragiques, c'est-à-dire paradoxalement des éthiques du bonheur, dont la pierre angulaire est le principe de réalité. Ainsi le matérialisme se caractérise-t-il par un monisme de la matière qui épuise le tout de l'être et de la réalité. L'idée de réalité joue à nouveau ici le rôle d'un paradigme qui mène tout droit à un relativisme éthique et à une " sagesse du désespoir " . Le primat de la matière " n'est pas autre chose…que le primat de la mort, qui renvoie la vie à sa fragilité presque évanescente de rêve précieux ou rare " (André Comte-Sponville, Une éducation philosophique, p 109). D'où l'insistance de la pensée matérialiste sur la dimension tragique de la réalité, sur cette " logique du pire " par quoi " la vie s'assume, sans mensonge ni espérance (mais non sans joie ni grandeur), sur fond de mort ou de néant " (André Comte-Sponville, op.cit., p 109). Sagesse qui, loin de pacifier la dimension d'altérité du réel, l'affronte dans le silence, le désespoir, le courage, la lucidité joyeuse et fonde une morale de la compassion et de la miséricorde : " Le matérialisme est l'antidote de la misanthropie " (La Mettrie, Système d'Epicure, 46). La réalité n'ayant pas de double ou de théâtre caché qui permettrait de fonder les valeurs, l'éthique est acceptation totale du réel, aptitude à approuver l'absurdité de l'existence. Sans nulle instance ontologique, le sage accepte cette réalité qu'il reconnaît comme cruelle, dérisoire, tragique. La sagesse consiste en une capacité à affronter le vide, le pire, l'absence de sens caché, de récompense ultime. On peut même radicaliser le propos, à la lumière de ce que nous dit Marcel Conche du scepticisme pyrrhonien, aller jusqu'à une négation du concept de réalité, promouvoir un nihilisme ontologique qui dissout l'être dans l'apparence. En rupture avec toute la métaphysique de Parménide et d'Aristote, Pyrrhon fait de l'apparence la nature même des choses, ce qui aboutit à la négation de l'idée même d'être : les apparences ne sont pas des vêtements de l'être, ce qui supposerait une distinction entre l'être apparent et l'être caché. Les apparences ne recèlent " aucun fond caché ", elles ne sont" ni des apparences-de, ni des apparences-pour, mais des apparences en elles-mêmes " (Marcel Conche, Pyrrhon ou de l'apparence, p 102). Si l'illusion est le tissu même de l'être, les choses sont sans différences entre elles, il n'existe pas de mesure permettant de les saisir, il nous est alors impossible de les évaluer. Dès lors, l'arbitraire est au fond des choses humaines, il n'y a pas de norme de la conduite humaine. D'où la nécessité de s'abstenir de tout jugement, de ne pas se prononcer à l'égard de ce que les choses sont ou ne sont pas. La suspension du jugement a pour effet de neutraliser les passions, en supprimant les opinions qui les soutiennent. Si tout se résout en apparences, rien ne fait obstacle à la tranquillité, à l'impassibilité, voire à l'insensibilité. C'est la croyance en une réalité objective et en des valeurs fondées sur cette réalité (la vérité) qui est source de tourments. Le scepticisme pyrrhonien aboutit donc à un nihilisme ontologique et moral. La définition tragique de l'éthique comme acceptation de la réalité, que cette dernière soit envisagée comme le fond ultime des choses ou comme une pure illusion, pose finalement la difficile question de savoir si l'on peut envisager un scepticisme sur le plan de l'être et de la connaissance, en évitant le scepticisme moral qui abolit tout jugement transcendant, donc toute morale. Nous avons vu l'idée de réalité se déployer sur de multiples scènes où la problématique ontologique et épistémologique du rapport entre l'être et la représentation débouche sur une préoccupation éthique. Dans tous les cas, la notion de réalité désigne un concept limite, proprement insaisissable, qui renvoie essentiellement à la difficulté de penser l'insertion de l'homme dans le monde sensible et phénoménal. La tentation dualiste et dogmatique qui semble animer peu ou prou les grands systèmes philosophiques jusqu'à Kant exprime un besoin naturel de résoudre le déchirement d'une conscience qui ne peut s'appréhender comme telle qu'en s'aliénant sur le mode de la représentation. Le principe selon lequel la réalité souffrirait d'une insuffisance ontologique incarne une quête désespérée de l'Absolu, de la totalité qui, pour rassurante qu'elle soit, condamne l'homme au malheur et à l'illusion, comme nous l'enseignent, depuis l'antiquité, les sagesses tragiques. En définitive, la notion de réalité désigne une idée régulatrice pour la pensée et l'action qui témoigne de l'inlassable combat de l'homme pour la connaissance, le bonheur et la liberté.

 

« Ainsi, comme le montre Spinoza dans L'Ethique (4e partie, scolie de la proposition I), une illusion survit à saréfutation, la connaissance vraie ne fait pas disparaître la perception illusoire, lorsque, par exemple, "nous regardonsle soleil" et que "nous imaginons qu'il est distant de nous d'environ 200 pieds ".

L'illusion possède une certaineréalité, c'est-à-dire nécessité, en ce qu'elle traduit la force du désir.

La réalité n'est donc pas tant l'objet fiable etextérieur au sujet sur lequel doit se calquer la connaissance qu'une modalité de la subjectivité dans son rapport aumonde. La notion de réalité est souvent confondue avec celle de réel.

En effet, on qualifie de réel un pouvoir ou un méritelorsque ce dernier n'est pas seulement à l'état virtuel ou imaginaire, mais donné hic et nunc.

La confusion évoquéeprécédemment entre la réalité comme totalité synthétique et la réalité comme existence concrète se retrouve àl'endroit du terme " réel ".

Ce dernier est toujours utilisé au singulier, tandis que l'on parle de réalités – historique,sociale, politique, etc.

La notion de réel semble donc sous-tendue par un postulat moniste, au fondement durationalisme, alors que celle de réalité laisse ouverte la possibilité de réalités multiples, voire hiérarchisées, possibilitéqui caractérise la démarche dualiste. Sans doute ne faut-il pas non plus mettre sur le même plan réalité et monde.

C'est notamment ce que montre Kantdans La critique de la raison pure (Dialectique transcendantale).

La confusion entre l'idée de monde et celle deréalité relève d'une illusion transcendantale qui a pour fondement le souci de relier un conditionné à sa conditionpremière.

L'idée de monde est "objectivée" comme réalité, c'est-à-dire comme totalité des phénomènes.

Kant établitque cette confusion entre le monde et la réalité aboutit à des antinomies qui révèlent, de la part de la raisonhumaine, la passion immédiate de l'inconditionné, du système, c'est-à-dire finalement du repos.

Si la réalité désignel'Absolu proprement inconnaissable (l'ensemble de tout ce qui existe), l'idée de monde incarne alors les limites de laconnaissance et de l'expérience humaines. La notion de réalité ne semble pas non plus recouper tout à fait celle d'objet.

La notion d'objet recouvre deuxacceptions fondamentales.

En un sens ordinaire, il s'agit de toute chose solide susceptible d'être perçue.

En un sensplus travaillé, l'objet désigne ce qui est pensé, par opposition à l'acte même de penser.

Tout ce qui existe figure dèslors un objet pour le sujet qui est amené à se le représenter.

Or, au regard de la première définition, il est clairqu'une chose peut très bien ne pas s'offrir à la perception sans pour autant que lui soit dénié le statut de réalité.Ainsi l'Idée platonicienne possède-t-elle une plus grande réalité que l'objet phénoménal qui en est la copie.

Qui plusest, la réalité, comme on le voit chez Kant, n'a pas besoin d'être un objet de pensée ou d'expérience puisqu'ellepeut exister à titre de postulat, d'idée régulatrice pour la connaissance et l'action. Mais si le concept de réalité ne se réduit pas à l'idée d'une totalité organique ou d'un système, pour signifier cettefois une élaboration théorique ou pratique du sujet, la réalité représente, sur un mode presque métaphorique, unetransposition du clivage du sujet et de l'objet qui s'inscrit au coeur de toute connaissance, voire de toute action.

Laréalité, c'est alors la matière inerte que façonne le démiurge dans le Timée de Platon à partir d'un modèle éternel, desorte que l'idée de réalité incarne une sorte de paradigme artisanal ou technicien qu'on retrouve dans la définitioncartésienne de la connaissance comme entreprise de maîtrise et de possession de la nature.

Prévaut ici uneconception dualiste du monde fondée sur un mouvement de balancier entre le sujet et l'objet, comme on peut leconstater dans l'interprétation hégélienne de l'art : qu'est, en effet, une oeuvre d'art, sinon l'expression oul'extériorisation de l'esprit à travers une forme sensible ? Ici, le sujet, l'Idée, l'Esprit informent la réalité, laspiritualise, en lui donnant une dimension inédite, l'activité artistique exprimant le besoin proprement humain de sesaisir, en tant qu'esprit, dans le réel et dans les choses. D'où un hiatus permanent entre la réalité comme substrat inaltérable et immuable de tout ce qui existe, et la réalitécomme principe de création et de production, que l'on nomme ce principe Dieu, matière, nature, etc.

Où l'on voitque la question de la nature de la réalité se double d'une réflexion ontologique et épistémologique sur la nature del'être et l'essence de la représentation ou de la connaissance. On passe ainsi à une nécessaire réflexion sur l'existence de la réalité, après avoir envisagé le problème de sa nature.La réalité existe-t-elle à proprement parler ? Dans l'affirmative, quelle est-elle ? S'agit-il de la réalité ou de certainesréalités ? Convient-il de distinguer différents niveaux de réalités, la connaissance vraie devant tendre vers uneréalité authentique qui ne se donne pas à voir immédiatement ? Ou bien la réalité est-elle nimbée dans un voileinaltérable qui rendrait caduque le projet même d'une connaissance rationnelle ? Le problème de l'existence de la réalité fait osciller sans cesse l'histoire de la philosophie d'une perpective réaliste ouempiriste à une conception idéaliste ou rationaliste.

A l'extrémité de ces deux pôles, la variante sceptique constitueune limite apparemment difficile à penser, en ce qu'elle semble mener tout droit à un nihilisme ontologique et moral.Le débat porte à la fois sur la possibilité d'une réalité indépendante de l'esprit ou du sujet et sur le statut de laconnaissance humaine qui prétend avoir la réalité comme objet ou comme horizon régulateur.

Ces deux questionsdébouchent sur la question du rapport de l'esprit et des choses. Le versant réaliste repose sur l'affirmation de la possibilité d'acquérir une connaissance directe et fiable du monde.La réalité se définit dès lors comme l'être ou l'objet indépendant de la connaissance que l'on en prend, réalité qui estcensée garantir l'adéquation de nos représentations du monde avec le monde réel.

Cette perspective que Kantqualifie de dogmatique s'articule sur un postulat dualiste qui distingue plusieurs niveaux de réalités. Depuis Parménide, en effet, la réalité est cela même qui se découvre progressivement au terme d'un long processus. »

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