La recherche de l'objectivité dans la connaissance scientifique exclut-elle l'appel à l'imagination ?

« III.

L'imagination méthodique On comprend pourquoi l'ordinateur reste un outil qui ne peut prendre en charge que la partie purement procéduraledu travail scientifique et non pas créer de nouvelles théories ni de nouveaux programmes.

La recherche scientifique,si elle doit être inventive, créative, doit conjuguer objectivité et imagination.

Pour autant, cette dernière ne peuts'exercer que dans un cadre précis. Conjecture et réfutation Les sciences progressent par la formulation puis la résolution d'énigmes; avant d'avoir mis au point un outil théoriqueou expérimental satisfaisant, les chercheurs multiplient des « conjectures », des hypothèses, en faisant jouerlibrement leur imagination.

Reste alors tout un travail de rationalisation, de déblayage : la valeur des conjectures esttestée par des tentatives de réfutation.

L'hypothèse la plus résistante sera progressivement tenue pourvraisemblable puis vraie. Théorie et expérience Le travail de l'imagination en sciences doit d'autre part conserver la possibilité d'une dialectique entre théorie etexpérience : parfois des théoriciens imaginent des modèles formellement cohérents mais qui ne s'appliquent pas audomaine de notre expérience; se pose alors la question de leur légitimité scientifique. Objectivité et communication Mais comment cette légitimité se détermine-t-elle? Non pas seulement par une autodiscipline du chercheur quicontrôle par son entendement le produit de son imagination, mais aussi par un débat au sein de la communautéscientifique.

Ce débat n'exclut pas qu'un chercheur original et novateur ne soit pas tout de suite reconnu par sesconfrères, comme le montre lecas de Galilée ou de Darwin. Conclusion Ces analyses nous permettent non seulement de clarifier la complexité du métier de chercheur scientifique, maiségalement de mieux cerner la notion d'objectivité, que l'on simplifie souvent à l'excès ou dont on s'imagine que les «scientifiques » en disposent de façon naturelle et permanente.

L'objectivité n'est pas seulement la faculté decalculer, elle est une discipline de la raison qui contrôle, trie et classe les idées produites par une imagination àlaquelle il est souvent nécessaire de laisser provisoirement libre cours, comme le montre l'expérience du « brain-storming ». « Rien n'est plus libre que l'imagination humaine; bien qu'elle ne puisse déborder le stock primitif des idées fourniespar les sens externes et internes, elle a un pouvoir illimité de mêler, composer, séparer et diviser ces idées danstoutes les variétés de la fiction et de la rêverie.

» Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748. « Par l'imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses.

[...] Imaginer c'est s'absenter, c'est s'élancervers une vie nouvelle.

» Bachelard, L'Air et les Songes, 1943. « Grâce à l'imaginaire, l'imagination est essentiellementouverte, évasive.

Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de lanouveauté.

» Bachelard, L'Air et les Songes, 1943. « L'imagination [...], c'est la conscience tout entière en tant qu'elle réalise sa liberté.

» Sartre, L'Imaginaire, 1940. « L'imagination est la folle du logis.

» Malebranche, De la Recherche de la vérité, 1674-1675. « Imagination — C'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autantplus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours.

» Pascal, Pensées, 1670 (posth.) « Les hommes jugent des choses selon la disposition de leur cerveau et les imaginent plutôt qu'ils ne les. »