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La révolte contre l'injustice - Confessions - Rousseau - Livre I

Publié le 02/10/2010

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rousseau

Je sens en écrivant ceci que mon pouls s'élève encore ; ces moments me seront toujours présents quand je vivrais cent mille ans. Ce premier sentiment de la violence et de l'injustice est resté si profondément gravé dans mon âme, que toutes les idées qui s'y rapportent me rendent ma première émotion, et ce sentiment, relatif à moi dans son origine, a pris une telle consistance en lui-même, et s'est tellement détaché de tout intérêt personnel, que mon coeur s'enflamme au spectacle ou au récit de toute action injuste, quel qu'en soit l'objet et en quelque lieu qu'elle se commette, comme si l'effet en retombait sur moi. Quand je lis les cruautés d'un tyran féroce, les subtiles noirceurs to d'un fourbe de prêtre, je partirais volontiers pour aller poignarder ces misérables, dussé-je cérat fois y périr. Je me suis souvent mis en nage à poursuivre à la course ou à coups de pierre un coq, une vache, un chien, un animal que j'en voyais tourmenter un autre, uniquement parce qu'il se sentait le plus fort. Ce mouvement peut m'être naturel, et je crois qu'il l'est; mais le souvenir profond de la première injustice que j'ai soufferte y fut trop longtemps et trop fortement lié pour ne l'avoir pas beaucoup renforcé.

  • «mon pouls s'élève« (l. 1): l'émotion est purement physique;

  • «mon coeur s'enflamme « (l. 6-7) : le registre métaphorique (emploi figuré de « coeur« qui signifie le « courage «) nous fait passer au plan moral: ce n'est plus seulement l'être sensible, c'est l'être moral de Rousseau qui s'anime et s'exalte;

  • «je partirais volontiers pour aller poignarder« (l. 10) : on passe au plan de l'action; cependant la réaction de compassion héroïque (force épique de « poignarder «, « misérables«, « périr«) se fait de façon imaginaire (conditionnel présent à valeur d'irréel, «partirais«).

  • «Je me suis souvent mis en nage « : la réaction de compassion est moins héroïque, mais réelle (emploi du passé composé) et fréquente («souvent«).

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    rousseau

    « «mon pouls s'élève» (l.

    1): l'émotion est purement physique; «mon coeur s'enflamme » (l.

    6-7) : le registre métaphorique (emploi figuré de « coeur» qui signifie le « courage ») nous fait passer au plan moral: ce n'est plus seulement l'être sensible, c'est l'être moral deRousseau qui s'anime et s'exalte; «je partirais volontiers pour aller poignarder» (l.

    10) : on passe au plan de l'action; cependant la réaction de compassion héroïque (force épique de « poignarder », « misérables», « périr») se fait de façon imaginaire (conditionnel présent à valeur d'irréel, «partirais»). «Je me suis souvent mis en nage » : la réaction de compassion est moins héroïque, mais réelle (emploi du passé composé) et fréquente («souvent»). Une rhétorique de l'amplification Rousseau cherche à nous convaincre et à nous faire partager sa révolte : loin de l'exprimer sous une formedésordonnée, qui mimerait son émotion, il élabore une rhétorique efficace (la « rhétorique » est l'art de présenterses idées, de leur donner le plus de force pour toucher le lecteur). Disposition.

    Le paragraphe est organisé en cinq phrases, selon une progression rigoureuse.

    La phrase 1 énonce le thème, en deux propositions juxtaposées : un constat — la permanence de l'émotion suscitée par l'injustice — reprissur le mode de l'hyperbole (voir la définition page suivante).

    La phrase 2, la plus longue et la plus travaillée, analysedans un ample mouvement oratoire le développement du sentiment de compassion; elle annonce les deux exemples(«au spectacle ou au récit») que les phrases 3 et 4 développent dans l'ordre inverse de celui annoncé : récit d'abord (« Quand je lis...

    »), spectacle ensuite ( «Je me suis [...] que j'en voyais...

    »).

    La phrase conclusive reprend le thème principal en l'enrichissant (lien entre la bienveillance instinctive et l'expérience de l'injustice). Un ton soutenu.

    Rousseau travaille son texte en lui donnant un caractère littéraire.

    Le choix d'un registre soutenu est sensible en particulier dans le choix des subordonnants (mots qui introduisent les propositions subordonnées) :quatre concessives sont introduites selon des procédés de la langue littéraire (« quand» au sens de « même si » ; « dussé-je » au sens de « même si je devais »; relatifs indéfinis « quel qu'en soit», « en quelque ...

    que ...

    »).

    On relève d'autres procédés de la langue littéraire comme le remplacement du singulier par un pluriel à valeuraugmentative (» ces moments», l.

    1; «les cruautés», I.

    9; «les noirceurs », l.

    9) ; des effets de sonorités (allitérations, assonances) et de rythme (cadence des phrases) qui donnent à la phrase plus de force et d'équilibre ;un seul exemple : la répétition du son « en/an » sur les temps forts, accentués, de la phrase 1; -3 il y a presque uneffet de « rime », en particulier dans la seconde proposition: 3 syllabes (...

    moments) + 7 syllabes (...

    présents) + 7syllabes (...

    mille ans) — notez aussi les allitérations en r, phrase 3.L'amplification.

    L'amplification consiste à développer des idées, des thèmes avec le plus de force expressive.

    Elles'appuie ici sur des procédés variés mais ayant tous un effet d'insistance.

    Un exemple permettra de comprendre enquoi elle consiste : dans la phrase 4, Rousseau envisage une action simple (je poignarderais), qu'il amplifiedoublement: « j'irais poignarder »( re amplification) devient : «je partirais [...] pour aller poignarder», de sorte qu'ilen souligne le caractère héroïque et chevaleresque.

    L'amplification use par exemple des redoublements de termes(coordonnés par et/ ou): «sentiment de la violence et de l'injustice»; «au spectacle ou au récit»; «poursuivre à lacourse ou à coups de pierre».

    Parfois une même idée est exprimée deux fois: sous une forme développée et sousune forme condensée (voir l'énumération reprise par un seul mot: «un coq, une vache, un chien, un animal» ; ouencore les deux subordonnées, l.

    7 et 8, qui développent et particularisent l'idée générale résumée par « touteaction injuste»).Le procédé d'amplification le plus spectaculaire est l'hyperbole, exagération volontaire de l'expression.

    Les deuxhyperboles du texte (l.

    2 et 11) consistent en une exagération irréaliste sur la quantité (nombre et durée) : vivrecent mille ans (l'hyperbole suggère que le sentiment de révolte est quasiment éternel) ; périr cent fois (on ne meurtqu'une fois, mais l'hyperbole accentue le caractère héroïque de la réaction. (CONCLUSION) La « chaîne des affections secrètes » .

    L'écriture du souvenir fait le lien entre le passé et le présent dégage l'unitéprofonde de l'être au-delà des vicissitudes et des aléas de l'existence.

    Rousseau nous révèle ici l'origine et lapérennité d'un sentiment de révolte face à l'injustice.Sentiment personnel et sentiment altruiste.

    Une expérience négative de Jean-Jacques, dont le souvenir réveille laforce émotive ; à partir de cette expérience, l'être moral de l'enfant s'est affirmé : le traumatisme personnel arenforcé le sentiment de compassion, vertu innée de l'être humain.Une écriture éloquente.

    Le pouls de l'écrivain s'élève sans doute, mais aussi bien sa voix, éloquente, pleine deconviction, de clarté et de vigueur.

    L'émotion est vive, mais la transmettre passe par un travail d'écriture, un travailrhétorique sur l'expression, ici très maîtrisé.. »

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