Roger Clausse, Le journal de l'Actualité

Même l'information la plus pure n'est pas forcément exempte d'une volonté d'influence. En notre temps, on ne peut gouverner qu'avec l'adhésion de l'opinion. Exposer simplement les faits d'une action donnée, c'est déjà un plaidoyer pro domo, mobiliser tout l'appareil d'information pour diffuser telle ou telle décision, n'est-ce pas donner à celle-ci un accent, un relief?...    L'information est donc bien, dit J. Ellul, la condition sine qua non d'existence de la propagande. Mais elle provoque aussi, parce que créatrice de problèmes politiques, économiques, sociaux, etc. la nécessité d'une intervention de la propagande. C'est là un point important.    L'information pure ne transmet jamais que des faits de détail, le fait d'information ne peut être global. Ces milliers de détails livrés au public, même s'ils correspondent à la réalité, portent sur un éventail considérable de matières ; l'homme moyen de bonne volonté n'en peut rien tirer ; il lui faudrait une mémoire étonnante pour rattacher tel fait d'aujourd'hui à tel autre d'il y a quinze jours ou quinze mois. Même les gros événements, qui font l'objet d'informations continues, ne sont relatés que superficiellement.    L'homme se trouve pris ainsi dans une sorte de kaléidoscope sans cesse mouvant de milliers d'images, rapides et sans continuité ; il ne peut jamais prendre de recul pour juger; il est saisi, emporté dans le torrent des nouvelles. Scène sans cesse changeante, scène pointilliste ; monde incohérent, monde absurde ; monde sans raison et vision catastrophique du monde. Tous ces problèmes, tous ces événements dominent l'homme, l'écrasent sous un sentiment d'infériorité et de crainte.    Peut-il vivre dans ce monde absurde et menaçant? Il a besoin d'explications, d'un cadre, de réponses, de cohérence, d'affirmation. Plus le monde sera absurde, irrationnel, menaçant, plus ce besoin se fera exigeant. La propagande fournira le cadre, l'explication, la réponse. Elle fournira non une doctrine, mais une vision globale du monde, avec son panorama général (historique, politique, économique, etc.) et avec une clef permettant de comprendre le pourquoi. Ainsi, l'homme voit la cause des événements, il reçoit la promesse d'une solution à ses problèmes.    La propagande lui apprend aussi que ces problèmes seront résolus, mais à la condition qu'il participe à l'action proposée. Si l'information est nécessaire à la prise de conscience, la propagande l'est pour que cette prise ne soit pas absurde et désespérée ; elle supprime le désespoir en faisant de l'homme l'artisan de l'histoire et en lui rendant ainsi sa dignité et sa signification.    Et Jacques Ellul conclut en ces termes : « A la lumière de ces quelques faits, il apparaît donc que les relations entre propagande et information sont difficiles et complexes. Leurs frontières sont très incertaines et indécises, l'information se tourne presque nécessairement en propagande ; c'est elle qui permet la propagande, c'est elle qui la nourrit et qui la rend nécessaire. Elle crée chez l'homme le besoin de propagande, qui ouvrira la porte aux agressions psychiques et aux séductions sentimentales politiques. Une fois de plus, il faut se résigner à ne pas construire ce monde manichéen que nous propose justement toute propagande, un côté blanc, un côté noir, un côté bon, un côté mauvais — d'un côté la sainte information, de l'autre la diabolique propagande. La réalité du diable est d'avoir créé l'ambiguïté. «    Non, il ne faut pas se résigner!... L'information se tourne presque nécessairement en propagande. Oui, certes, mais c'est sur le « presque « que se joue la partie ; c'est là que l'esprit et la volonté doivent se refuser à toute trahison de clercs.    L'information existe en soi puisqu'elle est le fondement indispensable de la propagande. Les faiblesses bien connues de l'information n'en font pas un outil de propagande, mais un outil imparfait qu'il faut s'attacher à perfectionner. Bien qu'il ne soit pas inutile de constater la dilution de l'information dans la propagande, il convient surtout de rechercher et d'organiser les conditions d'une bonne information, dont on sait qu'elle est le contrepoids le plus efficace à la propagande.    Dire que l'information est la condition de la propagande et qu'elle en provoque la nécessaire intervention, n'est qu'un aspect particulier d'un phénomène très caractéristique et riche de promesses comme de dangers : la prise de conscience des masses et l'accession de tous à la dignité d'homme, objet et sujet d'influences sociales. La propagande est, certes, un moyen de dominer le monde absurde et incohérent, de donner un but avec la possibilité de l'atteindre ; mais ce n'est pas le seul, ni le plus riche. Il en est un autre, l'éducation, qui n'est pas viol des esprits, appel à l'instinct, mais documentation et formation des intelligences et des cœurs, appel à la raison, à la réflexion et à la maîtrise.    Roger Clausse, Le journal de l'Actualité, 1967.    1. Vous ferez de ce texte, en respectant son mouvement, un résumé en 170 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez sur votre copie le nombre de mots que vous aurez utilisés.    2. Vous expliquerez le sens dans le texte des mots et expressions suivants :    — monde irrationnel.    — dilution de l'information dans la propagande.    3. Nous sommes quotidiennement submergés par le flot des informations. Comment vous y prenez-vous pour en tirer le meilleur parti ?