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Le rôle de la littérature: distraire ou rendre plus intelligent?

Publié le 16/04/2011

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Dans les transports en commun, les salles d'attente, aux terrasses des cafés, nous croisons souvent des gens plongés dans la lecture d'un roman. En été, les médias proposent des listes d'ouvrages \"à emmener à la plage\".

Ainsi, le livre semble être un moyen de combler un temps vide, de s'évader,de se détendre. Tous les livres? La réponse dépendra des goûts de chacun mais d'une façon générale, la question en amène une autre: la fonction de la littérature est-elle essentiellement de distraire ou d'éduquer? Après avoir examiné ces deux rôles, nous verrons qu'ils ne s'opposent pas nécessairement.

 

 La plupart des lecteurs attendent qu’un livre les distraie de leur quotidien. Selon leurs goûts, ils choisiront, dans ce but, un roman sentimental, policier, de science fiction, d’espionnage ou encore d’horreur. La principale caractéristique de cette littérature est d’être accessible à tous par la simplicité du vocabulaire et de la syntaxe. Il s’agit de retenir l’attention sans exiger un gros effort de concentration. L’espace de quelques heures, le livre joue le rôle d’écran entre le lecteur et son environnement. C’est pourquoi les romans de Mary Higgins Clark ont un tel succès : un suspense bien construit, axé sur le sort de la victime, des personnages stéréotypés et une fin heureuse sont les ingrédients qui assurent au lecteur un moment d’évasion. Dans le roman policier où le personnage principal est l’enquêteur, le lecteur devient actif et essaie d’élucider le mystère avec les indices dont il dispose. Agatha Christie est le maître incontesté de ce genre et ses romans vendus dans les grandes surfaces et les kiosques ont toujours leurs inconditionnels. Mêmes points de distribution et même succès pour les romans sentimentaux : ceux-ci rappellent au lecteur le conte de fée où l’héroïne malheureuse est sauvée par le prince charmant. La collection Harlequin s’est spécialisée dans ce type de littérature « à l’eau de rose » qu’elle destine à un public féminin. Ainsi, on vend du rêve aux lectrices dont le quotidien est souvent fort différent de celui des protagonistes. Flaubert déjà montrait l’influence pernicieuse de tels romans sur son héroïne, Emma Bovary, devenue incapable d’accepter la réalité. Le roman sentimental « distrait » au sens où Pascal l’entendait : il nourrit l’imaginaire d’illusions et peut devenir une fuite, un « divertissement » dangereux. Mais aujourd’hui, l’heure est plutôt à la magie… L’immense succès des quatre tomes du jeune sorcier Harry Potter devient un phénomène sur lequel s’interrogent les sociologues. Comme dans la plupart des contes, un enfant, confronté aux difficultés de l’homme, va surmonter les épreuves initiatiques pour devenir adulte. Sur cet archétype, J.K. Rowling introduit des éléments modernes, comme la critique de la société de consommation. Sa vision du monde est simple : d’un côté, les mauvais sorciers qui recherchent le pouvoir, de l’autre, les bons qui défendent une cause humaniste. Il en ressort un idéal qui implique des choix et qui est peut-être la raison du succès dans un monde où les modèles se font rares. Là encore, la lecture distrait petits et grands à coup de bons sentiments – mais aussi d’humour – dont manquent nos sociétés basées sur la concurrence.

 

Cette littérature est souvent discréditée par les institutions. On lui oppose celle qui « éduque », inscrite en priorité dans les programmes scolaires. Que nous apprend la lecture des classiques ? Montaigne, déjà, se posait cette question et y répondait : dans sa « librairie », ce grand lecteur a appris que le savoir des autres doit « se digérer » si l’on veut qu’il nous fortifie. « Quand bien nous pourrions être savants du savoir d’autrui, au moins sages ne pourrions-nous être que notre propre sagesse » (I, 25). Ainsi, à condition de ne pas répéter simplement ce que d’autres ont écrit, la littérature affine notre jugement, nous apprend à réfléchir sur notre vie et sur nous même.

Les Essais de Montaigne, par exemple, nous enseignent un art de vivre, issu de sa propre expérience : la vraie sagesse pour cet humaniste réside dans la mesure, afin de « jouir loyalement de son être ». Au siècle suivant, Molière, Racine ou La Fontaine veulent corriger les mœurs. La littérature alors devient un pédagogue moraliste: Molière fustige l’égoïsme de ceux qu’une manie obsède ; il fait rire des ridicules et des vices et nous apprend la modération en nous mettant en garde contre les Tartuffe, les Dom Juan, les profiteurs ou les médecins peu scrupuleux.

Racine dépeint les ravages de la passion amoureuse et du pouvoir ; il veut inspirer la terreur en montrant des âmes à qui la grâce a manqué, comme on l’écrira de Phèdre. Par ses apologues, La Fontaine donne des leçons de vie et critique les puissants. Ses Fables nous suivent toute notre vie : l’enfant entre dans un univers magique où les animaux parlent ; en grandissant, il en comprend « l’âme », la moralité qui enrichit sa connaissance de l’être humain. A partir du dix-huitième siècle, la littérature s’engage et dénonce. L’esprit philosophique imprègne les romans de Diderot, Marivaux ou le théâtre de Beaumarchais. Leurs œuvres qui préparent la Révolution nous montrent les dysfonctionnements de la société : la condition de la femme, les inégalités sociales, l’intolérance religieuse. Dans ses Contes, Voltaire milite pour une morale pratique qui améliore le sort de l’homme. Diderot, parallèlement à l’Encyclopédie, dénonce, dans le Supplément au voyage de Bougainville, le problème de la colonisation européenne. Cette fonction de la littérature trouve son épanouissement au siècle suivant où les écrivains, en général, jouent un rôle politique dans les régimes qui se succèdent. Ils veulent que leurs écrits remplissent une mission sociale : Flaubert lutte contre la bêtise de la petite-bourgeoisie ; dans Le Rouge et le Noir, Stendhal dévoilent les fausses promesses de la Déclaration des Droits de l’Homme ; Hugo prend le parti du progrès démocratique, jusqu’à Sand qui se penche sur la vie paysanne. C’est Zola pourtant qui approchera le mieux la condition réelle du peuple et de ce nouveau prolétariat encore dépourvu de droit. Véritable témoignage sur les conditions des paysans, des mineurs et des ouvriers, son œuvre naturaliste, malgré les excès, reste un tableau vivant de cette fin du dix-neuvième. A u siècle dernier, la littérature, marquée par les deux guerres mondiales, s’est davantage intéressée au sens de la vie, découvrant l’absurde, réfléchissant sur l’engagement et la mort.

La littérature éduque-t-elle ? Ce bref panorama le prouve : elle peut être un témoignage historique, une dénonciation sociale et politique ou une réflexion philosophique ; qu’elle soit moralisatrice ou engagée dans les problèmes de son époque, elle nous donne des leçons dont il faut, suivant le conseil de Montaigne, tirer le meilleur afin de forger notre propre jugement.

 

Au XVIIe siècle, Molière voulait corriger les mœurs en faisant rire. Il nous a laissé un catalogue des « vices » de son temps et si les « faux dévots » sont moins fréquents de nos jours, l’hypocrisie est toujours « un vice à la mode ». En lisant son œuvre, en assistant aux mises en scène de ses pièces, nous rions du ridicule des avares, des maris naïfs, des malades imaginaires, des médecins pédants, nous nous amusons avec les servantes pleines de bon sens. D’autre part, nous apprenons à mieux connaître l’être humain et ses faiblesses ; nous découvrons une morale de la juste mesure. Ainsi, cette littérature qui nous distrait ne manque pas de nous instruire. Ces deux fonctions ne s’opposent plus mais se complètent pour le plaisir du public. De même, La Fontaine continue à amuser les enfants en les plongeant dans un univers où les animaux parlent ; plus tard, ils y découvrent le tableau d’une société où les cigales, les fourmis, les mouches du coche, les grenouilles et les tortues sont bien humaines. Dans sa Préface, La Fontaine précise : « Les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimées ; par conséquent, les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. »

Derrière la « badinerie » se trouve « un sens très solide » ; « on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable de grandes choses » (Préface aux \"Fables\"). Le conteur répond donc à l’alternative « distraire ou éduquer » en nous prouvant que ces rôles s’imbriquent. Nous pourrions multiplier les exemples qui le confirment. C’est le rire que Voltaire a choisi pour défendre ses idées et nous enseigner la tolérance. Bernardin de Saint-Pierre, en écrivant \"Paul et Virginie\", a préféré émouvoir le grand public pour donner corps au mythe du Bon Sauvage. Cette pastorale diffuse les idées rousseauistes selon lesquelles le bonheur consiste à vivre selon la nature. Au siècle dernier, Boris Vian nous entraîne dans un univers fantastique où la matière cicatrise et où les souris parlent aux chats. La fantaisie, l’humour cachent une réflexion plus grave sur un monde violent dans lequel la mort est toujours gagnante. Jusqu’aux romans de science-fiction qui en nous distrayant, nous mettent en garde contre un progrès trop rapide. Harry Potter même apprend à l’enfant que la vie est faite de choix, plus importants que les aptitudes. L’institution scolaire est sans doute responsable, en partie, de cette classification entre « lecture plaisir » et « lecture éducative », avec les connotations qu’elle implique. Le plaisir peut- doit – naître de l’intérêt suscité et partant de là, la littérature qui éduque, qui enrichit la connaissance, qui nourrit la réflexion, distrait aussi, captive et réjouit.

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