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Rousseau - Gouvernement Et Obéissance

Publié le 15/09/2006

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rousseau

Rousseau, philosophe du siècle des Lumières, s’il loue l’état de nature chez l’homme, reconnaît dans Du Contrat Social publié en 1762 qu’il est préférable de désirer une société dans laquelle chacun obéit à la loi sans pour autant perdre sa liberté. Si la liberté première de l’état de nature est limitée pour que l’homme devienne citoyen, son nouveau statut doit lui permettre de la retrouver intégralement en étant désormais sous le joug de la loi. Rousseau a été marqué par les bouleversements politiques de son temps et a tenté d’apporter une réponse à la difficile conciliation de la gouvernance, de l’obéissance et de la liberté. 

Dans cet extrait, Rousseau nous présente une thèse qui peut sembler paradoxale : l’ordre et la paix assurés par un gouvernement ne suffisent pas et peuvent n’être que des apparences. Pourtant, la sécurité qu’est à même d’apporter la société humaine est l’une des qualités premières qui la différencie du monde animal. Ce paradoxe permet à Rousseau de développer son idéal de gouvernance et de société dont la volonté serait la clé. Une obéissance craintive de la loi dessert la société et le rapport de maître à esclave a tendance à dominer les relations politiques des citoyens à leur régime. Dans ce contexte, les hommes sont plus exploités pour ce qu’ils peuvent donner qu’amenés à la pleine application de leur pouvoir politique. Ainsi, selon lui seule la volonté, du gouvernement comme du peuple, d’une société juste est à même d’aboutir à une véritable paix civile et à un ordre garanti non pas par la menace de la répression, mais par la conscience de la liberté de l’autre.  Si Rousseau nous montre ici comment l’arbitraire assure le fonctionnement de la société, il révèle surtout son insuffisance à la création d’une unité sociale.  Comme le soulignait si bien Spinoza, dans une telle gouvernance, « on doit dire, non que la paix y règne, mais plutôt que la guerre n’y règne pas «. 

Dans une première partie, nous montrerons que Rousseau critique la gouvernance dans laquelle tout n’est qu’obéissance sans conscience en reconnaissant néanmoins ses qualités. Puis dans une seconde, nous mettrons à jour que cette critique lui sert à peindre un idéal politique en adéquation avec la philosophie des lumières.

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Tout d’abord, Rousseau dénonce les apparences de paix et d’ordre qui peuvent exister dans un régime dont la loi n’est pas violée. Car si la sécurité est assurée, le gouvernement est cependant responsable de ses citoyens et doit, non les limiter à un respect strict de la loi, mais les amener à être des citoyens éclairés.

Rousseau commence par un semblant de reconnaissance envers l’Etat qui aurait su faire « régner l’ordre et la paix «. Cette reconnaissance est appuyée par la répétition anaphorique de « C’est beaucoup que « : il cherche à souligner l’ampleur du travail réalisé. Il semble évident qu’assurer la sécurité de ses citoyens est une tâche difficile et indispensable à la construction d’une société.  Il reconnaît également que l’Etat est « tranquille « au sens où il n’est pas inquiété par quelque danger que ce soit et que « la loi est respectée «. Cependant, cet éloge est interrompu par la conjonction de coordination « mais « qui marque une rupture. S’il faut attribuer à ces qualités leur importance, celles-ci demeurent de loin insuffisantes : « il y aura dans tout cela plus d’apparence que de réalité « déclare-t-il. En effet, la paix et l’ordre ne sont pas réellement garantis lorsqu’ils ne sont obtenus que par la crainte de la sanction ou la menace de répression. Rousseau dénonce une « obéissance « bornée, c’est à dire non réfléchie : le respect de la loi  n’est pas la preuve que celle ci est reconnue juste par les citoyens, mais plutôt que sa violation est source de sanctions. 

Il prédit alors les futures difficultés que rencontrera le gouvernement : celui-ci se fera « difficilement obéir «. L’obéissance bornée qu’il mentionnait s’apparenterait plus à une soumission face à la menace, tandis que le verbe « obéir « est utilisé  ici pour désigner le respect imposé par la reconnaissance d’une autorité légitime. La quasi juxtaposition des termes « obéir « et « obéissance « pourtant mis en opposition permet à Rousseau d’amener le lecteur à s’interroger sur ce qu’ils doivent désigner : il l’incite à considérer qu’obéir n’est pas seulement l’acte contraint que chacun croit mais doit surtout être un choix appuyé par la reconnaissance d’une justice. Ainsi, si le gouvernement sait imposer par la contrainte l’ordre et la paix, il doit chercher à avancer dans la construction de la société et faire que son peuple lui prête une autorité. Rousseau montre qu’il est impossible de maintenir indéfiniment une société par la force, et que par conséquent celle-ci doit être conduite à l’autonomie.  Montesquieu peignait ce même état de paix qui règne lorsque chacun n’agit pas de façon malveillante grâce à la conscience de la portée de son acte : « il est heureux pour les hommes d’être dans une situation où, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d’être méchants, ils ont pourtant intérêt de ne pas l’être. «

Rousseau critique alors ouvertement cette attitude du gouvernement. Il dénonce un gouvernement qui se complait dans la facilité en employant « les hommes tels qu’ils sont « au lieu de chercher à les guider pour « les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient «. Il considère que l’Etat est responsable de ses citoyens : faire des hommes ce dont on a besoin est une entreprise nécessaire pour que la loi imposée soit reconnue et cela a bien plus de valeur à ses yeux (« il veut beaucoup mieux encore «). La société a besoin de normes mais puise sa force dans ceux qui la composent et respectent ses normes. Gouverner ne consiste pas tant à faire respecter ces normes, qu’à former des citoyens par l’éducation et les convaincre du bien fondé des normes qui pourront être modifiées par un futur gouvernement choisi par un peuple éclairé. Le gouvernement doit s’assurer que la société avance vers l’autonomie grâce à l’instruction et à une implication effective. Rousseau ajoute la notion d’autorité « absolue « qui « pénètre jusqu’à l’intérieur de l’homme et ne s’exerce pas moins sur sa volonté que sur ses actions «.  Cette autorité est un idéal, elle doit être ancrée en chacun par sa légitimité. Elle s’oppose à la notion d’obéissance évoquée au dessus. Sa légitimité lui permettrait, contrairement à l’obéissance motivée par la crainte, d’avoir la capacité non de limiter l’acte mais de faire périr le désir même d’un acte malveillant. Cette autorité en chacun permettrait une sorte de conscience collective de ce qu’est le bien ou le mal et donc de corriger la volonté courbée de chacun en une volonté de droiture.

Le contrôle de la volonté constitue pour Rousseau la clé d’une porte menant à l’autonomie : empêcher l’acte est une réussite mitigée comparé à faire désirer par l’autorité seul ce que la loi autorise.  Rousseau nous mène alors à son idéal politique : celui d’une société autonome. 

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En effet, si Rousseau a critiqué une gouvernance arbitraire, il commence à tracer les traits de ses idéaux de gouvernement et de société. Il démontre le gouvernement doit changer en premier, car ses citoyens ne sont que son reflet, puis revient sur la notion de volonté. 

On peut considérer que la maxime « Il est certain que les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être « coupe le texte en deux parties.  Elle met fin au rythme binaire qui servait à la démonstration de Rousseau  (ce qui semblait bien, ne l’était pas tant) et introduit sa réponse au problème. Puisque « les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être «, c’est le gouvernement avant tout qui doit changer de gouvernance.  Rousseau affirme comme une évidence cette maxime (« il est certain « qui rappelle d’ailleurs l’enseignement de Voltaire « il est certain qu’il faut voyager «) qui est pourtant très complexe. Chaque gouvernement a pour rôle de construire la société à travers la fonction que l’on lui a confiée, si une société au lieu d’aller vers la raison, se dirige vers l’obéissance simple on peut alors le reprocher au gouvernement. Ce rôle est assuré par l’éducation comme on l’a vu et le gouvernement doit chercher à être « l’autorité la plus absolue «. Pour cela, il se doit d’être respectable et l’arbitraire représenté par la figure du « prince « doit être aboli afin de mener les peuples à l’autonomie. Tout homme n’étant que le reflet de son gouvernement : mépriser son citoyen ou ses « sujets « est le signe de son propre échec ; « il n’a pas su les rendre estimables « clame Rousseau. Tout gouvernement s’il veut réussir doit avoir conscience de la portée de ses décisions sur l’intellectualisme et les relations sociales.

Après avoir incité tout gouvernement à se remettre en question, Rousseau utilise un rythme tertiaire pour peindre son idéal  de citoyen. La condition de « sujets « n’est pas valorisée, Rousseau lui préfère des « Guerriers, citoyens, hommes «. Le terme de « guerriers « renvoie au côté héroïque et noble, à l’art de la guerre, à l’honneur de celui qui sait mourir pour sa patrie. Autant de valeurs qui permettent l’unité, entrainent une certaine fierté et donc la base d’un nationalisme. Il est essentiel que le gouvernement soit une autorité, sinon aucun homme ne le défendra. Ces valeurs de la guerre s’opposent aux images véhiculées par le terme « canaille « qui ne se bat pas pour une cause mais sème le trouble dans la société. Le terme « citoyens « souligne l’importance du côté raisonnable de l’homme : il s’agit d’obéir par choix, de s’impliquer dans la vie politique, d’être responsable. Rousseau est attaché à la raison et à la connaissance qui sont au cœur de son siècle. L’homme idéal doit chercher à se cultiver et à acquérir la connaissance afin d’exercer son droit et devoir de citoyen en pleine connaissance de cause. Cette conscience de soi et de son devoir s’oppose à l’ignorance de la « populace « largement dépréciée ici par le philosophe. L’inculture n’a plus sa place dans une société qui obéit au lieu de se limiter à l’obéissance : l’autonomie nécessite un effort intellectuel. Enfin, le terme « hommes « englobe les qualités que l’on a tendance de qualifier d’humaines : gentillesse, compassion, capacité d’entraide. Il est important que si chacun assume son rôle dans la république, il ne vive pas pour autant dans un individualisme exacerbé. Rousseau, par l’opposition des verbes « veut « et « plait « souligne qu’il est bien plus facile de former « populace et canaille « qu’une société estimable. 

Enfin, Rousseau conclut son texte en s’adressant directement au gouvernement par des impératifs « formez « « faites «. Il cherche à les faire agir dès à présent et pour cela évoque à nouveau la nécessaire volonté. Pour réussir à accéder à la société autonome décrite, les hommes au pouvoir doivent avant tout le vouloir et y réfléchir (« songer «). Rousseau énonce également une autre qualité nécessaire à l’acquisition de « l’autorité la plus absolue « : l’amour de la loi qu’elle crée. L’obéissance réelle doit être motivée par une loi juste, et si une loi est juste alors elle est aimée du peuple. On reconnaît l’idéalisme de Rousseau, où les hommes bons par nature, aimeraient spontanément une loi légitime. Ainsi, le gouvernement idéal doit se doter de lois aimées puisque justes qui seraient respectées par des hommes éclairés. Grâce à cela, le gouvernement ne mépriserait plus ses citoyens (« populace «) mais les estimerait, et se reconnaîtrait en eux : la monarchie ou l’arbitraire dans lesquels un prince commande à ses sujets  est remplacée par une société où des hommes commandent à des hommes. Rousseau pense que cette volonté de gouverner intelligemment est un devoir. De la même manière que le peuple se doit d’obéir aux lois, l’Etat se doit de se doter de lois justes.

 

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Tout au long du texte, Rousseau a su différencier l’obéissance de la soumission, le légitime de l’arbitraire et l’autorité de la domination. Une société bien policée n’est pas forcément une société bien gouvernée. L’enjeu n’est pas tant de contrôler les actes des citoyens que de jouer sur leur volonté d’agir. Pareillement aux hommes qui « croient être libres, parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leurs désirs, et ne pensent pas, même en rêve, aux causes qui les disposent à désirer et à vouloir, puisqu'ils les ignorent. « (Spinoza), le gouvernement croit avoir rempli son rôle une fois l’ordre établi alors que ce n’est qu’une étape nécessaire à l’autonomie du peuple et à la légitimité de l’Etat.

Rousseau aborde la question avec une certaine naïveté car une loi juste n’est pas forcément aimée : tout citoyen ne désire pas être obligé à la loi quand bien même celle-ci est juste. S’il faut reconnaître que l’autorité ancrée en chacun assurerait sans aucun doute la paix civile, il faut cependant admettre qu’elle est irréalisable. Le gouvernement et le peuple, même si ce dernier est impliqué dans la vie politique, restent séparés par une distance qui empêche un plein sentiment de devoir envers l’Etat et ce sentiment s’il a pu être obtenu largement, alors ne l’a pas été par la raison mais par la propagande et un nationalisme exacerbé. Actuellement, le système démocratique semble répondre aux principales exigences de Rousseau : il forme ses citoyens, rend un gouvernement responsable de ses actes et cherche l’obéissance tout en préservant droit et liberté.  Cependant, toutes ces valeurs sont courbées par la nature même de l’homme, imparfait et insatisfait qui se laisse dominer par sa soif de pouvoir, son ambition.  Comme le communisme, idéologiquement un système prometteur puisque sans privilège pas d’inégalité, a sombré à chaque fois dans le totalitarisme ; la démocratie, réalisation de l’unité sociale et du maintien des libertés reste selon Churchill « le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres «.

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