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ROUSSEAU: Inégalité naturelle et société

Publié le 26/04/2005

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Il est aisé de voir que c'est dans ces changements successifs de la constitution humaine qu'il faut chercher la première origine des différences qui distinguent les hommes, lesquels d'un commun aveu sont naturellement aussi égaux entre eux que l'étaient les animaux de chaque espèce, avant que diverses causes physiques eussent introduit dans quelques-unes les variétés que nous y remarquons. En effet, il n'est pas concevable que ces premiers changements, par quelque moyen qu'ils soient arrivés, aient altéré tout à la fois et de la même manière tous les individus de l'espèce; mais les uns s'étant perfectionnés ou détériorés, et ayant acquis diverses qualités bonnes ou mauvaises qui n'étaient point inhérentes à leur nature, les autres restèrent plus longtemps dans leur état originel; et telle fut parmi les hommes la première source de l'inégalité, qu'il est plus aisé de démontrer ainsi en général que d'en assigner avec précision les véritables causes. Que mes lecteurs ne s'imaginent donc pas que j'ose me flatter d'avoir vu ce qui me paraît si difficile à voir. l'ai commencé quelques raisonnements. J'ai hasardé quelques conjectures, moins dans l'espoir de résoudre la question que dans l'intention de l'éclaircir et de la réduire à son véritable état. D'autres pourront aisément aller plus loin dans la même route, sans qu'il soit facile à personne d'arriver au terme. Car ce n'est pas une légère entreprise de démêler ce qu'il y a d'originaire et d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme, et de bien connaître un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. ROUSSEAU

Civilisation et vie en société accroissent l'inégalité naturelle de l'espèce humaine : telle est la thèse que soutient ici Rousseau, thèse d'une résonance tout à fait moderne. On reconnaîtra dans ce texte l'opposition de l'homme à l'état de nature avec l'homme en société, opposition sur laquelle Rousseau a construit une partie de sa philosophie politique. Suivez bien le raisonnement de Rousseau, qui compare sous différents angles les inégalités naturelles avec les inégalités sociales, en particulier celles dues à l'éducation, qui amplifie toutes les différences et surtout les avantages que l'on peut en tirer. C'est dans cette sphère que l'institution de l'égalité peut jouer un rôle important.

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« culturel » : il ne connaît pas plus de hiérarchie que les animaux n'en connaissent.

Notons que les différences à lasource de l'inégalité sont introduites, elles sont produites par les circonstances, par des « causes physiques ».La conséquence de cette thèse est la suivante : l'inégalité actuelle ne peut trouver dans la nature humaine unejustification.

Certains, comme Calliclès dans le dialogue Gorgias de Platon, soutiennent au contraire que l'homme estpar nature sujet à l'inégalité.

La conception rousseauiste d'un état de nature presque animal s'opposevigoureusement à cette légitimation de l'inégalité grâce à la notion de « nature ».La deuxième phrase du texte écarte une objection adressée à la conception « artificialiste » de l'inégalité quepropose Rousseau.

Si l'on se place dans l'hypothèse adverse où les hommes sont par nature inégaux, on aboutit eneffet, aux yeux de Rousseau, à une conséquence indéfendable.

Car, dans ce cas, les changements apportés parl'histoire n'introduiraient pas de différences entre les hommes : ils auraient donc « altéré tout à la fois et de la mêmemanière tous les individus».

En somme, il faudrait affirmer que des bouleversements historiques identiques seproduisent en même temps et de la même façon pour tous les hommes.

Or, cela est manifestement intenable, dansla mesure où l'histoire est précisément faite d'événements particuliers et parfois contingents, et non de mouvementsuniversels et nécessaires.

Pour finir ce premier développement, Rousseau explique le mécanisme selon lequel les hommes passent de l'égalitéuniforme de l'état naturel aux différences hiérarchisées que l'on constate aujourd'hui.

Ces dernières ne sont pas «inhérentes à leur nature », mais eues sont acquises.

Parce que l'inégalité est acquise et non innée, elle prend sasource dans la culture et non dans la nature.

Les changements issus de l'histoire ne sont pas non plus simultanés.Les hommes abandonnent à des rythmes différents l'état de nature, ce qui renforce les décalages entre les hommes.Si Rousseau affirme avec force le caractère historique des sources de I inégalité, il ne prétend pourtant pas endécrire les origines précises.

Cette phrase est surprenante pour le lecteur, qui attendait de Rousseau unedescription détaillée de l'état de nature.

Est-ce à dire que Rousseau renonce à accomplir son projet? Faut-il voirdans cette prudence apparente une contradiction avec la tâche qu'il s'était fixée : montrer l'égalité des hommes àl'état de nature?Rousseau réaffirme la modestie de son entreprise: « Que mes lecteurs ne s'imaginent donc pas que j'ose me flatterd'avoir vu ce qui me paraît si difficile à voir.

» Comment comprendre ces phrases? S'agit-il d'une simple captatiobenevolentiae, c'est-à-dire d'une clause de style courante par laquelle l'auteur s'attire la bienveillance de sonlecteur en atténuant le mérite et la portée de son oeuvre? Il semble bien plutôt que la position de Rousseau montreune grande cohérence : c'est justement parce que les inégalités ont profondément et irrémédiablement déformé lanature de l'homme qu'il est si difficile de se faire une idée de l'état naturel de l'homme.

La distance qui séparel'homme de l'état de nature est la conséquence du caractère artificiel de l'inégalité, mais c'est aussi la cause de ladifficulté que nous éprouvons à nous reporter à ce qui la précède.

C'est pour cette raison que Rousseau soulignel'impossibilité « d'arriver au terme » d'une régression vers l'état de nature.Une question se pose alors : si Rousseau se prétend lui-même incapable de décrire de façon précise l'état denature, s'il renonce lui-même à détailler les causes de l'inégalité, quel statut peut bien avoir l'état de nature dans saréflexion ? La fin du texte apporte des éléments de réponse inattendus à cette interrogation.

Le but de Rousseau enenquêtant sur l'origine de l'inégalité est de « démêler ce qu'il y a d'originaire et d'artificiel dans la nature actuelle del'homme ».

En somme, il veut mettre en évidence la nature humaine en la débarrassant de tous ses ajouts culturelsque l'on a pris, avec le temps, pour des caractéristiques naturelles.

Mais l'objectif de Rousseau n'est pas seulementde réaliser un exposé complet de la nature humaine.

Sa perspective est également critique : grâce à l'idée d'état denature, il peut récuser toutes les thèses pour lesquelles l'inégalité est inscrite dans la nature et remettre enquestion l'ordre politique et social très hiérarchisé de son époque.Son entreprise n'est donc au fond pas descriptive, il ne se soucie pas de dépeindre avec exactitude l'homme à l'étatde nature.

Il affirme d'ailleurs que cet état « n'a peut-être point existé ».

Il ne fait donc pas oeuvre d'histoire en oud'archéologue, mais il veut constituer les bases d'une critique de l'inégalité.

Et l'état de nature lui sert de normepour discriminer le naturel, c'est-à-dire le légitima, et le culturel, ce qui n'est que contingent.

L'état de nature n'estpas la première période de l'histoire, il se situe en dehors de l'histoire et peut ainsi servir à la juger. Cet extrait permet de rectifier un certain nombre d'inexactitudes concernant la conception rousseauiste de l'état denature.

Ce dernier n'est pas un idéal vers lequel il conviendrait de revenir.

En ce sens, Rousseau ne compose pasune utopie, il n'est pas le doux rêveur que voulait voir en lui Voltaire.

L'intérêt philosophique de ce texte est desouligner la distance qui sépare l'état de nature de l'histoire des hommes, des inégalités qu'elle engendre, etd'acquérir ainsi un critère de jugement sur la culture. ROUSSEAU (Jean-Jacques). Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux Charmettes chez Mme de Warens, àMontmorency chez Mme d'Épinay, ses travaux de musique, sa persécution par les catholiques comme par les. »

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