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SCÈNE 3 - ACTE I de DOM JUAN de Molière

Publié le 22/02/2012

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Une scène dramatique: On distingue quatre mouvements dans l'organisation de cette scène dont la gradation savamment conduite va mener progressivement Elvire vers la lucidité et vers la rupture. Dans cette pièce si riche en contrastes, cette scène dramatique introduit le ton de la tragédie. D'abord, Elvire expose ses états d'âme et, avec une grande sincérité mais aussi une grande clarté, elle retrace les différentes étapes de réflexion et d'angoisse par lesquelles elle est passée pour trouver une explication au départ de Dom Juan. Ensuite, Dom Juan, embarrassé, refuse de répondre lui-même, et prie son valet de répondre à sa place. Sganarelle bredouille des stupidités. Cette situation humiliante amène Elvire à réagir avec dignité mais aussi avec une ironie mordante qui fouette l'amour-propre de Dom Juan. Ce dernier décide alors de relever en quelque sorte le défi et imagine une parade astucieuse. Pour la première fois de la pièce, il joue l'hypocrite, annonçant ainsi son ultime métamorphose au dernier acte. Il prétend qu'il a renoncé à Elvire par scrupule religieux. Il feint si bien la dévotion qu'au début Elvire semble se laisser prendre à son jeu et croire à cette feinte dévotion. Mais, soit par calcul, soit par une dérision volontaire, Dom Juan commet une bavure stylistique qui tranche sur le ton de son discours. Elvire comprend alors qu'elle a été jouée. Elle pousse un cri de colère et de désespoir et quitte Dom Juan en le menaçant du Ciel. Dom Juan ricane. Elle lui annonce alors son intention de se venger de cet affront. Mais Dom Juan ne pense qu'à ses nouvelles amours.
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« qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens,assurée que vous suivrez mes pas le plus tôt qu'il sera possible; qu'il est certain que vous brûlez de me rejoindre, etqu'éloigné de moi, vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son âme ? Voilà comme il faut vousdéfendre, et non pas être interdit comme vous êtes.

»Elvire prête à Dom Juan ses propres sentiments.

Elle veut lui entendre dire ce qu'elle ressent elle-même, ce qu'il estincapable de ressentir.

A travers ce couple disloqué, ce couple au fond inexistant, qui n'a jamais existé, Molière areprésenté le drame de tous les couples, il a donné une vision théâtrale, extraordinairement humaine de cettedissociation fondamentale entre les sexes qu'Apollinaire a appelée « l'éternité séparée de l'homme et de la femme ».Peut-être en Dom Juan et en Done Elvire a-t-il aussi dans une certaine mesure peint le désir masculin et le désirféminin dans leur absolue différence.Et Dom Juan va relever le défi.

Il va servir à Done Elvire un superbe morceau de consolation. La dérobade hypocrite de Dom Juan Son discours porte la marque d'une ironie qui est la réponse à la blessure d'amour-propre qu'Elvire vient de luiinfliger, non en le suspectant d'infidélité, c'est pour Dom Juan la moindre des choses, mais en se moquant de sonincapacité à mener jusqu'au bout le jeu dans lequel il se vante d'être passé maître.

Dom Juan ménage savammentses effets : « Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre,puisque enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir...

» Il ajoute aussitôt une transition qui vient atténuer la cruauté de l'aveu, le pire qu'une femme amoureuse puisseentendre.

Il n'a fui Elvire que par « un pur motif de conscience et pour ne pas croire qu'avec vous davantage jepuisse vivre sans péché ».Et Dom Juan développe un raisonnement impeccable que le plus savant casuiste pourrait lui envier.

Il prévientl'objection que Done Elvire va lui rétorquer : étant son époux il se doit avant tout à son devoir conjugal, le mariagea sanctifié leur union.En arrachant Done Elvire au couvent, il l'a volé à son époux céleste, à Dieu.

C'est ce mariage là qui a la priorité surle mariage terrestre : « ...

j'ai cru que notre mariage n'était qu'un adultère déguisé ».Le Ciel lui a donc ouvert les yeux et promis sa grâce à condition qu'il renonce à l'amour d'Elvire.

Dom Juan présenteson infidélité comme un sacrifice durement consenti.

En procédant ainsi, il réussit à s'épargner les fureurs d'uneamante trahie, la vengeance que sa famille pourrait tirer d'un abandon déshonorant.

Enfin, il se libère surtout sanséclat d'un lien qui lui pèse : il pourra voler vers d'autres amours.En même temps, il domine une situation où jusqu'à présent il n'était pas à son avantage, puisqu'il avait laissé voirune confusion qui avait été remarquée.Mais sa langue va malencontreusement ou volontairement fourcher.

Dom Juan, comme il arrive à certains comédiens,« en l'ait trop ».

Il va montrer son jeu.

Il emploie une expression familière qui laisse percer l'ironie : « Voudriez-vous,Madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le Ciel sur les bras...».Jusqu'à cette dernière phrase, Dom Juan avait parfaitement copié le langage de la dévotion; ici, il devient évidentpour Done Elvire que ce n'est pas le dévot qui parle, mais le libertin.Le silence avec lequel Elvire a laissé Dom Juan développer sa pieuse démonstration suggère que jusqu'à ce momentelle a été dupe.Sa déception et son indignation ne seront que plus fortes, plus amères.

Elle voit alors brusquement Dom Juan « telqu'en lui-même », elle refait dans un éclair leur histoire en se le représentant tel qu'il est et non tel qu'elle voulaitqu'il soit, tel qu'elle l'imaginait.Il est frappant que dans ce dialogue ils suivent tous les deux des voies divergentes.

Elle avec sa soif d'illusion, deremède, parle malgré tout à Dom Juan un langage « commun », le langage de la communication, fût-il justementcelui d'une « scène ».

Lui faisant « une scène », elle est encore dedans, elle se place encore à l'intérieur de leurliaison.Tandis que Dom Juan est déjà ailleurs, il est dehors.

Pour lui Elvire n'existe plus, elle fait partie de son histoire, de sacollection, elle est un trophée de plus.

Peut-être à sa manière, comme il l'a expliqué à Sganarelle, l'a-t-il quittéepour être fidèle à un beau souvenir, pour ne pas corrompre ce souvenir par l'habitude, par l'ennui de la vieconjugale.

Elvire veut que Dom Juan soit fidèle dans la durée, Dom Juan ne peut être fidèle que dans l'instant, fidèleà l'instant irrémédiablement enfui où son désir était tout neuf.En répondant à Done Elvire, en adoptant la tactique de l'hypocrisie, Dom Juan suit une logique qui est complètementétrangère à Elvire.

Il veut rester le maître de la situation, le vainqueur, c'est pourquoi il a essayé de perpétuerl'illusion.Comme toujours, le moment de la rupture est le moment de la vérité, quand les deux anciens amants se regardenttels qu'ils sont dans leur irrémédiable différence. L'amour sans amour C'est un coup de génie de Molière que d'avoir opposé à Dom Juan un personnage de la stature de Done Elvire.

Il fait. »

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