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Schémas innés du compagnon-parent et du compagnon-enfant (document)

Publié le 27/08/2011

Extrait du document

 

Le non-spécialiste peut difficilement admettre qu'un oiseau ne reconnaisse pas, quoi qu'il arrive, d'une manière innée et purement instinctive, ses congénères comme tels. Et pourtant, ce n'est le cas que pour une infime minorité d'entre eux. A l'opposé de tous les petits mammifères étudiés à cet égard, les jeunes oiseaux qui ont grandi à l'écart des leurs ne reconnaissent pas comme leurs semblables les congénères avec lesquels on les met en contact, ce qui signifie que ces congénères ne déclenchent pas chez eux les comportements correspondant normalement aux congénères. En revanche, les petits de la plupart des espèces d'oiseaux, quand, isolés de leurs semblables, ils ont été élevés par l'homme, reportent sur ce dernier les actes instinctifs correspondant aux congénères. (p. 36).

Sius recueillons une oie cendrée immédiatement après l'éclosion de l'oeuf, l'ensemble des actes instinctifs :1éliés aux parents s'orientent aussitôt vers l'homme. Certes on peut, à condition d'observer quelques règles de prudence, amener de jeunes oies cendrées écloses artificiellement dans une couveuse à suivre une mère oie conduisant ses petits. Mais il ne faut pas qu'elles aient vu nettement un homme entre l'éclosion et la substitution sous la mère oie, car sans cela, l'instinct qui la pousse

« suivre « est reporté sur l'homme. (p. 38).

Dans de nombreux cas, comme dans celui du canard col-vert, le compagnon-parent est caractérisé pour le jeune oiseau par son cri d'appel ou de conduite. Il semble qu'en général les signes innés du compagnon ressortent plus souvent du domaine acoustique que de n'importe quel autre domaine des sens (...). Je pris à leur sortie de l'oeuf, au début de l'été 1933, trois canetons col-vert couvés par une cane à ponte fréquente et six petits canards du même âge issus d'un croisement cane col-vert. Dès le séchage des petits je m'occupais d'eux à maintes reprises tout en imitant le cancanement cri - conduite de la mère : j'occupais les jours suivants, ceux de la Pentecôte heureusement, exclusivement à cancaner. Cette expérience pleine d'abnégation réussit. La première fois que je posai les canetons en liberté sur un pré, les y abandonnant et m'éloignant en cancanant, ils firent immédiatement entendre le « sifflement de l'abandon « commun sous une forme quelconque à tous les petits qui quittent le nid. Tout comme l'aurait fait une véritable cane, je revins vers les petits en les entendant siffler et recommençai à m'éloigner doucement, toujours cancanant : cette fois je mis promptement en branle la bande serrée sur mes talons. A partir de ce jour, ces canards me suivirent avec presque autant d'empressement et d'assurance qu'ils l'auraient fait pour leur mère véritable. Le succès de cette expérience prouve, à mon avis, que pour les canetons col-vert, c'est le cri de la mère qui constitue le signe fondamental du compagnon-mère. Par la suite il ne me fut plus possible de m'arrêter de cancaner car, sans cela les petits commençaient aussitôt à siffler. C'est seulement quand ils furent plus âgés que je restai leur compagnon-mère, même en me taisant (p. 53).

Même dans le domaine de la vue ce n'est pas l'image courante du compagnon-parent qui est innée, mais comme pour les autres sens, « un schéma • relativement simple composé de peu de signes.

« Tout ce qui est inné • ne fait pas son apparition immédiatement I après l'éclosion de l'oeuf. Un exemple nous en est fourni par la réaction totalement instinctive à la cérémonie des salutations du héron bihoreau. Considérons de près cette dernière, car c'est un bon exemple de « déclencheur «. Comme c'est le cas de nombreux actes instinctifs, déclenchés entre autres par une excitation optique, il y a parallèlement un organe corporel « signal « qui déclenche l'acte. Chez le Nycticorax cet organe est constitué sur la tête de l'oiseau par une huppe de plumes beaucoup plus longues, plus noires et érectiles dont émergent trois plumes de la nuque d'un blanc neigeux, érectiles aussi et en outre susceptibles de s'écarter latéralement. Il serait faux de considérer ces plumes comme un ornement car elles servent en fait à provoquer chez un congénère une réaction spécifique bien déterminée. Pendant la salutation le bec reste tourné vers le bas et la tête, avec sa huppe noire hérissée et les trois plumes blanches qui en émergent, est tendue vers celui qui reçoit le salut. Vu de face ce disque noir et les trois lignes blanches bien dessinées, divergeant vers le haut, opèrent comme un signal. La réaction instinctive, déclenchée par ce signal spécifique, n'est pas une action mais une inhibition ; ce signal inhibe la réaction de défense, très forte chez les hérons et qui est sans cela déclenchée par toute approche d'un congénère.

Chez de très nombreux nidicoles la simple présence des petits dans le nid

est un facteur déclencheur de divers actes instinctifs, mais avant tout de la fonction de réchauffement de la progéniture. (...) De nombreux oiseaux ne réagissent aux excitations émanant des petits que quand ceux-ci se trouvent à l'intérieur de la dépression formée par le nid. Des fauvettes nouveau-nées, portées sur le bord du nid par un jeune coucou parasite, ne sont absolument pas prises en considération par l'adulte en train de réchauffer le coucou au creux du nid, bien que son bec ne soit qu'à quelques centimètres des oiseaux expulsés en train de mourir de froid. (p. 100).

K. LORENZ - Essais sur le comportement animal et humain (1935). Ed. du Seuil (traduction 1970).

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