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Science et frontières.

Publié le 23/04/2011

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   Si l'on consulte les « Bulletins of Atomic Scientist « qui paraissent régulièrement depuis la guerre, on s'aperçoit que les problèmes de l'utilisation de la science, de ses applications, préoccupent les plus grands savants. Cette inquiétude revient très souvent sous des formes diverses et les meilleurs (...), des Einstein par exemple, ont toujours été préoccupés — voire torturés — par ces problèmes. Il ne s'agit pas en fait d'une simple sensiblerie ou d'une pure attitude intellectuelle d'un homme sans grand contact avec la réalité matérielle quotidienne, il s'agit d'un phénomène beaucoup plus profond et universel. On peut vraiment dire que l'homme de science participe fondamentalement à un mouvement qui définit progressivement une sorte de pôle de l'humanité dans sa généralité. Expliquons-nous ; les langages scientifiques, les méthodes utilisées pour l'expérimentation ou la théorie, la façon d'aborder les problèmes, d'essayer de les cerner, de les résoudre, de discuter les résultats, tout cela constitue un ensemble parfaitement défini et valable à l'échelle planétaire. Où que l'on soit, dans quelque laboratoire que l'on travaille, on opère de la même façon pour l'investigation scientifique. C'est bien la même approche qui s'effectue en Asie, en Europe, en Amérique, et lorsque l'on fait un stage loin de chez soi, l'on s'intègre à un groupe dont on comprend les modes de pensée et les réactions — pour ne parler que de ce qui est du strict domaine de la science — où ces pensées et ces réactions sont les mêmes. Autrement dit, lorsqu'un compte rendu de travaux est présenté (...), la lecture de la publication ne donnera pratiquement pas d'information sur la race des signataires, sur le pays auquel ils appartiennent, sur leur conception philosophique ou religieuse...    Ainsi la science développe, progressivement et avec une amplitude croissante, tout un ensemble de données à caractère universel et comme elle intervient de façon très puissante dans la pensée, la mentalité, le mécanisme cérébral des hommes, il est certain que le scientifique participe à une entreprise de planétisation. On comprend que les frontières n'aient pas grand sens pour lui, on comprend qu'il puisse passer facilement de Saclay à Berkeley (1), ou à tout autre centre où il pourra rencontrer un groupe similaire. On conçoit qu'il existe véritablement une fraternité scientifique, une véritable fraternité d'hommes qui participent au même mouvement dont Tune des résultantes est un abaissement des barrières entre les divers groupes ethniques.    On peut bien le ressentir en considérant le reste, ce qui n'est pas du strict domaine scientifique, mais qui implique une option de réflexion personnelle. L'humanité est alors divisée et chaque partie en est souvent reconnaissable : un avocat chinois ne procède pas selon les mêmes méthodes qu'un avocat américain ou qu'un avocat musulman. On peut sans doute reconnaître au plaidoyer, au déroulement de la pensée, au développement des arguments, le caractère d'un avocat ou peut-être d'un commerçant, et sans doute, pour ce qui est des options philosophiques ou religieuses, les choses sont-elles encore plus différenciées. Alors les frontières comptent, tout au moins les frontières qui correspondent aux grands groupes ethniques ou aux communautés : chrétiennes, mulsulmanes, bouddhistes...    C'est bien pour cela que l'homme de science jette un regard inquiet sur les applications, sur l'usage que Ton fait de la science. Certaines d'entre elles ont sans doute un caractère d'unification (...), Mais il est bien certain qu'il se trouve, parmi les applications, des possibilités d'obtenir des effets contraires a ceux que la science cherche à apporter et apporte en fait. Par exemple l'utilisation de la bombe atomique ou d'armes chimiques est susceptible de couper l'humanité en plusieurs groupes hostiles, ce qui est l'effet radicalement contraire à celui souhaité par la science. Cette mystique de l'union des hommes, de la compréhension à travers les continents, est très profondément ancrée dans l'âme de tout scientifique. Ainsi tout ce qui risque de briser ces possibilités d'union apparaît comme un tragique potentiel et suscite chez les grands savants de graves inquiétudes. La science, utilisée dans ses applications pour réintroduire des barrières, des animosités, des hostilités entre les hommes, apparaît aux scientifiques comme une source d'une redoutable calamité.    Louis Leprince-Ringuet, Des atomes et des hommes (1966).    Vous ferez d'abord de ce texte soit un résumé (simple réduction du passage), soit une analyse.    (1) Berkeley : ville des États-Unis d'Amérique (Californie), université.     

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