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La science en quête d’humanité

Publié le 17/12/2012

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Science et vie Entrevue Marie-Hélène Parizeau La science en quête d'humanité À quoi sert une avancée technologique ? Quels sont les risques de telle technique ? Entraînera-t-elle des problèmes de santé irréversibles, des conséquences environnementales catastrophiques ? Agit-on C. HAYEUR / AGENCE STOCK pour le bien public ou pour le profit d'un petit groupe ? Quel genre d'humanité est-on en train de construire ? Toutes ces questions passionnent Marie-Hélène Parizeau, professeure à la Faculté de philosophie de l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bioéthique et éthique de l'environnement. De son propos sensible émanent un portrait critique de la modernité et un certain espoir que l'on débatte enfin en profondeur des problèmes éthiques soulevés par la science. RND S e p t e m b r e 2 0 0 4 17 RND La science est-elle bienfaitrice de l'humanité ou de plus en plus porteuse d'insécurité collective ? On répondra différemment à cette question selon que l'on se trouve en Occident ou ailleurs, c'est-à-dire en dehors de l'Amérique et de l'Europe. Par l'Occident, je désigne ici les pays qui ont développé la science et les institutions, nourri une certaine conception des droits humains, encouragé la laïcité et le pluralisme des valeurs. Toutes ces caractéristiques modèlent notre société et notre façon d'appréhender le monde. Si l'on remonte le cours du temps, on constate que l'Occident a d'abord perçu les avantages de la science et de la technique. Pensons à certaines avancées du XIXe siècle comme le train, le télégraphe ou les découvertes de Pasteur. Ces percées laissent alors une impression d'essor très positif de la science. Cette dernière est en effet associée au progrès. On bénéficie de meilleures conditions d'hygiène. On éloigne les maladies. On améliore l'organisation sociale. Les modes de vie se modernisent. En revanche, la science donne aussi lieu à des perceptions négatives. L'effet de la modernisation entraîne l'exode des campagnes, par exemple. La société est davantage axée sur la production. Puis survient le drame d'Hiroshima. La première bombe atomique entraîne quelque 140 000 personnes dans la mort. À mon avis, la conscience de l'ambivalence de la science coïncide avec cet événement. Dès lors, la science devient moins neutre qu'elle en avait l'air. Elle rime avec progrès, certes, mais elle est aussi synonyme d'exploitation, d'appauvrissement, d'urbanisme échevelé, de 18 déshumanisation. À partir des années 60 en effet, on s'aperçoit que ce que l'on gagne sur le plan du confort et de la qualité de vie, on le perd sur le plan de certaines valeurs. D'autres éléments expliquent aussi cet éveil des consciences par rapport à l'ambivalence de la science. Pensons au contexte politique : la libération des colonies, la guerre froide. RND Les problèmes environnementaux n'ont-ils pas aussi contribué à cet éveil ? Tout à fait, et il faut dire que les exemples de catastrophes n'ont pas manqué : l'explosion d'un réacteur à Tchernobyl, l'accident nucléaire de Three Mile Island, l'échouage de grands pétroliers provoquant des marées noires dévastatrices, les explosions chimiques de Bhopal et de Toulouse. Au-delà de ces fléaux, des phénomènes éveillent aussi de l'inquiétude. Je pense par exemple au transgénisme, ce qu'on l'on appelle les OGM. Nous nous interrogeons de plus en plus sur la pertinence de cette nouvelle technologie. Nos sociétés ont également mis en place des mécanismes régulateurs qui collent de plus en plus près au développement des sciences et des techniques, afin d'encadrer davantage l'utilisation de cette technique et d'évaluer les risques. Enfin, en ce début de XXIe siècle, la multiplication des problèmes environnementaux nous rend encore plus inquiets au regard de la science. Nous savons que les nouvelles technologies sont de plus en plus puissantes et qu'elles peuvent engendrer des risques à la hauteur des espoirs qu'elles portent. Nous sommes conscients de la grande fragilité de la RND S e p t e m b r e 2 0 0 4 En ce début de XXIe siècle, la multiplication des problèmes environnementaux nous rend encore plus inquiets au regard de la science. J.-M. VILLENEUVE RND planète face au pouvoir de plus en plus marqué de la science contemporaine. Par ailleurs, nous nous montrons un peu plus critiques à l'endroit de certaines réalités. Prenons l'exemple de la lutte contre le cancer. Dans les années 60, tous les espoirs étaient permis par rapport aux efforts déployés en vue de vaincre cette maladie. Quarante ans plus tard, on constate bien sûr certains progrès. Cependant, notre compréhension des formes de cette maladie a relativement peu évolué dans les traitements, pas plus que notre compréhension intime des mécanismes du cancer. En somme, notre perception de la science a quelque peu changé avec le temps. Comment les non-Occidentaux voient-ils la science ? Du côté des non-Occidentaux, la science et la technique sont perçues de manière bien différente. Personnellement, je suis engagée dans la coopération internationale au MoyenOrient, au Liban plus précisément. Dans ces pays que l'on dit « en développement «, les Occidentaux ont fait accepter la modernité. Par la colonisation, ils ont imposé un certain rapport à la science et à la technique. Pour les non-Occidentaux, la science renvoie ainsi aux armes par lesquelles ils ont été colonisés. Si la science est vue comme une puissance de construction chez les Occidentaux, elle est perçue comme une puissance de destruction du côté des non-Occidentaux. Voilà une distinction de taille entre les deux mondes. La façon de voir la science hors de l'Occident est finalement plus négative que celle des Occidentaux. Notre idéologie de la sc...

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