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sciences, histoire des

Publié le 10/04/2013

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histoire
1 PRÉSENTATION

sciences, histoire des, discipline qui étudie l’ensemble des activités scientifiques passées en préservant leur dimension temporelle ou chronologique. Par conséquent, l’approche de l’historien diffère de celle du scientifique dans la mesure où ce dernier néglige le développement historique de sa discipline pour ne s’intéresser qu’aux résultats considérés aujourd’hui comme vrais.

De façon générale, et contrairement à une conception très banale, l’histoire n’est pas une route à sens unique parsemée de faits ou d’événements qu’il suffirait de recenser et de classer chronologiquement. Ceci vaut en particulier pour l’histoire des sciences. Pourtant, il est vrai qu’en pratique le travail de l’historien consiste à essayer de trouver des documents, à les trier et à les analyser, à les lier et à les mettre en ordre. Un excès inverse de la conception banale est alors de prétendre que l’histoire n’est qu’une construction arbitraire sous prétexte que ce travail d’élaboration des documents dépendrait du bon plaisir de l’historien. S’il n’y a pas qu’une façon de l’écrire, l’historien n’est pas pour autant libre de toute contrainte. Des problèmes d’ordre méthodologique propres à l’histoire des sciences définissent le cadre d’étude de cette discipline.

2 QUESTIONS DE MÉTHODE

Il existe deux approches extrêmes, et même parfois antagonistes, de l’histoire des sciences. Elles se distinguent surtout par la façon dont elles délimitent leur objet d’étude. La première, dite « internaliste «, s’attache surtout à montrer comment apparaissent, se développent, et parfois même disparaissent certains thèmes, problèmes ou idées envisagés dans le cadre d’une logique qui serait interne à chaque discipline scientifique. La seconde approche, dite « externaliste «, paraît à première vue moins abstraite dans la mesure où elle juge indispensable de prendre en compte certains facteurs que l’approche internaliste juge accessoires, voire superflus. Par exemple, alors que l’internaliste prétendra qu’il est possible de suivre ou de dégager une filiation historique cohérente entre des problèmes, des théories, des expériences, de nouvelles théories, etc., l’externaliste jugera cette approche insuffisante et cherchera à montrer que toute recherche de filiation scientifique ne peut s’affranchir du contexte social, politique ou religieux dans lequel s’élabore l’activité scientifique. En fait, la plupart des historiens cherchent ou optent pour une voie médiane entre un internalisme étroit incapable de rendre compte de certains facteurs du développement des sciences, et un externalisme tellement libéral qu’il ne parviendrait même plus à assigner la moindre limite au domaine scientifique. L’un des enjeux de cette opposition est, bien entendu, le sens que l’on accorde au mot « science « (voir sciences, philosophie des).

Le rapport entre science et technique, et en particulier l’éventuelle préséance à accorder à l’une ou à l’autre, est une autre difficulté à laquelle se trouve souvent confronté l’historien des sciences. Si l’on admet que la science vise seulement la connaissance et que les techniques constituent l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’homme pour agir sur le monde, leurs domaines respectifs peuvent sembler clairement dissociés. Toutefois, en raison de l’usage d’instruments de mesure, de l’appel aux mathématiques envisagées comme « outil «, des méthodes, des modèles ou encore des applications pratiques des sciences, on peut faire valoir la difficulté, voire l’impossibilité, qu’il y a pour dissocier nettement activité scientifique et activité technique. La science absolument « pure « n’est peut-être qu’une fiction complaisante, mais à l’inverse, il n’est pas sûr que toute science s’enracine ou débouche sur des considérations techniques ou pratiques.

Récurrent dans les sciences elles-mêmes — comme on en verra quelques exemples —, l’antagonisme entre continuité et discontinuité sévit également en histoire et en particulier en histoire des sciences. On le rencontre ainsi à propos des périodisations temporelles (Antiquité, Moyen Âge, découpage par siècle) ou encore du découpage en épisodes thématiques (révolution scientifique, chimie prélavoisienne, etc.). Certes, ces délimitations peuvent paraître arbitraires ; mais n’existe-t-il pas cependant des traits généraux susceptibles de légitimer un bornage, même si l’on peut en discuter le détail ? On retrouve encore cette tension entre continu et discontinu à propos des influences ou des filiations : quel rapport entre l’atome de Démocrite (Ve siècle av. J.-C.) et celui de Jean Perrin (1870-1942) ? Contrairement aux apparences, il n’est pas sûr que l’atome soit toujours l’atome et il se pourrait bien que « l’histoire de l’atome « rende davantage compte de la persistance d’une terminologie que de celle de l’objet d’un même et unique programme de recherche, avec ses pères fondateurs et ses héritiers. Enfin, le même genre de problème se retrouve dans le découpage en disciplines. Est-ce bien l’objet visé, mais encore hors d’atteinte, qui confère une certaine cohérence à leur développement ? La biologie est peut-être la science générale du vivant, mais qu’est-ce que le vivant ? Faute de pouvoir répondre à cette question, on pourrait bien avoir du mal à identifier la biologie autrement qu’à partir d’une définition arbitraire. Quelle différence entre physique et chimie ? Les mathématiques forment-elles une science à part ? De plus, comme l’histoire montre que définitions, contours et rapports des diverses disciplines scientifiques ont souvent fluctué, quels critères retenir pour circonscrire une histoire de la biologie ou de la chimie ?

Un autre problème posé à l’histoire des sciences s’articule autour du rapport entre science et vérité. Il est banal — mais pas forcément exact — de dire que le moins que l’on puisse exiger d’un résultat ou d’un énoncé prétendu scientifique est d’être vrai. Or, le passé des sciences ressemble souvent à un champ de bataille jonché d’idées, de théories, de thèses un jour vraies et scientifiques, mais le lendemain fausses, en partie ou totalement. Inversement, des affirmations jugées fausses ont été parfois réévaluées. L’histoire des sciences n’est pas l’histoire de la vérité sur le monde. L’omniprésence de l’erreur dans l’histoire des sciences suscite une diversité de traitements. Certains historiens, qui se défient des illusions spéculatives du passé comme du présent mais demeurent confiants dans leur propre discernement, souhaiteront « s’en tenir aux faits «. D’autres, croyant que le présent serait en quelque sorte plus près de la vérité, s’attachent surtout aux ruptures, aux moments où le vrai se serait démarqué du faux. D’autres, enfin, cherchent à oublier ce que le présent des sciences dit du passé et s’efforcent de reconstituer la cohérence propre à tous les points de vue, vrais comme faux.

Au vu de ces quelques remarques, il apparaît clairement que toute tentative d’historique général des sciences, indépendamment de sa brièveté, ne peut-être que partielle et partiale.

3 UN APERÇU SUR L’HISTOIRE DES SCIENCES
3.1 Les débuts et le miracle grec

Par où commencer ? Où et quand ? Pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? Certains historiens trouvent des éléments qu’ils jugent pertinents pour l’histoire des sciences dans tous les grands foyers de civilisation humaine, en particulier mésopotamien, chinois, égyptien, amérindien, indien et grec. Certains pourront même juger cette liste trop restrictive ou trop convenue dans la mesure où elle s’en tient aux foyers de civilisation de grande extension.

Les éléments alors généralement retenus comme relevant d’une activité scientifique sont les systèmes de numération, les calendriers, mais aussi des observations et des réflexions sur les astres et la Terre (voir astronomie). On mentionne également certaines spéculations sur la structure et l’origine de l’Univers, sur le monde minéral, animal et végétal. En fonction de la libéralité avec laquelle on emploie l’adjectif « scientifique «, on pourra également intégrer à une histoire de ce type, médecine et pharmacopée, mais aussi des domaines techniques comme le bâtiment, la métallurgie, le travail des céramiques ou encore les arts militaires.

En revanche, certains historiens soutiennent que c’est en Grèce et vers le Ve siècle av. J.-C. que sont apparus des traits caractéristiques du savoir scientifique (voir Grèce antique). Ceux-ci s’articulent principalement autour d’une exigence nouvelle et générale de justification. De façon systématique se manifeste en particulier la tentative d’expliquer un ensemble de phénomènes à l’aide d’un petit nombre de principes. Le mot grec logos condense cette exigence de rationalité bien qu’il soit difficile d’en restituer le sens par un seul mot français : discours, rapport, ordre, raison en sont quelques traductions possibles. En tout cas, c’est bien lui que l’on retrouve en suffixe du nom de nombreuses sciences : géologie, psychologie, zoologie, biologie…

La prolifique activité scientifique grecque est illustrée par une multitude de penseurs et d’écoles confrontant et critiquant leurs divers points de vue. Les noms de Pythagore, Thalès, Zénon d’Elée, Démocrite, Hippocrate sont devenus célèbres. Mais c’est surtout à Platon et à son disciple, puis critique, Aristote que l’on doit un corpus de textes scientifiques particulièrement riche, au point d’exercer une influence décisive au moins jusqu’à la fin du Moyen Âge.

Ensuite, du début du IIIe siècle av. J.-C. jusqu’aux invasions barbares, l’activité scientifique d’origine grecque se déplace principalement vers le pourtour méditerranéen oriental, avec un centre particulièrement actif au nord de l’Égypte, Alexandrie. C’est l’époque d’Euclide et d’Archimède, de l’astronome Ptolémée, mais aussi du médecin Galien et de l’architecte Vitruve, l’un des rares savants romains dont la notoriété puisse rivaliser avec celle des maîtres grecs.

Avec la chute de l’Empire romain d’Occident en 476 apr. J.-C. s’ouvrent les premiers siècles du haut Moyen Âge, peu féconds du point de vue scientifique, du moins dans le monde chrétien.

3.2 Déambulations médiévales

Si l’on s’attache, en effet, à la prolifération et à la fécondité des travaux scientifiques, ce n’est pas vers l’Europe de l’Ouest qu’il convient de se tourner pour la période s’étendant du Ve au XIe siècle, mais plutôt vers l’Orient.

À la chute de Rome, de sombres menaces planent sur les précieux textes scientifiques de l’Antiquité, dont une partie trouvera cependant refuge à Constantinople (aujourd’hui Istanbul) ou en Asie Mineure, sous la protection de sectes chrétiennes. Après la mort de Mahomet et dès le début des conquêtes arabes, l’héritage scientifique grec bénéficie de la constitution de l’immense empire musulman qui s’étend de la Chine et de l’Inde jusqu’en Espagne, et du Maghreb jusqu’au Caucase. En effet à Damas, puis à Bagdad fondée en 762, prospérités économique et commerciale vont de pair avec l’intérêt des califes pour les sciences et les arts. C’est la raison pour laquelle les Arabes traduisent, commentent, et enrichissent les grands textes savants de l’Antiquité qui sont alors préservés, transmis et augmentés. Ainsi, de nombreuses contributions sont apportées principalement aux mathématiques, à l’astronomie, à la chimie (alchimie est un nom d’origine arabe), à l’optique et à la médecine. Parmi les noms les plus prestigieux de ces savants arabes s’adonnant en général à l’ensemble des sciences, rappelons ceux d’al-Khuwarizmi et Ibn al-Haytham (également connu en Occident sous le nom latinisé d’Alhazen), ainsi que deux autres, devenus tellement célèbres dans l’Occident chrétien qu’il en a retenu surtout la forme latinisée, Averroès et Avicenne.

C’est surtout du XIau XIVe siècle que l’Espagne devient une aire de l’Empire arabe particulièrement florissante et rayonnante. Si l’on fait abstraction des contacts occasionnés par les croisades, c’est par son intermédiaire et par celui de la Sicile, une autre aire de croisement et de brassage, que le savoir greco-arabe parvient en Europe.

À partir du XIIe siècle s’amorce un essor intellectuel et économique en Europe de l’Ouest. Cette époque, marquée par le développement commercial des villes, voit également la fondation des premières universités. Entre les mains des universitaires de l’époque — quasiment tous des hommes d’Église — arrivent alors certains ouvrages de l’Antiquité, véhiculés par la riche tradition arabe. Le corpus des textes déjà connus s’en trouve considérablement étoffé, et la postérité ironisera de manière excessive sur le caractère livresque, rigide et formel de la scolastique médiévale. Mais s’il est vrai que les études sont alors surtout axées sur les arts de la parole — et elles le resteront d’ailleurs pendant des siècles —, il ne faut pas pour autant négliger l’intérêt porté par la plupart des grands docteurs médiévaux aux phénomènes naturels, c’est-à-dire à la physique — puisqu’en grec physis signifie nature — et en particulier à l’alchimie. C’est le cas de quatre théologiens de premier plan : les Anglais Robert Grosseteste et Roger Bacon, l’Allemand Albert le Grand et l’Italien Thomas d’Aquin. Ces deux derniers enseignent dans leurs pays d’origine, mais aussi à Cologne et à Paris : le service de Dieu n’est alors guère bridé par des considérations d’appartenance nationale, et la diffusion des sciences — encore bien modeste — se trouve grandement favorisée par l’usage d’une langue savante universelle, le latin.

Le cas de l’alchimie montre aussi combien il est injuste d’identifier, en particulier au Moyen Âge, activité scientifique et activité universitaire. En effet, la conservation et la mise en valeur du savoir scientifique et technique sont aussi l’affaire d’autres corps de métier : c’est le cas de l’ensemble de la constellation des artisans, mais aussi d’une jeune corporation encore informelle et au nom récent, celle des « ingénieurs «. L’alchimie offre ainsi un exemple remarquable de la dispersion du savoir médiéval puisqu’elle fédère des intérêts souvent hétéroclites, spéculatifs aussi bien que pratiques, allant de préoccupations théologiques et de la recherche fondamentale des ingrédients premiers de la nature jusqu’à l’élaboration de recettes à l’usage des teinturiers ou des pharmaciens.

3.3 Une Renaissance ingénieuse

À partir du XVe siècle, voire même du XIVe siècle, la période dite de la Renaissance est marquée en Italie par la prospérité des villes dirigées par des familles princières s’entourant d’artistes et d’artisans. D’ailleurs, jusqu’au XIXe siècle, la distinction entre artiste et artisan n’a guère de sens, les uns comme les autres étant des travailleurs manuels, des hommes du concret et du particulier, contrairement aux spéculatifs, aux clercs et doctes divers, dont le domaine de prédilection demeure l’abstraction et les généralités. Dans un contexte pacifique, les artistes renaissants sont sollicités surtout comme peintres, sculpteurs, architectes, responsables d’urbanisme ou encore comme organisateurs de spectacles et de fêtes nécessitant d’ingénieuses machines (voir Renaissance, art de la). Dans un contexte plus belliqueux, ils s’occupent de fortifications, de machines et d’armes de guerre (voir artillerie). Le plus célèbre d’entre eux, au point d’avoir occulté nombre de ses semblables restés ainsi longtemps méconnus ou sous-estimés, est Léonard de Vinci, artiste-ingénieur-savant né en 1452 et ayant pratiqué avec le talent que l’on sait l’ensemble des activités énumérées précédemment.

La date de naissance de Léonard de Vinci est à peu de chose près celle des débuts de l’imprimerie, innovation technique majeure devant assurer une diffusion sans précédent aux textes anciens, mais également à des ouvrages nouveaux. Le mouvement que le XIXe siècle baptisera « humanisme « va lui aussi stimuler et promouvoir la nouvelle activité scientifique, que ce soit justement par l’intérêt qu’il porte aux Anciens ou encore par les traductions et les commentaires qui vont en résulter. En 1453, la prise de Constantinople par les Turcs apporte, elle aussi, une contribution majeure à la diffusion scientifique, car elle est l’occasion de la redécouverte, de l’afflux et de la popularisation de textes anciens inconnus ou méconnus en Occident.

3.4 La période dite « Révolution scientifique «

Des historiens du XXe siècle ont appelé « Révolution scientifique « une période s’étendant approximativement de 1550 à 1730, et cela en raison des transformations radicales affectant à peu près toutes les disciplines traditionnelles. Les dates bornant cette période de presque deux siècles sont symboliques puisqu’elles correspondent approximativement à la mort de Nicolas Copernic (1543) et à celle d’Isaac Newton (1727). S’ouvrant sur la toile de fond des conflits religieux engendrés par l’essor du protestantisme et s’achevant à l’âge des Lumières, la Révolution scientifique est également tributaire d’importantes mutations techniques, institutionnelles et méthodologiques.

Ainsi, outre l’imprimerie, des innovations techniques majeures vont contribuer à entretenir l’effervescence intellectuelle d’alors. La lunette de Galilée est ainsi le symbole le plus fameux de l’émergence d’une science qui, de plus en plus, va examiner la nature à l’aide, et même au travers, d’instruments. Le microscope, une simple loupe bientôt redoublée et perfectionnée par Antonie Van Leeuwenhoek va, elle aussi, ouvrir des perspectives insoupçonnées en dévoilant des mondes infimes semblant même s’emboîter à l’infini. Les tubes d’Evangelista Torricelli (inventeur du baromètre) et la pompe à air de Robert Boyle figurent également parmi les plus fameux fers de lance d’une Révolution scientifique bien mouvementée. En effet, ses retentissantes polémiques débordent largement le cadre des quelques centaines de dogmes formant alors le monde des savants ou des philosophes pour reprendre un terme qui va garder une forte connotation scientifique jusque vers le milieu du XIXe siècle.

En un sens, on pourrait compter les mathématiques parmi les outils techniques de la Révolution scientifique. Toutefois, son statut est plus complexe vu le succès de doctrines d’inspiration plus ou moins platonicienne qui le dédoublent en faisant de cette discipline à la fois l’instrument et l’objet de la recherche. En effet, l’évocation parfois explicite du thème antique du dieu géomètre conduit à affirmer, comme l’a fait entre autres, Galilée, que la nature est un livre écrit en langage mathématique. D’où la recherche de la langue ou du code « universel « ou « naturel « censé permettre le déchiffrement sans équivoque de l’ordre authentique du monde. Quoi qu’il en soit de ces considérations méthodologiques et des spéculations les justifiant, la Révolution scientifique est l’époque d’innovations mathématiques de première importance, dont l’algébrisation des équations systématisée par François Viète, la géométrie analytique développée par René Descartes, le calcul des probabilités amorcé par Blaise Pascal et Pierre de Fermat, ou encore le calcul différentiel et intégral mis au point presque simultanément par deux « frères « ennemis : Isaac Newton et Gottfried Leibniz.

D’un point de vue intellectuel, l’époque a pour caractéristique remarquable de valoriser la curiosité et le travail en commun, attitude qui va de pair avec le développement de sociétés savantes explicitement consacrées à l’étude de la nature. Si le XVIe siècle donne le ton, il n’en demeure pas moins très marqué par un intérêt privilégiant les « humanités « ou encore « les belles lettres «. C’est surtout au XVIIe siècle que bourgeonnent des sociétés savantes s’intéressant davantage au déchiffrement du « grand livre de la nature « qu’aux auteurs anciens. Souvent informelles au début et regroupant des érudits curieux de tout, les académies deviennent par la suite des organismes officiels étroitement liés aux gouvernements et présentant des particularités propres aux styles politiques et même philosophiques privilégiés par tel ou tel pays. Alors que la plus fameuse académie italienne — l’Académie nationale des Lynx (Accademia Nazionale dei Lincei) — est fondée en 1603, il faut attendre 1660 pour voir naître officiellement la Société royale des sciences de Londres (The Royal Society) au statut quasiment privé, et 1666 pour l’Académie des sciences française, placée sous la vigilante tutelle de Jean-Baptiste Colbert. Ce type d’institution d’ampleur nationale devient un exemple et toutes les grandes capitales s’empressent de l’adopter au XVIIIe siècle. On voit également proliférer des académies de moindre envergure, implantées à l’échelle régionale.

Les deux domaines les plus emblématiques de la Révolution scientifique sont la mécanique et l’astronomie. Alors que pour d’autres sciences l’époque est surtout l’occasion d’un essor ou d’une fécondité remarquable mais sans heurts, toutes deux connaissent une véritable explosion. Leurs sorts sont d’ailleurs étroitement liés. En matière d’astronomie, la doctrine officielle d’alors s’inspire directement d’Aristote : le cosmos est clos et fini ; au centre, la Terre est entourée de sphères que l’on pense cristallines car transparentes, mais suffisamment rigides pour soutenir et véhiculer chacune l’astre qui s’y trouve comme incrusté ; la dernière d’entre elles porte l’ensemble des étoiles dites « fixes « par opposition aux planètes. L’astronomie hérite aussi d’Aristote l’idée d’une délimitation radicale entre le monde situé sous la sphère lunaire — monde agité, turbulent et périssable — et le monde supra-lunaire où les sphères cristallines glissent dans l’éther, la fameuse « quintessence «, en un mouvement éternel et régulier. Présupposé réductible à des mouvements circulaires — un gage de perfection — ce déplacement sans heurts et immuable est « incorruptible « comme on dit alors. L’histoire de la Révolution scientifique est largement celle de l’éclatement du cosmos ancien et de la corruption du cosmos désormais unique et infini par la mécanique la plus terre à terre.

Et en effet, cette mécanique, mise à l’honneur par les artistes renaissants, va tenir un rôle de premier plan et va même devenir alors un modèle — contesté — pour toute science de la nature. De la fin du Moyen Âge jusqu’au XVIIe siècle, son influence va s’amplifiant et sa valeur intellectuelle s’affirme. Les études de statique et de balistique où se sont déjà illustrés aussi bien l’Italien Jérôme Cardan que le Hollandais Simon Stevin ouvrent la voie de la nouvelle mécanique céleste, culminant avec la majestueuse horloge qu’est le « Système du Monde «, titre d’un chapitre majeur du chef-d’œuvre publié par Newton en 1687 : les Principia mathematica philosophiae naturalis (Principes mathématiques de la philosophie naturelle).

Pour résumer cette épopée, on peut dire qu’en plaçant le Soleil au centre du monde, Copernic commet le premier geste iconoclaste. En supposant que la nova et la comète qu’il observe sont au-delà de la Lune, Tycho Brahé porte vers 1570 un coup mortel au cosmos ancien, car ces astres fugaces qu’il situe dans le monde supra-lunaire en ruinent l’incorruptibilité. En montrant que la trajectoire des planètes pourrait bien être non pas circulaire mais elliptique, Johannes Kepler porte l’assaut suivant. Pour avoir supposé l’Univers infini et envisagé une pluralité de mondes, le turbulent Giordano Bruno est conduit au bûcher en 1600. En annonçant en 1610 des taches mobiles sur le sacro-saint Soleil, des montagnes quasiment terrestres sur la Lune et des planètes autour d’une planète (Jupiter), Galilée, lui aussi, flirte déjà avec l’hérésie. Enfin, en affirmant qu’une seule loi régit l’ensemble du monde, Newton consacre la soumission de l’Univers infini à une mécanique universelle manifestant la toute-puissance de Dieu. La brièveté de cette énumération ne doit cependant pas laisser imaginer une épopée harmonieuse et facile, car tous ces épisodes sont émaillés de doutes, d’hésitations légitimes, de controverses âpres, de rivalités profondes, parfois mesquines.

Les succès de la mécanique affectent l’ensemble de la philosophie, ainsi qu’en témoigne l’essor de l’influente doctrine dite mécaniste, systématisée en particulier par Descartes. Ce vaste projet scientifique et méthodologique prétend pouvoir expliquer tout phénomène naturel en faisant uniquement appel à de la matière et du mouvement. Dès lors, il serait possible d’affranchir la nature de toutes les « forces «, « vertus « et autres « pouvoirs « que les cartésiens jugent inintelligibles et suspectent d’occultisme ou d’obscurantisme. Leibniz dénonce toutefois le programme mécaniste qu’il juge juste mais insuffisant pour tout expliquer, en particulier l’harmonie d’ensemble de l’Univers. Il fait donc de nouveau appel à la notion prohibée de « force « et nomme d’ailleurs « dynamique « le pan de la mécanique consacré au mouvement.

3.5 Un XVIIIe siècle sous influence

En le caricaturant, Voltaire a immortalisé l’antagonisme entre Londres — la newtonienne — et Paris — la cartésienne. Et il faut attendre le milieu du XVIIIe siècle pour que la pacification de Paris mette provisoirement un terme à la polémique autour de l’œuvre de Newton. Malgré quelques poches de résistance, l’influence et l’exemple du savant anglais dominent dès lors pratiquement l’ensemble des sciences jusqu’au XIXe siècle. Chaque science est alors en quête de son Newton et de sa loi fédératrice, y compris celles s’intéressant à l’homme et à la connaissance, alors « sciences morales «. On va même jusqu’à prétendre que la morale a trouvé son maître en la personne de Jean-Jacques Rousseau.

Il est vrai que certaines sciences ont leur Newton ou des succédanés fédérateurs. Ainsi, au début du XVIIe siècle n’existent pas de disciplines distinctes consacrées au magnétisme et à l’électricité. On ne s’intéresse d’ailleurs pas au magnétisme en général, mais à certains phénomènes ponctuels, aussi étranges que fascinants : William Gilbert, René Descartes, Charles Du Fay, par exemple, étudient l’aimant ou encore l’électrisation. Et il ne faut pas oublier qu’au XVIIIe siècle, malgré une nette distinction verbale entre « les savants « et « le public «, la science n’est pas exclusivement l’affaire de spécialistes patentés ou de professionnels salariés. Ainsi, l’étude de l’électricité est servie par l’engouement général pour la « philosophie expérimentale « et la vogue des expériences d’électrisation, qu’elles soient pratiquées dans les cabinets de savants notoires ou bien dans les salons et même à la cour. Le public se passionne alors pour savoir s’il y a un ou plusieurs « fluides électriques «, et la postérité se souviendra des expériences de Benjamin Franklin ou d’autres électriciens armés de cerfs-volants munis d’épingles pour défier les orages. Malgré la dizaine d’années d’antériorité des travaux non publiés de Henry Cavendish, c’est à Charles Coulomb que revient la gloire d’avoir annoncé publiquement, en 1785, que la force électrique était analogue à la force newtonienne.

Tout le pan occulte de l’activité de Newton, en particulier alchimique, ne sera connu officiellement qu’au XXe siècle. Il n’empêche que ses écrits les plus célèbres soulèvent des questions fondamentales sur les éventuels constituants ultimes de la nature et rejoignent ainsi les préoccupations spéculatives des (al)chimistes. Au XVIIIe siècle, l’histoire de la chimie reste disparate et pleine de controverses au fil d’une quête néanmoins féconde, au moins pour avoir perpétué et stimulé des analyses, des distinctions et des synthèses innovantes. Au siècle précédent, Jan Baptist Van Helmont a ainsi déjà distingué la notion de gaz et identifié le « gaz sylvestre « (gaz carbonique). Au XVIIIe siècle, la notion de « sel « est radicalement redéfinie (voir acides et bases) et l’eau n’est plus jamais considérée comme un élément chimique après la synthèse de Cavendish et l’analyse d’Antoine de Lavoisier qui propose d’ailleurs une nouvelle nomenclature des éléments chimiques. En somme, c’est l’ensemble de la chimie qui tend à s’organiser ou à se réorganiser.

3.6 Le XIXe siècle, matrice de la science contemporaine

De façon générale, le contexte scientifique du XIXe siècle est marqué à la fois par un encadrement institutionnel renforcé et par un morcellement disciplinaire accru et souvent bureaucratiquement figé. Le savant est de moins en moins un esprit encyclopédique mais tend à devenir un spécialiste et un professionnel plutôt qu’un amateur. On en voit un indice dans nos dictionnaires contemporains, fortement influencés par les catégories classificatoires d’aujourd’hui : alors qu’un Leibniz ou un Newton sont parfois caractérisés par une série de qualificatifs comme mathématicien-philosophe-physicien-opticien-mécanicien, il est rare de trouver ce genre d’amalgame pour un scientifique du XIXe, et a fortiori du XXe siècle. Un autre indice de cette tendance au morcellement est la prolifération de nouvelles sociétés savantes nationales ou même régionales, non plus encyclopédiques ou généralistes mais consacrées à une discipline particulière. En contrepartie, bien que le XVIIIe siècle ait déjà parlé de physico-mathématique, le cloisonnement disciplinaire va désormais faire proliférer des hybrides interdisciplinaires comme la biochimie ou l’astrophysique, et relancer une réflexion de fond sur la classification et une éventuelle hiérarchie des sciences. En se spécialisant et en revendiquant une autonomie, les disciplines scientifiques tendent aussi à récuser le statut de matrice générale tenu jusqu’alors par la philosophie, qui souvent va tendre à se renfermer en une discipline essentiellement scolaire et littéraire. Dans la même veine, l’essor des sciences dites humaines, telles que la sociologie — baptisée par Auguste Comte —, l’anthropologie ou l’économie, marque le déclin de la nébuleuse des « sciences morales et politiques «. En conséquence, malgré de grandes synthèses comme celle de James Maxwell dans le domaine de l’électromagnétisme, le projet d’une encyclopédie des sciences apparaît toujours plus comme un rêve du passé, du moins en tant que projet intellectuel, car le légendaire progrès des sciences va assurer une fructueuse pérennité à l’édition scientifique.

Dans les pays les plus avancés, un renforcement des liens déjà existants entre institutions scientifiques et nationales est déjà particulièrement net dès l’époque de la Révolution française et du premier Empire. Ce rapprochement va d’ailleurs précipiter le déclin du latin comme langue scientifique internationale. Pour ce qui est de la France, après bien des péripéties les institutions scientifiques de l’Ancien Régime sortent régénérées de la crise révolutionnaire et parmi les nouvelles institutions, l’École polytechnique symbolise au mieux le soutien que l’État attend trouver dans les sciences. Plus généralement, le XIXe siècle va entretenir la bipolarisation selon laquelle s’organise depuis presque deux siècles le discours sur le progrès. Un axe privilégie en effet le registre désintéressé du « bien de l’humanité «, voire de son salut, alors que l’autre, plus intéressé, exalte compétition et concurrence, en particulier entre nations et industries. De là, en tout cas, le développement des congrès et autres conférences internationales, ainsi que les débuts des fameuses expositions universelles célébrant les noces de la science, de l’industrie et des puissances politiques.

Malgré ses redoutables spécificités, le modèle français post-révolutionnaire est intégré aux réflexions menées dans la plupart des pays concernés par une remise à jour de l’organisation du travail scientifique. Dorénavant, la science est de façon quasiment exclusive l’affaire de professionnels, qu’ils soient fonctionnaires ou salariés d’entreprises privées. Le temps des travaux amateurs paraît bien révolu, sauf dans les rêves de certains professionnels de la vulgarisation scientifique.

Parallèlement à la professionnalisation de l’activité scientifique et à la croissance du nombre des travailleurs scientifiques, s’affirme un véritable culte des sciences, déjà discernable au siècle précédent, et s’opposant parfois — mais pas toujours — à la religion chrétienne. Les thèmes du « génie «, du « grand savant «, du « bienfaiteur de l’humanité «, particulièrement typiques du XIXe siècle, vont de pair avec la vulgarisation d’une véritable hagiographie scientifique. C’est sans doute pourquoi les noms de Charles Darwin ou de Louis Pasteur reviennent si souvent en tête de liste des emblèmes de la science de ce siècle, mais cachent une pépinière de noms moins célèbres dont les travaux ont également été décisifs.

Une autre caractéristique de la science du XIXe siècle, encore accentuée au suivant, est l’expansion géographique des foyers de recherche. L’histoire des sciences de la fin du Moyen Âge à celle du XVIIIe siècle s’est largement concentrée sur l’Europe de l’Ouest. Il ne peut plus en être de même pour les deux derniers siècles en raison du rôle de tout premier plan que de nouveaux venus jouent sur la scène scientifique. Ainsi, alors que le prestige scientifique de la France semble s’estomper après 1830, l’essor économique et politique d’autres pays s’accompagne souvent d’une notoriété nouvelle ou accrue de certains de leurs savants. Les noms de Gregor Mendel (génétique), Ernst Mach (physique), Bernhard Bolzano (mathématiques), Dmitri Mendeleïev (chimie) illustrent ce phénomène pour l’Europe centrale, de l’Est et pour la Russie, alors que ceux de Thomas Edison ou d’Alexander Bell symbolisent, dans leur domaine, la croissance de l’influence des États-Unis.

En somme, la science du XIXe siècle se concentre dans des institutions et des laboratoires qui, eux, prolifèrent à l’échelle planétaire. L’un des contrecoups de cette concentration diversifiée est la quête d’une légitimité publique accrue. Cet objectif vient encore renforcer divers arguments utilitaristes qui, dès la fin du XVIIIe siècle, plaidaient déjà pour un enseignement de masse et en particulier à coloration scientifique. Le but sera atteint, car perspectives utilitaristes et discours progressiste désintéressé convergeront sur ce point et conduiront à la création ou au renforcement de diverses formes d’enseignement scientifique, que ce soit dans le cadre de l’école, dans celui d’institutions comme les musées, ou encore dans celui de cours ou de conférences à caractère public ou privé.

D’un point de vue intellectuel, un trait caractéristique des sciences expérimentales du XIXe siècle est le souci de quantifier. Mesure, chiffrage, dénombrement sont parfois même érigés en caractéristiques essentielles de l’activité scientifique et en meilleurs indices d’objectivité. Et pourtant, c’est au XIXe siècle que les mathématiques acquièrent une véritable autonomie, alors qu’auparavant leur dynamique était le plus souvent stimulée par des problèmes venant des sciences de la nature. Le développement des géométries non euclidiennes, associées aux noms de Carl Gauss, Nikolaï Lobatchevski, János Bolyai et Georg Riemann, offre le plus célèbre exemple de cette prolifération de créations et de créatures mathématiques, encore illustrée par le calcul vectoriel, le calcul matriciel et les débuts de la théorie des ensembles.

Comment ne pas évoquer la révolution industrielle dans le cadre d’une histoire des sciences au « siècle de fer «, alors que l’essor de la thermodynamique est largement tributaire de problèmes à caractère technique et industriel ? Ce cas est particulièrement exemplaire des enjeux méthodologiques évoqués ci-dessus à propos des approches internaliste et externaliste. En effet, d’un point de vue plutôt internaliste, on peut juger suffisamment cohérente une histoire centrée sur les publications strictement scientifiques consacrées à la thermodynamique, et même se limiter aux œuvres de quelques grands noms comme Nicolas Carnot, James Joule, Julius Mayer, Hermann Helmholtz, Josiah Gibbs et Ludwig Boltzmann. En revanche, un point de vue externaliste jugera indispensable non seulement d’intégrer à cette histoire des considérations sur la machine à vapeur, et donc des considérations techniques, mais encore de prendre en compte un contexte industriel et social en pleine effervescence.

3.7 Un XXe siècle éclaté

L’histoire des sciences au XXe siècle est jugée parfois embarrassante, malgré la perpétuation et la confirmation de la plupart des caractéristiques déjà manifestes au siècle précédent. Certains historiens font valoir le manque d’un recul indispensable à toute étude sereine car affranchie des engouements du jour privilégiant tel problème ou telle discipline. D’autres mentionnent le niveau croissant des compétences requises pour une histoire consacrée à la dynamique et à l’articulation de concepts scientifiques spécialisés.

En fait, plusieurs problèmes se recoupent. Depuis leur apparition à la fin du XVIIe siècle, journaux et revues scientifiques ont vu leur nombre croître de manière exponentielle : encore limité à quelques unités au début du XVIIIe siècle, il dépasse le millier dès le début du XXe siècle et bientôt les dizaines de milliers, selon les critères adoptés pour qualifier une revue de « scientifique «. Alors qu’au XVIIe siècle Pascal, comme tant d’autres, confessait son vertige devant l’infinité de l’Univers, c’est aujourd’hui devant l’étendue du savoir scientifique lui-même que l’on peut être saisi de vertige. Cette prolifération des connaissances et la spécialisation allant de pair posent un problème sérieux dans la mesure où le spécialiste d’un domaine scientifique n’a parfois ni le goût de l’histoire, ni les compétences propres à l’historien, alors qu’à l’inverse celui-ci n’a pas d’emblée de compétences dans le domaine considéré.

D’un point de vue géographique, l’expansion scientifique s’est encore accrue au fil du siècle, puisque désormais c’est l’ensemble des pays du monde qui se trouve concerné par les enjeux de la recherche scientifique. L’importance cruciale des conséquences économiques, techniques et sociales du développement des sciences — importance déjà flagrante au siècle précédent — se manifeste en particulier par l’ampleur et la rapidité croissantes de la diffusion des applications techniques et pratiques de certaines connaissances scientifiques. Ainsi, par exemple, alors que les appareils électriques « grand public « se sont développés à l’échelle de la décennie au XIXe siècle, il est courant au XXe siècle de voir certaines applications techniques se banaliser en quelques années, voire quelques mois. Dans le domaine de la radioactivité découverte par Henri Becquerel en 1896, il faut ainsi presque une décennie pour voir se développer une médecine nucléaire (voir radiologie) encore timide, alors que cinq années fébriles s’écoulent entre la découverte de la fission de l’atome et le lancement d’une bombe atomique sur Hiroshima en 1945. Ce dernier épisode a d’ailleurs été décisif à plus d’un titre : évidemment par ses conséquences politiques et militaires, mais aussi par son impact sur la perception de la science par un grand public surtout sensible aux aspects pratiques et techniques. De plus, il a largement conditionné l’organisation, les modalités et les priorités de la recherche scientifique dans la seconde moitié du siècle.

L’inflation des effectifs et des moyens matériels mobilisés par la science du XXe siècle se manifeste par deux traits remarquables et souvent corrélés.

D’une part s’est développée à partir des années 1930 ce que les Anglo-Saxons ont appelé big science, la science lourde. Dans de nombreux domaines, en effet, la poursuite des recherches a nécessité des appareillages particulièrement complexes et onéreux, tels les accélérateurs de particules qui nécessitent des investissements humains et financiers ne pouvant être pris en charge qu’à l’échelle d’un État, voire d’un groupement d’États. C’est le cas notamment du Laboratoire européen de physique des particules (CERN) à Genève. Aujourd’hui se pose même la question d’un financement mondial de certains projets ou équipements.

D’autre part, les scientifiques travaillent de plus en plus dans le cadre d’équipes conjoignant des compétences diverses. Ce phénomène a considérablement favorisé une forme d’anonymat. Le cliché du savant œuvrant seul dans son cabinet semble désormais appartenir à un âge révolu et le culte de la personnalité scientifique ne paraît plus guère de saison. À la fin du XXe siècle, la notoriété d’un scientifique n’est d’ailleurs assurée au-delà d’un cercle de spécialistes qu’à l’occasion de la remise d’un prix Nobel, d’une polémique relayée par les médias, ou encore d’un engagement visible dans la vulgarisation scientifique.

En conclusion, on peut rappeler quelques épisodes jugés particulièrement représentatifs du XXe siècle.

Au début du siècle, la physique connaît une mutation profonde avec l’avènement de deux nouvelles théories : celle de la relativité, due principalement à Albert Einstein, va s’appuyer sur la découverte de la constance de la vitesse de la lumière pour repenser de fond en comble les notions fondamentales d’espace, de temps et de matière ; par ailleurs, associée à ses débuts héroïques aux noms de Max Planck, Albert Einstein, Niels Bohr, Louis de Broglie ou Werner Heisenberg, la théorie quantique réactive et remodèle quant à elle le débat antique sur le continu et le discontinu, le déterminisme et l’indéterminisme, en prenant nettement parti pour le discontinu et l’indéterminisme. Cette théorie qui paraît étrange, voire scandaleuse, va cependant être confortée par des succès ininterrompus. Ceux-ci vont assurer sa légitimité et en faire un outil fondamental pour l’étude de phénomènes atomiques et bientôt subatomiques où se croisent physique des particules et astrophysique, en quête d’une vaste théorie unificatrice (voir modèle standard).

Homme du XIXe siècle et biologiste, comme Darwin, Mendel ne connaîtra pas de son vivant la notoriété sulfureuse de son homologue anglais. En effet, c’est seulement en 1900 qu’indépendamment les uns des autres, Hugo de Vries, Carl Correns et Erich Tschermak mettent de nouveau en évidence les désormais fameuses lois de Mendel sur l’hybridation des êtres vivants. L’histoire de la biologie offre ici un exemple remarquable d’un enchevêtrement remettant en cause les limites disciplinaires, car la théorie synthétique de l’évolution, dominante à la fin du XXe siècle, emprunte aussi bien à Darwin qu’à Mendel ou à l’étude statistique des populations. De plus, elle intègre des composantes relevant de la biochimie par l’étude de l’ADN, dont la structure en double hélice a été établie par Francis Crick et James Watson au tout début des années 1950.

La découverte de l’électron par Joseph Thomson en 1900, soit une dizaine d’années après les travaux de Heinrich Hertz, inaugure une nouvelle phase du développement de l’électromagnétisme et offre un autre exemple d’hybridation théorique et de précipitation des applications techniques. En effet, par-delà l’essor de la télégraphie sans fil (TSF) (voir radio), l’électronique va croiser dès la fin des années 1920 des disciplines jeunes à forte coloration mathématique, comme la cybernétique ou la théorie de l’information. La voie de l’informatique s’ouvre alors avec l’apparition des premiers ordinateurs dans les années 1940 et s’élargit avec le remplacement progressif du tube cathodique par le transistor, un composant mis au point en 1948 et fonctionnant selon les principes de la mécanique quantique. Le processus de miniaturisation, par le biais de microprocesseurs dont la puissance de calcul ne cesse d’augmenter, est notoirement encore inachevé aujourd’hui.

Mais comme pour le XIXe siècle, quelques épisodes significatifs ou célèbres de l’histoire des sciences du XXe siècle ne devraient pas occulter la profusion et l’étonnante diversité des pratiques scientifiques contemporaines. Ainsi, ce n’est que faute de place que des disciplines comme la géographie, la météorologie ou la psychologie nont été citées. De plus, toute la science du siècle passé ne se réduit pas au modèle de la science lourde et tous les domaines scientifiques n’ont pas des conséquences pratiques significatives ou notoires. C’est pourquoi, l’un des défis les plus stimulants pour l’historien de la science récente est peut-être d’explorer des voies moins balisées que celles devenues quasiment mythiques, d’échapper à des catégories d’analyse trop convenues, en bref de parvenir à proposer un nouveau regard sur l’histoire des sciences.

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