Devoir de Philosophie

sensation (philosophie) - philosophie.

Publié le 08/05/2013

Extrait du document

philosophie
sensation (philosophie) - philosophie. 1 PRÉSENTATION sensation (philosophie), du latin sensus (« sens «), principe de connaissance psychique et sensorielle attaché à d'autres mode de connaissance tels que la perception, l'expérience et la conscience. Toutefois, reléguée en deçà de la conscience, dans le domaine du pré-perceptif, la sensation devient paradoxalement quelque chose de très abstrait. Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie d'André Lalande commence ainsi sa définition de la sensation : « Donnée psychique, presque impossible à saisir dans sa pureté, mais dont on s'approche comme d'une limite : ce serait l'état brut et immédiat [...] «. Cette tendance à considérer la sensation comme donné brut amène d'ailleurs souvent à privilégier une analyse de la perception, comme on le constate dans une importante part de la philosophie et de la psychologie des XIXe et XXe siècles. La sensation pose pourtant des problèmes propres, analysés au cours de toute l'histoire de la philosophie. 2 ARISTOTE L'aisthèsis (« sensation «) est une notion importante chez les présocratiques et chez Platon, mais on exposera la pensée d'Aristote, dans la mesure où elle est déterminante pour l'avenir et met en place les cadres d'une majeure partie des problématiques de la sensation. 2.1 L'universel et le particulier Il n'y a pas, dit Aristote, de science de la sensation ; mais il n'y a pas non plus, ajoute-t-il, de science sans la sensation. La science traite en effet de l'universel et il n'y a pas de science du particulier ; or c'est au particulier que s'applique la sensation. Il y a science de ce qui perdure dans le changement : la substance. Mais il n'y a pas de science sans la sensation, car « il est impossible d'acquérir la science des universels autrement que par induction « et « induire est impossible pour qui n'a pas la sensation « (Seconds Analytiques, I, 18, 81ab). La sensation « produit en nous l'universel « (Seconds Analytiques, I, 18, 100b) par une induction qui n'est pas continue mais se poursuit d'arrêt en arrêt : un célèbre passage des Seconds Analytiques compare ce processus à celui d'une armée en déroute. Si Aristote affirme qu'il y a science de la substance, il affirme aussi qu'il y a une substance sensible, et c'est un point capital de sa pensée. 2.2 L'acte commun Si la science commence avec la sensation (en permanence), elle accompagne le mouvement des choses qui aspirent à leur être, comme la matière aspire à la forme. Les êtres vivants assimilent la matière de leur milieu par la nutrition mais, dans la sensation, la matière du senti n'est pas absorbée. « Le sens est le réceptacle des formes sensibles sans la matière « (Traité de l'âme, II, 12). Pour autant, la sensation n'est pas pure passivité : nous recevons les qualités sensibles car nous pouvons les produire. Elle n'est pas non plus pure activité comme la science, car, en tant qu'« acte commun du sentant et du senti «, elle exige la présence du sensible. Le mouvement de cette puissance active de l'objet émanant sa forme et de la faculté sensible qui se sollicitent mutuellement aboutit dans l'actualisation qu'est la sensation. 2.3 Le plaisir Et l'âme se sent elle-même sentant, dans l'activité où elle saisit la forme ; c'est le plaisir. Ce rapport de la sensation et du plaisir, qui est l'indice de la perfection de l'acte, suggère à Aristote une pensée de la vie en général, de l'activité et du plaisir : « Si tous les hommes sans exception aspirent au plaisir, c'est qu'ils ont tous tendance à vivre. La vie est une certaine activité, et chaque homme exerce son activité dans le domaine et avec les facultés qui ont pour lui le plus d'attrait [...]. Et le plaisir vient parachever les activités, et par suite la vie à laquelle on aspire « (Éthique à Nicomaque, X, 4). 2.4 Autres aspects Les cadres généraux de la pensée d'Aristote sur la sensation, mais également d'autres aspects plus précis seront toujours repris et discutés dans l'histoire de la philosophie jusqu'à aujourd'hui. L'analyse du toucher, par exemple, qui suscite chez Aristote une pensée phénoménologique, si l'on peut dire, non seulement de la sensation elle-même, mais aussi du corps, du mouvement, de l'espace. Jean-Louis Chrétien dans l'Appel et la réponse (1992) mène une étude approfondie de la pensée du toucher et de la sensation chez Aristote. 3 LE MOYEN ÂGE Le Moyen Âge reprend presque tous les problèmes de la sensation posés chez Aristote et, dans une discussion serrée en dialogue avec la tradition platonicienne à travers saint Augustin, élabore ses propres problématiques. Mentionnons ce qu'on a nommé la « métaphysique de la lumière « de Robert Grosseteste, qui s'inscrit dans la tradition issue de Denys l'Aréopagite. La pensée de saint Bonaventure donne à la sensation et au monde sensible une place importante, qui à beaucoup d'égard synthétise les divers courants de la pensée médiévale. Ses thèses s'élaborent dans le contexte des commentaires arabes et latins du Traité de l'âme d'Aristote, en y apportant l'inflexion augustinienne et dionysienne de l'École franciscaine de Paris. 3.1 L'unité du sentir Il y a chez saint Bonaventure une constante affirmation de l'unité du sentir. Reprenant les analyses du Commentaire sur la Genèse de saint Augustin, le théologien montre qu'il n'y a pas de concurrence des cinq sens -- le sentir, le sens (sensus), est un --. Comme chez Aristote, le sens commun est l'origine et l'expression de l'unité sensorielle. L'unité du sentir dans la multiplicité des sens est soulignée dans la justification augustinienne du nombre des sens : nous percevons le monde sensible grâce à la lumière corporelle (lux corporalis) qui se divise en cinq selon le nombre de nos sens : pure, elle est perçue par la vue ; mélangée à l'air, on la perçoit par l'ouïe ; mêlée à des vapeurs (mélange d'air, d'eau, de feu), c'est l'odorat ; à des liquides, c'est le goût ; à la terre, c'est le toucher. La sensation est possible grâce à la correspondance des cinq corps simples (les quatre éléments et la quintessence) et de nos cinq sens translucides (Commentaire sur la Genèse). Il y a ainsi correspondance des cinq sens et des choses, et il y a « suffisance « de ce nombre : pas de redoublement, pas de sens surnuméraire, mais pas non plus de manque ; l'analyse de Diderot dans sa Lettre sur les aveugles ou le souhait de Montaigne d'avoir huit à dix sens dans l'Apologie de Raymond Sebond -- lui-même fort influencé par saint Bonaventure -- sont ainsi hors de propos dans une telle analyse. 3.2 Les sens spirituels On peut considérer que la problématique des sens spirituels, inaugurée chez Origène et portée à sa plus haute expression chez saint Bonaventure, renouvelle de façon très intéressante le problème de la sensation, et celui de la distinction d'un monde sensible et d'un monde intelligible. Saint Bonaventure rappelle toujours que la théologie est sapida scientia (« science savoureuse «) et que la sagesse est saveur qui se goûte (en latin, sapientia, « sagesse «, vient de sapor, « saveur «) ; il y a continuité du sensible au spirituel. S'adressant au lecteur de son Itinerarium mentis in Deum, il écrit dans le prologue : « c'est à ceux qui veulent glorifier, admirer et même goûter Dieu que j'offre les méditations suivantes «. Si la connaissance sensible qui a lieu dans la sensation est celle du monde extérieur, son « illumination « (concept central chez saint Bonaventure) est interne. La lumière de cette illumination est un rayon de l' unique lumière fontale, celle de la théologie, à laquelle l'illumination de tout type de connaissance se rapporte par « réduction « (qu'il faut entendre comme « reconduction «). La profonde originalité de saint Bonaventure tient à ce qu'il considère que, du plus bas au plus haut, du sensible à l'intelligible, du plus lointain au plus proche, du transcendant au plus intime, il s'agit toujours du sens (sensus), et de la sensation dans son unité. 4 L'ÉVIDENCE Ce que le Moyen Âge établit, c'est ainsi l'évidence commune à tous les sens. Dans la mesure où sentir, c'est proprement être illuminé, et que cette illumination a pour source une unique lumière, il est possible de parler d'une lumière du goût ou du tact, qui participent d'une même évidence lumineuse que la vue. On peut difficilement comprendre Descartes, chez qui le concept d'évidence est essentiel mais qui ne l'étend pas à un autre sens que la vue, sans ce contexte scolastique dont il est l'héritier beaucoup plus qu'il ne l'affirme. Ainsi, l'évidence est lumineuse et non -- seulement -- visuelle. En accord avec l'optique du XIIIe siècle (Robert Grosseteste, Roger Bacon), on ne parlerait pas ici d'un « tact de la vision « (Descartes, Diderot) mais plutôt d'un « toucher lumineux «. Il y a une sensation de l'évidence ; il y a aussi une évidence de la sensation. Chez Descartes, ce n'est pas l'oeil qui voit, mais l'âme. Ainsi, chez lui, les animaux ne voient pas, à proprement parler. Pour Descartes, sentir, c'est se sentir sentir. Et c'est ce qu'il nomme penser : « il me semble que je vois (videre videor), que j'entends, que je m'échauffe, et c'est proprement ce qui en moi s'appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n'est rien autre chose que penser « (Méditations métaphysiques, II). « Je pense donc je suis « peut ainsi se traduire par « je sens que je pense, donc je suis «. En écho négatif à l'évidence de la sensation, l'erreur ou l'illusion lui seront souvent attribuées. 5 ERREUR ET SENSATION, LE « TÉMOIGNAGE « DES SENS À partir de Descartes, le XVIIe siècle développe le problème central de l'erreur, puis le XVIIIe siècle celui de l'illusion. On parle du témoignage des sens. Mais, à côté du lieu commun d'une induction dans l'erreur par le témoignage des sens, on a très tôt souligné que l'erreur n'est pas une catégorie de l'ordre de la sensation. Malebranche rappelle que l'erreur est dans le jugement. Remarquons toutefois que supposer un faux témoignage des sens repose sur une conception de la sensation comme donné brut, qui se constitue en perception par l'apport du jugement. Aux XIXe et XXe siècles, dans une démarche analogue à celle de l'humanisme renaissant qui chercha l'essence de l'humain dans ses limites ou au-delà (fous, « sauvages «, etc.), on peut noter l'extrême attention de la psychologie et de la physiologie pour toutes les anomalies de la sensation, « erreurs perceptives «, déformations, pathologies sensorielles, etc. Dans le même ordre, mais dans une tout autre visée, il faut mentionner les expériences provoquées d'une transformation de la sensation par les drogues (Baudelaire, Rimbaud, Michaux...). 6 L'EMPIRISME L'empirisme redonne au problème de la sensation une importance majeure, à l'inverse de sa dévaluation dans les problématiques de l'erreur ou de l'illusion. La pensée de John Locke est capitale, ne serait-ce que parce que les autres philosophies se déterminent toujours par rapport à elle. Locke pense non pas seulement la tabula rasa (Leibniz, dans ses Nouveaux essais, récuse comme « fiction « la tabula rasa comme d'ailleurs les autres images : « cire «, portes ou fenêtres...), mais le jeu réflexif de l'intérieur et de l'extérieur. La sensation est chez lui « grande source de la plupart des idées que nous avons « ( Essai, II, 1690). S'y ajoute la réflexion. La mesure de cette position ne sera pas conservée par Condillac dans son Traité des sensations (1755), qui veut s'inscrire exclusivement après deux noms : Aristote et Locke. Mais il critique le concept de réflexion chez Locke et ne conserve que la sensation. Il suppose une statue (dont l'idée vient sans doute de Buffon) qui acquerrait successivement les cinq sens. Cette acquisition engendre peu à peu l'ensemble de nos facultés. On parle ici de génétisme complet (plutôt que de « sensualisme «, qui est un terme contesté ; A Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie). Berkeley adopte une position symétrique et donc inverse : chez Condillac, le sujet se constitue par ses sensations (statue) ; chez Berkeley, c'est le sujet sentant qui constitue l'être, qui n'est pas autre chose que percevoir ou être perçu (son Traité sur les principes de la connaissance humaine, 1710). Cette symétrie qui pose Berkeley et Condillac en opposition mais, partageant les mêmes principes, est soulignée par Diderot dans sa Lettre aux aveugles à l'usage de ceux qui voient. 7 INTÉRIEUR ET EXTÉRIEUR Nos sens nous mettent en rapport avec le monde que nous sentons, et Merleau-Ponty a beaucoup souligné que le sentant et le senti sont de la même « étoffe « (dans la Phénoménologie de la perception, mais plus encore dans ses derniers écrits : le Visible et l'Invisible, ou l'OEil et l'Esprit). Je vois parce que je suis visible. On touche là au problème de l'intériorité et de l'extériorité qui est toujours à l'horizon des pensées de la sensation. Dans la phénoménologie contemporaine, Michel Henry, reprenant dans Philosophie et phénoménologie du corps la pensée de Maine de Biran, est conduit à distinguer la sensation, en tant qu'ordre de l'extériorité, du pouvoir de se sentir soi-même. Maine de Biran décomposait ce que la tradition empiriste avait confondu sous le terme de sensation, à savoir le contenu et l'état, le senti et l'épreuve du sentir. Cette épreuve du sentir est expérience de la corporéité, qui, chez Michel Henry, est « intériorité radicale «. 8 LA SENSATION COMME OBJET Intériorité, expérience de soi (« je me sens sentant «), la sensation semble ne pas devoir se laisser aborder comme objet, observable et mesurable de l'extérieur. Mais la psychologie à partir du XIXe siècle a souvent tenté d'étudier ainsi la sensation. Weber et Fechner ont ainsi cherché en 1860 à établir que l'intensité d'une sensation est proportionnelle au logarithme de l'excitation. Bergson critique cette démarche : la sensation est une « donnée immédiate de la conscience « inatteignable par l'observation extérieure et dont le rapport d'altérité qualitative à l'extériorité est incompatible avec l'homogénéité d'une équation. C'est pourtant sur ce type d'approche que s'appuient des travaux tels que ceux d'Ernst Mach dans l'Analyse des sensations (1886) pour développer un sensationnalisme intégral : « le monde est uniquement constitué par nos sensations «. L'influence de ces thèses est importante, tant en physique (Einstein, Boltzmann, Planck) qu'en philosophie (Russel, William James), en psychologie (Gestalt Theorie) ou encore en littérature (Musil, Hofmannsthal). 9 L'ART ET LA SENSATION Le problème de la connaissance est, on l'a vu, le plus souvent celui par lequel est abordé celui de la sensation. Mais, on peut aussi rappeler que, en grec, « sensation « se dit aisthèsis, même si ce n'est qu'après 1750 et Baumgarten que le mot désigne la discipline qui vise les oeuvres d'art. Déjà chez Platon, le beau est de façon privilégiée dans l'ordre de l'aisthèsis, de la sensation. C'est sur le motif d'un refus du sensible que saint Bernard fulmine contre l'art dans les couvents dans le célèbre chapitre XII de son Apologie. Il faut consentir à la vérité ou à la sensation. Chez Nietzsche, l'art est un dire-oui au sensible (Kunst ist Jasagen zum sinnlichen), à tout ce qui n'est pas la « vérité «. Si l'art se donne dans la sensation, celle-ci peut être aussi ce qui n'est pas donné mais que l'art vise. Ainsi Rimbaud veut-il être le poète de la sensation, comme il le dit explicitement dans plusieurs textes (par exemple, les lettres dites du « voyant «, ou « Alchimie du verbe « dans Une saison en enfer). Ainsi encore Cézanne donne-t-il un statut sans précédent à la voie de la sensation dans la peinture : ce qui fut profondément analysé par Merleau-Ponty (« Le doute de Cézanne « dans Sens et Nonsens), ou encore par Gilles Deleuze dans son livre sur Francis Bacon (Francis Bacon, Logique de la sensation, en particulier le chapitre VI : « Peinture et sensation «). Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
philosophie

« un —.

Comme chez Aristote, le sens commun est l’origine et l’expression de l’unité sensorielle. L’unité du sentir dans la multiplicité des sens est soulignée dans la justification augustinienne du nombre des sens : nous percevons le monde sensible grâce à la lumière corporelle (lux corporalis) qui se divise en cinq selon le nombre de nos sens : pure, elle est perçue par la vue ; mélangée à l’air, on la perçoit par l’ouïe ; mêlée à des vapeurs (mélange d’air, d’eau, de feu), c’est l’odorat ; à des liquides, c’est le goût ; à la terre, c’est le toucher.

La sensation est possible grâce à la correspondance des cinq corps simples (les quatre éléments et la quintessence) et de nos cinq sens translucides (Commentaire sur la Genèse). Il y a ainsi correspondance des cinq sens et des choses, et il y a « suffisance » de ce nombre : pas de redoublement, pas de sens surnuméraire, mais pas non plus de manque ; l’analyse de Diderot dans sa Lettre sur les aveugles ou le souhait de Montaigne d’avoir huit à dix sens dans l’ Apologie de Raymond Sebond — lui-même fort influencé par saint Bonaventure — sont ainsi hors de propos dans une telle analyse. 3. 2 Les sens spirituels On peut considérer que la problématique des sens spirituels, inaugurée chez Origène et portée à sa plus haute expression chez saint Bonaventure, renouvelle de façon très intéressante le problème de la sensation, et celui de la distinction d’un monde sensible et d’un monde intelligible. Saint Bonaventure rappelle toujours que la théologie est sapida scientia (« science savoureuse ») et que la sagesse est saveur qui se goûte (en latin, sapientia, « sagesse », vient de sapor, « saveur ») ; il y a continuité du sensible au spirituel. S’adressant au lecteur de son Itinerarium mentis in Deum, il écrit dans le prologue : « c’est à ceux qui veulent glorifier, admirer et même goûter Dieu que j’offre les méditations suivantes ». Si la connaissance sensible qui a lieu dans la sensation est celle du monde extérieur, son « illumination » (concept central chez saint Bonaventure) est interne.

La lumière de cette illumination est un rayon de l’ unique lumière fontale, celle de la théologie, à laquelle l’illumination de tout type de connaissance se rapporte par « réduction » (qu’il faut entendre comme « reconduction »).

La profonde originalité de saint Bonaventure tient à ce qu’il considère que, du plus bas au plus haut, du sensible à l’intelligible, du plus lointain au plus proche, du transcendant au plus intime, il s’agit toujours du sens (sensus), et de la sensation dans son unité. 4 L’ÉVIDENCE Ce que le Moyen Âge établit, c’est ainsi l’ évidence commune à tous les sens.

Dans la mesure où sentir, c’est proprement être illuminé, et que cette illumination a pour source une unique lumière, il est possible de parler d’une lumière du goût ou du tact, qui participent d’une même évidence lumineuse que la vue.

On peut difficilement comprendre Descartes, chez qui le concept d’évidence est essentiel mais qui ne l’étend pas à un autre sens que la vue, sans ce contexte scolastique dont il est l’héritier beaucoup plus qu’il ne l’affirme.

Ainsi, l’évidence est lumineuse et non — seulement — visuelle.

En accord avec l’optique du XIIIe siècle (Robert Grosseteste, Roger Bacon), on ne parlerait pas ici d’un « tact de la vision » (Descartes, Diderot) mais plutôt d’un « toucher lumineux ». Il y a une sensation de l’évidence ; il y a aussi une évidence de la sensation.

Chez Descartes, ce n’est pas l’œil qui voit, mais l’âme.

Ainsi, chez lui, les animaux ne voient pas, à proprement parler.

Pour Descartes, sentir, c’est se sentir sentir.

Et c’est ce qu’il nomme penser : « il me semble que je vois (videre videor), que j’entends, que je m’échauffe, et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser » ( Méditations métaphysiques, II).

« Je pense donc je suis » peut ainsi se traduire par « je sens que je pense, donc je suis ». En écho négatif à l’évidence de la sensation, l’erreur ou l’illusion lui seront souvent attribuées. 5 ERREUR ET SENSATION, LE « TÉMOIGNAGE » DES SENS À partir de Descartes, le XVII e siècle développe le problème central de l’erreur, puis le XVIII e siècle celui de l’illusion. On parle du témoignage des sens.

Mais, à côté du lieu commun d’une induction dans l’erreur par le témoignage des sens, on a très tôt souligné que l’erreur n’est pas une catégorie de l’ordre de la sensation.

Malebranche rappelle que l’erreur est dans le jugement. Remarquons toutefois que supposer un faux témoignage des sens repose sur une conception de la sensation comme donné brut, qui se constitue en perception par l’apport du jugement. Aux XIXe et XXe siècles, dans une démarche analogue à celle de l’humanisme renaissant qui chercha l’essence de l’humain dans ses limites ou au-delà (fous, « sauvages », etc.), on peut noter l’extrême attention de la psychologie et de la physiologie pour toutes les anomalies de la sensation, « erreurs perceptives », déformations, pathologies sensorielles, etc.

Dans le même ordre, mais dans une tout autre visée, il faut mentionner les expériences provoquées d’une transformation de la sensation par les drogues (Baudelaire, Rimbaud, Michaux...). 6 L’EMPIRISME L’empirisme redonne au problème de la sensation une importance majeure, à l’inverse de sa dévaluation dans les problématiques de l’erreur ou de l’illusion. La pensée de John Locke est capitale, ne serait-ce que parce que les autres philosophies se déterminent toujours par rapport à elle.

Locke pense non pas seulement la tabula rasa (Leibniz, dans ses Nouveaux essais, récuse comme « fiction » la tabula rasa comme d’ailleurs les autres images : « cire », portes ou fenêtres...), mais le jeu réflexif de l’intérieur et de l’extérieur.

La sensation est chez lui « grande source de la plupart des idées que nous avons » ( Essai, II, 1690).

S’y ajoute la réflexion. La mesure de cette position ne sera pas conservée par Condillac dans son Traité des sensations (1755), qui veut s’inscrire exclusivement après deux noms : Aristote et Locke.

Mais il critique le concept de réflexion chez Locke et ne conserve que la sensation.

Il suppose une statue (dont l’idée vient sans doute de Buffon) qui acquerrait successivement les cinq sens.

Cette acquisition engendre peu à peu l’ensemble de nos facultés.

On parle ici de génétisme complet (plutôt que de « sensualisme », qui est un terme contesté ; A Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie ).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles