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La sensibilité aux oeuvres d'art demande-t-elle à être éduquée ?

Publié le 02/03/2005

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Le terme « éduquer « vient du latin educare (ex-ducere) et signifie « prendre soin de «, et désigne également l’action de « faire croître «, « d'élever «. La difficulté pour définir ce terme provient de son important degré de généralité : l’éducation correspond à la formation d'un individu, à divers niveaux (on parle ainsi indifféremment d’éducation religieuse, morale, sociale, technique, scientifique…). En ce sens, il est malaisé de le distinguer d’un terme au signifié voisin : « enseigner «, qui désigne un mode de transmission d’éducation précis : celui de la transmission de connaissances à l’aide de signes. Si l’enseignement est un mode d’éducation particulier, cela signifie que l’éducation est un enseignement, mais qu’elle est aussi plus que cela. L’éducation est par conséquent à la fois transmission de savoirs, mais elle est également formation du savoir être de l’individu, qui, par le moyen de l’éducation, acquiert la faculté de vivre en société, parmi les autres hommes. C’est ainsi qu’un homme « bien éduqué « est à la fois un homme qui a une instruction importante, mais aussi une capacité développée à vivre avec ses semblables. Enfin, nous pouvons dire que l’éducation est également formation du savoir faire de l’individu, c'est-à-dire de ses compétences et de ses habiletés pratiques Lorsqu’une première chose en demande une autre, cela signifie qu’elle la nécessite, que la seconde est indispensable à la première. Si nous disons que la sensibilité aux œuvres d’art demande à être éduquée, cela veut dire que la sensibilité en question n’est pas suffisante,  qu’elle demande cette formation rendue possible par une éducation, sur la nature de laquelle nous aurons à nous interroger. La question au centre de notre travail sera de déterminer si la sensibilité nécessite d’être éduquée pour apprécier les oeuvres d’art, ou si une telle éducation est contraire à sa nature sinon inutile du point de vue de la fin qui lui est attribuée.

  • éléments de réflexion

   • Si la sensibilité aux oeuvres d'art demande à être éduquée (voire enseignée ?) cela relève-t-il de l'explication et de la compréhension ?    • Réfléchir sur ce que peuvent signifier les termes « comprendre « et « expliquer «. Expliquer (du verbe latin « explicare « : déplier) c'est rendre compte d'une réalité de façon qu'on puisse la comprendre (en un certain sens).  La compréhension qui passe par l'explication utilise les voies de l'analyse et de la synthèse. Elle passe par la recherche des causes (pourquoi, par quoi) et la recherche des fins (pourquoi : en vue de quoi).    Les recherches d'inspiration phénoménologique opposent:  • l'explication « à « la compréhension « comme un mode de connaissance analytique et discursif qui sépare un tout en ses éléments pour le reconstruire (intellectuellement) à un mode de connaissance d'ordre intuitif, synthétique.  Cette compréhension n'est pas autre chose que la saisie d'un sens, une appréhension globale du mode d'apparaître propre à un « objet «.    • Est-ce que l'oeuvre d'art relève d'un mode d'apparaître spécifique ? Si oui, lequel ? En quoi ?    • Est-ce qu'on a compris « une oeuvre d'art « lorsqu'on pense avoir rendu compte des déterminations historiques, sociologiques, psychologiques, voire psychanalytiques de son apparition ?    • Est-ce qu'on a compris « une oeuvre d'art « lorsqu'on peut dévoiler sa technique, son fonctionnement formel ?    • Méditer la position de Kant (Critique du jugement), notamment les § 17 (p. 53), § 18 (p. 62).  Selon lui, « il ne peut y avoir aucune règle objective du goût capable de déterminer par concepts ce qui est beau « (§ 17). D'où « la nécessité qui est pensée dans un jugement esthétique « ne peut être affirmée « apodictiquement «, c'est-à-dire comme le résultat d'une démonstration de type scientifique (§ 18).  Mais si l'on ne peut pas démontrer le beau, on peut du moins le montrer (ce qu'on peut et doit faire en donnant des exemples) :    • Entre tous les pouvoirs et tous les talents, le goût est précisément celui qui, puisque son jugement n'est pas déterminable par préceptes et concepts, est contraint de fournir du moins des exemples de ce qui dans le progrès de la culture est demeuré le plus longtemps objet d'approbation afin de ne pas retomber dans la brutalité et la grossièreté des premières recherches. «  La culture du goût ne serait-elle pas impossible si l'on s'en tient seulement à opposer le goût (comme liberté sans règles et sans concepts) au développement de la culture scientifique par principes et démonstrations ?  

  •  lectures

   • Kant, Critique du jugement, § 17 et 18.  • Michel Gourinat, De la philosophie, tome I pages 266 à 274 (Hachette).  • Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement (Editions de Minuit) ; notamment les paragraphes :  — Les manières et la manière d'acquérir (p. 70 et suivantes).  — Les doctes et les mondains (p. 74 et suivantes).  — L'expérience et le savoir (p. 81 et suivantes).  

  • Lorsque nous parlons d’art, nous désignons en vérité deux réalités distinctes. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Ainsi, l’activité de l’artiste et celle de l’artisan étaient recouvertes par le même terme. Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l’une à l’autre, qu’elles possèdent chacune une spécificité à élucider. Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d’une part ce qui distingue l’art de l’horloger de celui du poète, l’activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art «.

« Par sensibilité, nous entendons en vérité deux choses.

La sensibilité est d'abord la fonction par laquelle le systèmenerveux perçoit et analyse des objets ou des phénomènes extérieurs ou intérieurs.

Il s'agit donc de l'interface parlaquelle le monde est présent à notre conscience par le moyen des sens.

Mais par sensibilité, on entend quelquechose d'autre, à savoir une aptitude à s'émouvoir, à éprouver de la tendresse, de la pitié ou un sentimentesthétique.

Le terme « éduquer » vient du latin educare (ex-ducere) et signifie « prendre soin de », et désigne également l'action de « faire croître », « d'élever ».

La difficulté pour définir ce terme provient de son important degré degénéralité : l'éducation correspond à la formation d'un individu, à divers niveaux (on parle ainsi indifféremmentd'éducation religieuse, morale, sociale, technique, scientifique…).

En ce sens, il est malaisé de le distinguer d'unterme au signifié voisin : « enseigner », qui désigne un mode de transmission d'éducation précis : celui de latransmission de connaissances à l'aide de signes.

Si l'enseignement est un mode d'éducation particulier, cela signifieque l'éducation est un enseignement, mais qu'elle est aussi plus que cela.

L'éducation est par conséquent à la foistransmission de savoirs , mais elle est également formation du savoir être de l'individu, qui, par le moyen de l'éducation, acquiert la faculté de vivre en société, parmi les autres hommes.

C'est ainsi qu'un homme « bienéduqué » est à la fois un homme qui a une instruction importante, mais aussi une capacité développée à vivre avecses semblables.

Enfin, nous pouvons dire que l'éducation est également formation du savoir faire de l'individu, c'est- à-dire de ses compétences et de ses habiletés pratiquesLorsqu'une première chose en demande une autre, cela signifie qu'elle la nécessite, que la seconde est indispensableà la première.

Si nous disons que la sensibilité aux œuvres d'art demande à être éduquée, cela veut dire que lasensibilité en question n'est pas suffisante, qu'elle demande cette formation rendue possible par une éducation, surla nature de laquelle nous aurons à nous interroger.

La question au centre de notre travail sera de déterminer si la sensibilité nécessite d'être éduquée pour apprécier lesœuvres d'art, ou si une telle éducation est contraire à sa nature sinon inutile du point de vue de la fin qui lui estattribuée.

I.

La sensibilité aux œuvres d'art, une faculté qu'il est inutile d'éduquer ? a.

La sensibilité aux œuvres d'art, impossible à éduquer ? Nous commencerons par dire que la sensibilité aux œuvres d'art ne s'éduque pas, car il semble contradictoire de direque la sensibilité est capable d'être éduquée.

En effet, qu'est-ce que la sensibilité, sinon la réception d'informationsau moyen des sens ? En effet, la sensibilité est cette capacité à entrer en contact avec le monde, à sortir de nous-mêmes par ces différentes facultés de préhension sur le réel que sont le goût, l'odorat, la vue, l'ouïe et le toucher.Dans la mesure où nous naissons avec ces cinq sens, nous dirons dans un premier temps qu'il n'est pas possible deles éduquer : pure faculté réceptive, la sensibilité aux œuvres d'art ne s'éduque pas, elle s'utilise uniquement. b.

La sensibilité aux œuvres d'art n'a pas à être éduquée ? Mais c'est en un autre sens que la sensibilité ne demande pas à être éduquée.

Non parce que la sensibilité est pardéfinition incapable de faire l'objet d'une éducation, mais parce que, quand bien même cette éducation seraitpossible, elle serait en elle-même inutile.

En effet, il semble que la sensibilité aux œuvres d'art ne demande pas àêtre éduquée, c'est-à-dire affinée, rendue plus attentive aux particularités de l'œuvre.

Gérard Genette montre dansun texte intitulé « L'œuvre de l'art » qu'il est contradictoire de prétendre qu'une sensibilité aux œuvres d'art est d'autant plus affutée qu'elle est attentive aux détails, et qu'il faut que la sensibilité explore toutes les significationsd'une œuvre pour bien remplir son emploi.

Pour Genette, telles les choses apparaissent au consommateur d'œuvresd'art, telles elles sont suffisantes pour lui : le degré de compréhension profond et exhaustif d'une œuvre n'est nipréférable, ni plus légitime que le degré superficiel de compréhension.

Comprendre toutes les référencesphilosophiques (notamment à Leibniz) de Proust n'est pas indispensable pour comprendre Proust lui-même.

Endéfinitive, nous dirons que la sensibilité aux œuvres d'art ne demande pas à être éduquée, car il semble que nonseulement on ne peut éduquer la sensibilité, mais que cette démarche est en elle-même inutile.. »

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