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27 septembre 1928, jeudi Rentrée à Paris.

Publié le 02/02/2013

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27 septembre 1928, jeudi Rentrée à Paris. Non une année nouvelle seulement mais un cycle nouveau il me semble commence. Dans mes tiroirs j'ai rangé trois années de notes, de souvenirs et de lettres. Et maintenant me voici engagée dans l'histoire vraie de ma vie, l'apprentissage fini que j'ai résumé dans le cahier vert. Ici chaque jour je veux marquer le bref passage du temps, pour moi, pour Jacques. Et sans doute ce ne seront plus les débats tragiques, les complications sentimentales que j'y marquerai ; mais la simple histoire de chaque journée et de ses dons joyeux ou lourds. Me voici, vieille de trois ans, sachant exactement ce que je peut attendre du monde et de moi, désireuse de vivre, et aussi neuve que si je n'avais jamais souffert, que si je ne savais rien. Me voici, calme et ardente, devant la tâche de l'année, devant l'attente et l'accomplissement promis, si total, si beau ! Année de travail et d'attente, chère dernière année de solitude, chère première année de vivante certitude. Métaphysiquement, j'en suis au même point qu'il y a quelques mois, croyant en l'esprit, en sa valeur morale, en sa puissance créatrice ; l'univers repose sur ma volonté d'amour aidée par mon intelligence. D'ailleurs je sais que je ne sais rien, mais que peut-être il n'y a rien à savoir, mais vivre. Intellectuellement, beaucoup d'ardeur, moins de curiosité que d'amour. Conscience de toute ma force, confiance en un « génie « qui pourra s'épanouir dans une øuvre, mais le programme pour l'année est de me suivre, de m'enrichir encore, puisque je n'ai pas le temps de produire. (...) Sentimentalement ... ah ! depuis si longtemps que je t'aime, t'aimer comme si c'était hier que venu à moi tu m'as dit : « Veux tu me considérer comme ton ami ? « Ces premiers jours à Paris n'ont été qu'un lent pèlerinage aux endroits où j'ai vécu si intensément ton existence - défaillance exquise des soirs, la même qu'il y a deux ans, lorsque j'allais te voir. (...) Jardins du Luxembourg dans leur luxuriante floraison d'automne dans le cadre des marronniers roux dorés ; boulevard Saint-Michel dans le soir grisâtre et froid où sans tristesse s'efface la journée, vous me conduisiez à lui. Et maintenant les stores baissés de la maison ne m'écartent pas de lui, de la maison où ta chambre t'attend avec des livres dont je connais l'odeur, et qui attendent comme j'attends. Qu'il est bon de sentir en moi, cernant les contours de ma vie, cet immense amour, avec toujours ce même battement de coeur, ce drôle de petit mouvement dans ma gorge, et cette façon de respirer même, un peut différente lorsque je suis dans cet amour. Je pense à Zara avec une tendresse infinie, et j'ai aussi le goût de sa présence dans mon coeur. Je t'offre, Jacques, cette année qui sera belle, je le veux. Et je ne suis pas encore triste... ...... Simone de Beauvoir Carnet intime n° 6

« Jardins du Luxembourg dans leur luxuriante floraison d'automne dans le cadre des marronniers roux dorés ; boulevard Saint-Michel dans le soir grisâtre et froid où sans tristesse s'efface la journée, vous me conduisiez à lui.

Et maintenant les stores baissés de la maison ne m'écartent pas de lui, de la maison où ta chambre t'attend avec des livres dont je connais l'odeur, et qui attendent comme j'attends.

Qu'il est bon de sentir en moi, cernant les contours de ma vie, cet immense amour, avec toujours ce même battement de c œ ur, ce drôle de petit mouvement dans ma gorge, et cette façon de respirer même, un peut différente lorsque je suis dans cet amour. Je pense à Zara avec une tendresse infinie, et j'ai aussi le goût de sa présence dans mon c œ ur.

Je t'offre, Jacques, cette année qui sera belle, je le veux.

Et je ne suis pas encore triste… …… Simone de Beauvoir Carnet intime n° 6. »

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