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SIGNIFICATION ET VALEUR DU SACRIFICE ?

Publié le 14/03/2004

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Dieu ne peut aimer en nous que ce consentement à nous retirer pour le laisser passer ». Il faut donc accepter sans se défendre tout le mal qui nous opprime, s'exposer à toutes les épreuves : « on ne peut offrir que le moi, sinon tout ce qu'on nomme offrande n'est qu'une étiquette posée sur une revanche du moi ».Aux yeux du théologien il y a là une étrange confusion de la création et de la chute, une malédiction injustifiée jetée sur l'existence innocente. Aux yeux du psychiatre, cet étrange renoncement ne serait que le camouflage philosophique d'une radicale impuissance à vivre.Bien souvent la conduite sacrificielle n'est qu'une expression du masochisme. Freud a montré que les exigences de la civilisation répriment l'instinct fondamental d'agressivité. Celui-ci, refoulé, n'en continue pas moins d'exister à l'intérieur de la personne et se retourne, faute d'une autre issue, contre le moi lui-même. Le masochisme sacrificiel ne serait alors que l' « introjection » de l'agressivité.Il n'est pas question de mettre en doute les enseignements de la psychiatrie contemporaine ; seulement il convient de se demander si la structure des consciences morbides nous révèle l'essence même du sacrifice, ou son altération. De même que le contenu des délires est emprunté à l'expérience humaine, l'affectivité des névrosés conserve les structures de l'affectivité normale, mais coupées du contexte qui les justifie.

« morbide décrit par le docteur Odier, certains malades « rachètent » leurs fautes réelles ou imaginaires par despratiques pénibles (se laver quarante fois les mains, tourner une heure autour de son lit, etc.).

Sans doute lesacrifice compensateur a-t-il des racines biologiques profondes comme on le voit dans les pratiques inconscientesd'autopunition.

Une malade de Tzanck est atteinte d'eczéma incurable ; la psychanalyse révèle que cette juivepratiquante a épousé un agnostique et renoncé à la cuisine rituelle ; son eczéma représente l'expiation de sa «faute ».

L'eczéma a disparu pendant un mois, au cours d'une fièvre typhoïde, et reparaît ensuite.

Il est clair que lamaladie accidentelle a suppléé alors la fonction sacrificielle de l'eczéma ! Mais même si la conduite du sacrificeapparaît ici comme une loi psycho-organique profonde, elle n'en est pas moins injustifiée au regard d'une éthiquerationnelle.Sans doute Simone Weil s'efforce-t-elle de fonder métaphysiquement le sacrifice absolu ; nous sommes sortis deDieu, donc séparés de Lui ; la « pesanteur u de notre existence, puissance déifuge », appelle en compensation une«grâce» qui n'est pas autre chose qu'une invitation à nous « décréer ».

Consentons par amour à n'être plus rien afinde restituer à Dieu sa plénitude originelle : « Dieu m'a donné l'être pour que je le lui rende...

Dieu ne peut aimer ennous que ce consentement à nous retirer pour le laisser passer ».

Il faut donc accepter sans se défendre tout le malqui nous opprime, s'exposer à toutes les épreuves : « on ne peut offrir que le moi, sinon tout ce qu'on nommeoffrande n'est qu'une étiquette posée sur une revanche du moi ».Aux yeux du théologien il y a là une étrange confusion de la création et de la chute, une malédiction injustifiée jetéesur l'existence innocente.

Aux yeux du psychiatre, cet étrange renoncement ne serait que le camouflagephilosophique d'une radicale impuissance à vivre.Bien souvent la conduite sacrificielle n'est qu'une expression du masochisme.

Freud a montré que les exigences de lacivilisation répriment l'instinct fondamental d'agressivité.

Celui-ci, refoulé, n'en continue pas moins d'exister àl'intérieur de la personne et se retourne, faute d'une autre issue, contre le moi lui-même.

Le masochisme sacrificielne serait alors que l' « introjection » de l'agressivité.Il n'est pas question de mettre en doute les enseignements de la psychiatrie contemporaine ; seulement il convientde se demander si la structure des consciences morbides nous révèle l'essence même du sacrifice, ou son altération.De même que le contenu des délires est emprunté à l'expérience humaine, l'affectivité des névrosés conserve lesstructures de l'affectivité normale, mais coupées du contexte qui les justifie.

Le rituel expiatoire, minutieux etdérisoire du névrosé obsessionnel ne livre pas le sens du sacrifice, il en offre seulement la caricature.La réduction pathologique, comme la réduction psychologique du sacrifice, trahit ce qu'elle prétend expliquer.

Il esttemps d'entreprendre une phénoménologie du sacrifice qui en dégage et en respecte la signification profonde.Le sacrifice n'est pas un acte absurde et il est vrai qu'on peut y voir un échange qui se solde en définitive par ungain ; seulement, et c'est ce que l'utilitarisme n'a pas compris, dans cet échange ce qui est donné et ce qui estreçu n'appartiennent pas au même plan ; il ne s'agit pas de réalités homogènes.

On ne comprend la signification dusacrifice que dans la perspective d'une philosophie des valeurs.

Les plaisirs ou les biens sensibles qui sont sacrifiés lesont sans aucune compensation dans le domaine du sensible.

Cependant ce sacrifice du sensible est la médiationpar laquelle s'opère la promotion du spirituel.

Ainsi le sacrifice religieux est une perte absolue sur le plan des réalitésprofanes, mais il permet au fidèle de s'introduire dans un royaume nouveau, le royaume du sacré.

Ce n'est pas pourrien, dit M.

Gusdorf, que le prêtre est un pontife, l'homme qui établit un pont, une médiation entre deux ordres devaleur dont l'un est supérieur à l'autre.

En ce sens « le sacrifice consacre un franchissement de ligne pour lequell'homme du sacrifice doit payer en nature et faire la preuve de sa sincérité » ce franchissement de ligne », cepassage à un ordre plus élevé dans la hiérarchie des valeurs, nous le trouvons à l'occasion de tout sacrifice vrai.Lorsque Bernard Palissy brûle jusqu'à ses meubles, et jusqu'au plancher de sa maison pour continuer à chauffer sonfour et poursuivre ses chefs-d'oeuvre céramiques, ce sont les valeurs matérielles qui sont sacrifiées à la valeuresthétique ; le sacrifice de l'individu à la communauté nationale ou familiale, le sacrifice enfin aux valeurs absoluesde Vérité, de Justice, réalisent une promotion du même ordre dans la hiérarchie des valeurs.

Le martyr est avanttout un témoin de l'ordre des valeurs ; son sacrifice signifie la transcendance des « raisons de vivre » par rapport àla vie elle-même.

La mort paisible de Socrate est la preuve concrète que le monde des Idées a plus de valeur quel'existence elle-même ; à cet égard la philosophie platonicienne n'est pas autre chose que le commentaire par ledisciple du sacrifice du maître.

Ainsi le sacrifice apparaît comme un témoignage irrécusable : « On ne ruse pas avecle sacrifice, dit Le Senne, on le fait ou on le fuit, il montre l'âme ».Toutefois le sacrifice parfait ne consomme-t-il pas en quelque sorte la négation de son essence ? Car enfin, si cequ'on sacrifie n'est que finitude par rapport à l'infini dont on témoigne, on peut dire que l'homme du sacrifice ne perdrien ; il ne sacrifie qu'un bien apparent, qu'une illusion et trouve un bien réel.

C'est aux yeux des autres, aux yeuxde ceux qui ne sont pas encore assez avancés dans le domaine des valeurs, qui restent fascinés par le sensible,qu'il y a sacrifice ».

Ce sont les compagnons de Socrate qui pleurent tandis qu'il boit la ciguë dans une sérénitéparfaite.

De même le sage spinoziste qui se place au point de vue de Dieu et devient indifférent aux malheurs qui lefrappent a le sentiment d'avoir trouvé la Vérité et non pas d'accomplir un sacrifice.

Les deux premiers genres deconnaissance ne sont pas sacrifiés au troisième ; ils s'effacent devant lui.Cette vision des choses ne correspond pas à l'expérience humaine réelle.

Elle dissimule la dimension tragique dusacrifice qui demeure essentielle.

Lorsque le plus grand nombre d'abeilles abandonne pour essaimer une ruche gorgéede miel nouveau et court affronter la faim et la mort, il n'y a pas sacrifice : les abeilles paraissent folles de joie,enivrées par leur instinct.

Elles ne font comme dans tous leurs comportements qu'obéir à l'impulsion naturelle.

Il n'enest pas de même pour l'homme.

La promotion dans l'ordre des valeurs est un enfantement douloureux : le sagespinoziste tout en s'unissant à la substance d'un amour intellectuel continue à éprouver la souffrance dans sa chair.Les valeurs sensibles — qui sont à leur échelle valeurs authentiques — sont sacrifiées sans remède ; il y a une perteréelle, qui n'est compensée que sur un autre plan, mais c'est peut-être cette tragédie irrémédiable du sacrifice quidonne au courage humain son incomparable grandeur.

« Qu'un dieu, dit l'héroïne de Shakespeare, serait misérable àma place, il ne pourrait pas souffrir, il ne pourrait pas mourir pour toi.». »

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