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Que signifie l'expression: avoir de l'expérience ?

Publié le 15/07/2004

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De là. nous remontons jusqu'au verbe varen qui signifie certes naviguer (c'est-à-dire aller sur l'eau, mais qui peut aussi vouloir dire aller. Avoir de l'expérience, ce serait ainsi accomplir un mouvement au terme duquel nous éprouverions un changement, une sorte de mue. Celui qui fait véritablement une expérience va jusqu'au bout. Si, comme on dit les voyages forment la jeunesse, c'est qu'ils sont riches en expériences. Mais n'anticipons pas, nous reviendrons là aussi sur ce point. Quant à l'allemand Erfahrung (expérience, verbe erfahren : aller, se déplacer, cf. encore l'anglais to fare), il indique lui aussi la marche. Faire l'expérience de quelque chose, c'est « y arriver grâce à la marche sur un chemin « (Heidegger, Acheminement vers la parole, p. 153).

Avoir de l'expérience, c'est posséder un ensemble de connaissances formant une sorte de connaissance pratique acquise au cours de la vie.

« En un sens rien n'est plus satisfaisant pour l'esprit que l'image de l'aventurier bronzé qui revient d'une mine d'orau Brésil où bien encore celle du marin hâlé qui égrène ses souvenirs au fil des escales.

Et si de telles imagesapparaissent un peu naïves, on peut se consoler en écoutant un cheminot parler du bon vieux temps deslocomotives à vapeur ou un vieil instituteur de campagne discuter de son métier.

On peut enfin vouloir vivre savie — à condition bien sûr d'avoir quelque chose de tel sous la main, condition que l'on néglige trop souvent !Rien semble-t-il ne remplace l'expérience vécue qui implique non seulement le poids de l'existence mais encorela connaissance parfaite d'un métier ou d'une technique.

Celui qui a l'air de mettre en doute la valeur del'expérience vécue se voit fréquemment accusé de cynisme ou de lâcheté.

On lui répondra, en des termesqu'on empruntera pour l'occasion à Nietzsche — auteur très prisé sur le marché de l'expérience vécue — qu'ilfaut vivre dangereusement.

Ce faisant, on oublie qu'il est plus facile de s'annexer Nietzsche que de le lire, car pour cela il faut, disait-il lui-même, « avoir des pensées et passeulement des points de vue ».

On oublie aussi que si Nietzsche insistesur la nécessité d'une existence authentique, celle-ci ne saurait à sesyeux se confondre avec une pure et simple apologie de l'expériencevécue laquelle n'est au fond qu'une démangeaison épidermique.

Onoublie enfin que si la notion d'expérience vécu (en allemand Erlebnis) estd'un emploi fort usuel, elle appartient aussi au vocabulaire philosophique(cf.

en particulier Dilthey et Husserl) et qu'il n'y a pas beaucoup de sensà passer sans cesse d'un emploi à un autre.

C'est ainsi sur la base deplusieurs « oublis » qu'on peut dire n'importe quoi au nom d'une notionqui n'est en réalité qu'une vaine idole de l'époque actuelle à côté decelle de la personnalité.

Il faut d'ailleurs noter qu'« elles ont entre ellesdes liens très étroits, puisqu'un peu partout règne l'idée que l'expériencevécue formerait la personnalité et qu'elle ferait partie de son essence.On se torture l'esprit pour se fabriquer des « expériences vécues »,persuadé que cela constitue une attitude digne d'une personnalité, etlorsqu'on n'y réussit pas on se donne au moins l'air de posséder cettegrâce » (Max Weber, Le Savant et la Politique, collection 10/18 U.G.E.,p.

66).

Laissons donc là le thème de l'expérience vécue et voyons si, ausens fort, avoir de l'expérience ne signifierait pas s'ouvrir poétiquementau monde.Avant d'aborder ce point, précisons qu'avoir de l'expérience ne signifie pas pour nous avoir un certain âge. « Personnellement je n'ai jamais admis qu'au cours d'une discussion on cherchât à prendre l'avantage enexhibant son acte de naissance...

Ce n'est pas l'âge qui importe, mais d'abord la souveraine compétence duregard qui sait voir les réalités de la vie sans fard et ensuite la force d'âme qui est capable de les supporter »(Max Weber, ibid., p.

182).

Cela ne signifie certes pas que l'âge ne joue aucun rôle dans le fait d'avoir del'expérience, mais tout dépend de l'intensité de celle-ci.

Les jeunes, dont on parle beaucoup mais qu'on écouteen définitive peu, découvrent bien vite, passé le temps de la mièvre séduction démagogique, que ceux quis'adressent à eux du haut des strates de leur vie ne font que leur raconter les dérisoires étapes de leur proprestratification.

« Celui qui a vieilli, dit un jour Heidegger, harcèle les jeunes avec les dernières nouveautés.

» Etil ajouta : « Celui qui sait vieillir les libère dans l'initial.

» Savoir vieillir, autrement dit savoir mûrir et aussimourir, c'est véritablement avoir de l'expérience.La faiblesse de l'expérience vécue face à l'expérience poétique est qu'elle confond toujours expériences etsentiments.

« On devrait attendre et butiner toute une vie durant, si possible une longue vie durant ; et puisenfin, très tard, peut-être saurait-on écrire les dix lignes qui seraient bonnes.

Car les vers ne sont pas, commecertains croient, des sentiments [Gefühle] (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences[Erfahrungen] » (Rilke, OEuvres, tome I, Seuil, p.

559-560).

Ces paroles qui vont droit à l'essentiel ne doiventpas faire croire que l'expérience poétique dont nous parlons est une affaire de littérature.

Avoir de l'expérience,c'est parler depuis le coeur de la vie.

Ou plutôt c'est laisser « d'expérience en expérience » comme disaitencore Rilke, parler la vie au fond de son coeur.

Avoir de l'expérience, c'est enfin être capable de faire uneexpérience.

« Faire une expérience avec quoi que ce soit, une chose, un être humain, un dieu, cela veut dire :le laisser venir sur nous, qu'il nous atteigne, nous tombe dessus, nous renverse et nous rende autre »(Heidegger, Acheminement vers la parole, p.

143).. »

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