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Que signifie "perdre la raison" ?

Publié le 07/02/2004

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Mais le logos signale aussi le refus de la « démesure » (l'hubris), qui rassemble les attitudes paraissant non compatibles avec l'humanité - soit qu'elles soient excessives (rivaliser avec les dieux), soit qu'elles soient à l'inverse indignes (tomber dans l'animalité, en ne tenant plus compte de l'exigence de mesure ou de ce qui, pour Aristote, est le « juste milieu »). Enfin, le logos est aussi le langage (qui établit bien des relations), la capacité de communiquer avec l'autre et le souci du discours cohérent ou logique.Perdre la raison consisterait ainsi à réagir ou à se comporter selon des modes indifférents à cette série de qualités. Si l'on s'intéresse d'abord à ce que suggère la notion de mise en relation, on constate que perdre la raison signifie tomber dans l'incohérence, dans l'absurdité et dans l'absence de logique (ce qui peut concerner des gestes, des mots et des phrases, ou le comportement).[II. La perte de la mesure]Sans doute peut-on penser que l'on évoque ainsi ce qui est ordinairement nommé « folie ». Le « fou » n'est-il pas, selon ce qu'en retient l'image publique, celui qui gesticule, qui hurle ou chuchote de manière incompréhensible, qui fait alterner des phases de mutisme obstiné avec des périodes de discours haletant, dont la conduite apparaît peu contrôlable parce qu'on ne parvient pas à deviner ce qui la détermine ?A ceci près qu'une telle description, outre qu'elle est synthétique et mélange des symptômes qui se manifestent dans des maladies différentes, correspond aussi bien à l'évocation de celui que l'on nomme, dans d'autres cultures, un sorcier ou un shaman... Ce qui nous rappelle que le repérage de la folie est loin d'obéir à des critères universels, et que sa définition est éminemment variable, tant au cours de notre histoire (comme l'a montré Michel Foucault) qu'à l'intérieur d'ensembles culturels différents. Alors que, pour nous, le malade mental semble défavorisé, il est au contraire perçu dans certaines sociétés comme bénéficiant de lafaveur des esprits (on lui réservera en conséquence de hautes fonctions : sorcier, chef de clan.

« [III.

La perte du rapport à autrui] C'est le respect de la raison moyenne qui garantit la communication entre les individus, non seulement parce qu'elleautorise le recours au langage, mais aussi, plus radicalement, parce qu'elle établit les conditions minimales de lacommunication : que l'autre apparaisse comme interlocuteur potentiel, c'est-à-dire que lui soient attribuées lesqualités d'un être humain.Perdre la raison signifie dans cette optique le non-respect de ces conditions de communication.

Soit que le langageémis soit incompréhensible et semble alors renvoyer à une pensée obéissant à une logique totalement énigmatique,soit que les paroles prononcées soient sans rapport direct avec celles de l'interlocuteur, ce qui interdit le dialogue.Les textes « bruts », rédigés par des malades mentaux, abondent ainsi en inventions verbales, en distorsionsgraphiques et grammaticales qui en rendent la compréhension difficile.

Lorsque Descartes évoque le langage et lapensée des « fous », il semble admettre qu'ils sont malgré tout porteurs d'un sens, quelle que soit leur apparencedéroutante.

Et la psychiatrie contemporaine adopte un point de vue semblable, qui cherche dans les écrits et lesdiscours des malades mentaux les indices de leurs symptômes et les formes complexes de symbolisation qui peuventy être à l'oeuvre.Le malade qui parle obéit en effet à une intention de communiquer quelque chose à quelqu'un : il n'a sans doute pasrompu tout lien social, mais il se trouve dans l'incapacité de se faire facilement comprendre.Plus grave est la situation de l'individu qui ne parvient pas à concevoir qu'il a face à lui un représentant del'humanité, qui ne perçoit plus l'humanité de l'autre.

Mais celui-là n'est pas nécessairement repéré comme « fou »,ou alors, ce sera après coup, lorsque ses actes auront prouvé jusqu'à l'horreur qu'il divise les corps pour en rejetercertains hors de l'humanité.

Tel est le cas du dirigeant nazi, ou du démagogue raciste.

Il perd la raison, parce qu'ilse perçoit, avec ses complices, comme supérieur aux populations dont il nie l'humanité, et rompt le pacte decommunication potentielle qui unit tous les hommes.On peut bien sûr se demander s'il perd la raison ou s'il s'en exclut.

Mais la raison dont il s'exclut alors volontairementn'est plus normée relativement à une société donnée (s'il en était ainsi, rien ne pourrait justifier qu'on lui reproched'en définir une version à l'usage exclusif des siens), elle est la raison universelle qu'évoque Kant, celle qui, par-delàtoutes les variantes culturelles, parie sur la possibilité d'unifier l'humanité. [Conclusion] Perdre la raison peut signifier que l'individu ne respecte plus les normes de la pensée définies par sa société.

Cette «folie » n'est pas la plus grave, malgré tous les problèmes qu'elle pose du point de vue thérapeutique.

La perte totalede la raison se manifeste lorsqu'un être humain prétend rompre avec une partie de l'humanité.

S'il peut se donner lesmoyens de contester le droit à la vie d'une partie de l'humanité, c'est alors l'histoire qui perd la raison.. »

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