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Simone de Beauvoir, L'existentialisme et la sagesse des nations

Publié le 26/04/2011

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Il faut bien le reconnaître, les expressions : « roman métaphysique «, « théâtre d'idées «, peuvent éveiller quelque inquiétude. Certes, une œuvre signifie toujours quelque chose : celle même qui cherche le plus délibérément à refuser tout sens, manifeste encore ce refus; mais les adversaires de la littérature philosophique plaident avec raison que la signification d'un roman ou d'une pièce de théâtre ne doit, pas plus que celle d'un poème, pouvoir se traduire en concepts abstraits : sinon, à quoi bon construire un appareil fictif autour d'idées qu'on exprimerait avec plus d'économie et de clarté dans un langage direct? Le roman ne se justifie que s'il est un mode de communication irréductible à tout autre. Tandis que le philosophe, l'essayiste, livrent au lecteur une reconstruction intellectuelle de leur expérience, c'est cette expérience elle-même, telle qu'elle se présente avant toute élucidation, que le romancier prétend restituer sur un plan imaginaire. Dans le monde réel, le sens d'un objet n'est pas un concept saisissable par le pur entendement : c'est l'objet en tant qu'il se dévoile à nous dans la relation globale que nous soutenons avec lui et qui est action, émotion, sentiment; on demande aux romanciers d'évoquer cette présence de chair et d'os dont la complexité, la richesse singulière et infinie, déborde toute interprétation subjective. Le théoricien veut nous contraindre d'adhérer aux idées que lui a suggérées la chose, l'événement. Beaucoup d'esprits répugnent à cette docilité intellectuelle. Ils veulent garder la liberté de leur pensée; il leur plaît, au contraire, qu'une fiction imite l'opacité, l'ambiguïté, l'impartialité de la vie; envoûté par l'histoire qui lui est racontée, le lecteur réagit ici comme devant les événements vécus. Il est ému, il approuve, il s'indigne, par un mouvement de tout son être, avant de formuler des jugements qu'il tire de lui-même sans qu'on ait la présomption de les lui dicter. C'est là ce qui fait le prix d'un bon roman. Il permet d'effectuer des expériences imaginaires aussi complètes, aussi inquiétantes que les expériences vécues. Le lecteur s'interroge, il doute, il prend parti et cette élaboration hésitante de sa pensée lui est un enrichissement qu'aucun enseignement doctrinal ne pourrait remplacer.    Un vrai roman ne se laisse donc ni réduire en formules, ni même raconter; on ne peut pas plus en détacher le sens qu'on ne détache un sourire d'un visage.    Simone de Beauvoir, L'existentialisme et la sagesse des nations (1948).    Vous présenterez d'abord un résumé ou une analyse de ce texte. Puis, vous en dégagerez un problème auquel vous attachez un intérêt particulier; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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