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La société m'empêche-t-elle d' être moi-même ?

Publié le 13/10/2005

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Si nous disons que la société nous empêche d'être nous-mêmes, cela signifie que la société fait peser sur nous des contraintes telles, d'ordre inconscient le plus souvent, qui nous empêchent de faire correspondre notre comportement à ce que nous sommes. La société aurait donc un pouvoir légiférant, de contrôle, d'autorité sur ce que je suis, puissant au point de nous empêcher, d'une part, d'agir conformément à notre identité, sinon au point de décider de celle-ci, au point de la modeler. Cependant, une telle thèse peut nous apparaître en tous points contestables, dans la mesure où notre identité est à ce point assurée, ferme, définitive en quelque sorte, que ce que la société peut changer tout au plus, c'est notre comportement extérieur, notre attitude, et non modifier en profondeur notre être. Après avoir examiné la validité de cette thèse, nous en viendrons néanmoins à montrer que la société a bel et bien un pouvoir de maitrise sur notre identité, qu'elle nous empêche de faire coïncider nos actes avec ce que nous sommes et menace de faire de nous des acteurs qui perdent la conscience d'être en train de jouer. Enfin, nous verrons dans un dernier temps que la société ne saurait m'empêcher d'être moi-même, non pas, comme nous l'aurons vu dans un premier temps, parce que nous n'avons pas la liberté d'être autres que nous le sommes, mais précisément l'inverse, parce que la puissance de notre liberté est telle que la société ne nous empêche d'être nous-mêmes que lorsque nous consentons volontairement à cette limitation de notre liberté. La question au centre de notre réflexion sera donc de déterminer si la société a un pouvoir de contrainte et de définition sur mon identité, ou si je décide de celle-ci en toute liberté.

« b.

Le déterminisme expérientiel Allant plus loin, nous dirons qu'il existe une autre raison pour laquelle la société ne saurait m'empêcher, à proprementparler, d'être moi-même : en raison d'un second déterminisme que l'on peut qualifier d'expérientiel.

En effet, audéterminisme organique s'ajoute le déterminisme expérientiel qui a priori pouvaient s'exclure : en effet, si l'hommeest déterminé par la conformation de ses organes, la nature de ses actes, quand bien même ils seraient pris dansune série répétitive, ne saurait modifier ce qu'il est.

Néanmoins, pour les matérialistes du XVIIIe siècle, l'individurenforce ce qu'il est, et qu'il ne saurait ne pas être, lorsqu'il agit habituellement de la manière déterminée par lesappétits propres de son corps.

L'habitude ancre en effet l'identité de l'individu, de sorte que sa nature organique luidevient progressivement indissociable.

C'est cette idée qu'exprime Sade dans le passage suivant des Malheurs de la vertu : « C'est dans le sein de la mère que se fabriquent les organes qui doivent nous rendre susceptibles de telleou telle fantaisie, les premiers objets représentés, les premiers discours entendus achèvent de déterminerle ressort ; les gouts se forment, et rien au monde ne peut plus les détruire ». Une telle conception implique que la société ne saurait m'empêcher d'être moi-même, c'est-à-dire modifier monidentité en profondeur.

Certes, elle peut contrôler certains de mes actes, mais non pas me rendre autre que je nesuis devenu irrésistiblement, en raison de la conformation de mes organes et des expériences qui sont venuescimenter l'ordonnancement intime de ce que je suis. I.

La société a un pouvoir de contrôle sinon de définition de mon identité a.

Le pouvoir de contrôle de la société sur moi-même Cependant, nous pouvons nuancer la thèse que nous venons de soutenir en reconnaissant à la société unauthentique pouvoir de contrôle sur moi-même.

En effet, il faut bien voir que ce ne sont pas seulement certainesexpressions de ce que je suis qui sont censurées, contrôlées par la société, mais bien mon identité elle-même enderniers recours.

Pensons par exemple au contrôle du corps individuel par la société : depuis que nous sommesenfants, nous nous voyons inculquer des comportements corporels, des attitudes, contraires à ceux que noustendons instinctivement à adopter, et qui sont socialement valorisés (pensons à l'injonction de se tenir droit, à avoircertaines manières de tables, certaines manières de marcher plutôt que d'autres).

Cet exemple peut être considérécomme l'archétype de la capacité de contrôle de la société sur moi-même : de même qu'elle contrôle mon corps, lasociété (par le biais de l'éducation, ou de cette injonction qu'est le regard d'autrui) proscrit certains comportementsen public, certaines manifestations possibles de mon individualité.

Nous dirons donc que la société peut m'empêcherd'être moi-même, dans la mesure où elle intervient par le moyen de la doxa, de l'éducation, comme une instancedécidant pour moi des actes qui sont légitimes et corrects dans l'espace public.

b.

Le pouvoir de définition de mon identité, ou comment la comédie sociale devient l'identité individuelle Allant plus loin, nous pouvons dire que la société ne fait pas que contrôler des manifestations de ce que je suis, quipourraient à la rigueur cohabiter avec une véritable indépendance de ma part, elle finit par définir mon identité.C'est ce que montre Sartre, lorsqu'il analyse les mécanismes par lesquels l'individu est empêché d'être lui-même parla société, dans la mesure où il fait correspondre son identité à sa fonction sociale : « Considérons ce garçon de café.

Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient versles consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeuxexpriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, enessayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate, tout en portant son plateauavec la témérité d'un funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellementrompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main.

Toue sa conduite nous sembleun jeu.

Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à êtregarçon de café ».

L'être et le néant, Ière partie, chapitre II, 2.. »

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