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On a souvent noté que la comédie de Molière côtoyait le drame. En vous appuyant sur certaines scènes de l'Avare, montrez qu'elles provoquent à la fois le, rire et des réflexions sérieuses chez le spectateur.

Publié le 12/05/2011

Extrait du document

Dans le théâtre classique, la séparation des genres n'est totale que pour la tragédie. Avec son sujet emprunté à l'histoire, ses personnages illustres, son style noble, son dénouement funeste, celle-ci ne suscite que l'admiration, la terreur ou la pitié ; jamais elle ne tombe dans le comique. Mais si, beaucoup plus terre à terre avec son action et ses personnages tirés de la vie courante, son style volontiers familier, ses mots, gestes et situations burlesques, la comédie vise à ridiculiser les travers et à bafouer les vices, même lorsque son dénouement est heureux — ce qui est le cas général —elle côtoie parfois la tragédie. C'est particulièrement vrai pour les comédies de Molière. Nous n'avons nulle envie de rire lorsque nous redoutons que Tartuffe ne réussisse à spolier une honnête famille, et nous éprouvons de la crainte quand Philaminte entend imposer Trissotin comme :époux à la raisonnable et modeste Henriette. Plus encore, eu égard à ses scènes pathétiques et à son dénouement tragique, « Don Juan « fait songer à un drame shakespearien.

« exhale son désespoir, à la représentation ne soit qu'une scène de comédie.

Imaginons qu'un humble travailleur,chargé d'une nombreuse famille, vienne se lamenter devant nous parce qu'on lui a dérobé les économies que, sou àsou, il avait amassées en prévision de jours difficiles, la plainte de cet infortuné ne nous laisserait pas insensibles.Mais la détresse d'Harpagon ne nous inspire aucune commisération ; ce sordide « avaricieux » nous est devenu siantipathique que nous ne pouvons nous attendrir sur ses malheurs, surtout lorsqu'il s'agit d'une perte d'argent ;notre sentiment est même qu'il reçoit ainsi une juste punition, et ses gémissements mêlés de fureur ne font queprovoquer notre rire (« Ils me regardent tous et se mettent à rire » écrit Molière, qui connaissait bien son public).

Etpourtant, ici encore, la comédie côtoie le drame ; seulement, le drame est ailleurs.

Il est dans la vue de ce forcené,tellement possédé par la passion de l'argent — de cet argent qu'il appelle « mon support, ma consolation, ma joie »et sans lequel il lui est « impossible de vivre » — que, pour rentrer en possession de son trésor, il est prêt à fairetorturer et pendre tout le monde, y compris ses enfants, et que, s'il ne le retrouve pas, il se pendra lui-même après.Ne croyons pas qu'il parle ainsi sous le seul effet de l'égarement.

A la fin de l'acte IV, nous connaissonssuffisamment le personnage pour être certains que la perte définitive de sa cassette aboutirait à une tragédie.Cependant, si exécrable que paraisse Harpagon dans ces trois scènes, c'est encore dans celles où il manque à sesdevoirs envers ses enfants qu'il est le plus odieux.

La scène où Valère sert d'arbitre dans la querelle qui oppose Éliseà son père est, à cet égard, la plus caractéristique.

Sans doute les traits comiques n'y manquent pas : la surprisede Valère, ses atermoiements, les fluctuations de ses propos, la charge traditionnelle de Molière contre lesmédecins, la sortie inquiète d'Harpagon, tout cela nous porte à rire.

Mais les objections à la fois habiles et prudentesque Valère présente contre le mariage d'Élise avec Anselme sont fort sensées et se font de plus en plus émouvanteset persuasives.

Elles toucheraient tout père digne de ce nom.

Or Harpagon y reste insensible.

Trois fois le vieil avarey répond par un sec et tranchant « sans dot », argument sans réplique à ses yeux puisque, au dire de Valère —qui,avec une feinte indignation contre Élise exprime la pensée de son maître — « sans dot tient lieu de beauté, dejeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité ».

Ici, ce n'est pas assez de dire que nous côtoyons ledrame.

Nous y sommes presque entrés.Deux conflits séparent Cléante d'Harpagon.

Le premier, déjà ancien, oppose la prodigalité du fils à l'avarice du père.Si l'on s'en rapporte à l'adage « A père avare, fils prodigue », il n'a rien qui puisse nous, surprendre.

Il apparaît dès lepremier acte et prend toute son acuité au second, dans la scène de l'usurier, où le comique réside dans la rencontreimprévue de deux personnages qui, l'un et l'autre, se sentent en faute.

On serait peut-être tenté de les renvoyerdos à dos.

Mais le plus coupable n'est-il pas Harpagon, lui qui a sacrifié ses enfants à sa passion pour l'argent, quine leur a jamais apporté de joies, de qui ils n'ont jamais reçu de tendresses ? Que le fils en soit arrivé, nonseulement à devenir un dissipateur, mais à manquer de déférence envers son père, n'est-ce pas là le résultat de ladéplorable éducation qu'il a reçue ?L'autre conflit, la rivalité amoureuse des deux hommes, se découvre sous nos yeux.

Il éclate dans la scène où,l'attitude de Cléante envers Mariane ayant éveillé les soupçons d'Harpagon, celui-ci tend un piège à son fils pourl'amener à dévoiler ses véritables sentiments envers la jeune fille.

Ni la ruse ni la candeur n'étant par elles-mêmescomiques, on cherche en vain ce qui pourrait nous faire éclater de rire dans cette scène qui rappelle celle oùMithridate recourt à un semblable artifice pour amener Monime à ouvrir son coeur.

Mettons-la en vers en remplaçantquelques mots familiers par des termes nobles, et elle ressemblera à s'y méprendre à une scène de tragédieclassique.Pour tenter d'atténuer ce qu'a d'ignoble le procédé d'Harpagon, nous ne pouvons même pas invoquer l'ardeur dusentiment qu'il éprouverait pour Mariane.

C'est moins sa grâce et sa beauté qui l'attirent que l'espoir, grâce à sajeunesse, de la façonner à sa guise pour en faire une ménagère économe (« elle a toute la mine de faire un bonménage ») ; il est résolu à l'épouser pourvu qu'il « y trouve quelque bien », et au dénouement, sommé par Cléantede choisir entre Mariane et sa cassette, il a vite fait de renoncer à la jeune fille.

Comment un tel père pourrait-il, àdéfaut de l'affection, mériter au moins l'estime de ses enfants ?On peut se demander pourquoi, alors que nous sommes si souvent au bord de la tragédie, et que parfois même nousavons un pied dedans, nous n'y entrons jamais complètement.

C'est d'abord, bien entendu, que le ton de la piècereste toujours celui de la comédie, y compris dans les scènes les plus pathétiques.

Mais c'est aussi et surtout queles personnages qu'Harpagon tyrannise ne sont pas tout à fait innocents.

Qu'Élise ait toutes les qualités de la bonneet douce Éliante du Misanthrope, que Cléante soit aussi droit que le Cléonte du Bourgeois gentilhomme, et le conflitqui les oppose à leur père prendrait un caractère bien plus tragique.

Or Élise s'est faite la complice du déguisementde Valère ; de plus, à une époque où l'autorité paternelle était très forte et où l'on enfermait dans un couvent lesfilles qui refusaient d'épouser le prétendant qu'avaient choisi leurs parents, elle fait figure d'une révoltée.

Cléante luiaussi s'insurge contre son père auquel il ne craint pas de répondre avec insolence ; en outre c'est un joueur et unprodigue ; pour se procurer de l'argent, il n'hésite pas à emprunter, même à des usuriers ; enfin il profite sansscrupule du vol de la cassette par la Flèche pour amener, par un chantage, son père à renoncer à Mariane.

Quant àValère qui, pour un peu, ferait l'apologie de la flatterie comme Don Juan fait celle de l'inconstance, il reconnaît delui-même que-la sincérité souffre un peu « au métier » qu'il fait.

Parmi les personnages principaux, seule Mariane,plus chanceuse qu'Élise, a reçu de sa mère une excellente éducation et est à l'abri de tout reproche.

Sans doutefaut-il accorder à nos trois coupables de très larges circonstances atténuantes, et même, soyons indulgents, lesabsoudre.

Ce tyran domestique, ce père dénaturé qu'est Harpagon a depuis longtemps perdu tout droit àl'obéissance et au respect des siens.Néanmoins la pièce ne prendrait une véritable grandeur tragique que s'ils se conduisaient comme si, ce droit,Harpagon l'avait conservé.. »

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