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spinoza

Publié le 11/01/2011

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spinoza

Pour commencer, Spinoza propose un exemple fort : une pierre, soit le paroxysme de l’absence de vie, de liberté. Cette pierre reçoit d’une « cause extérieure », par exemple une main qui la lance, une certaine quantité d’énergie potentielle qui va conditionner son mouvement : cette cause extérieure détermine le mouvement de la pierre. De plus, il est assuré que la pierre continuera sa trajectoire une fois lâchée par la main, mais « cette permanence (…) est une contrainte » en l’occurrence une réaction d’inertie. Ce qui nous paraît évident, assumer que la pierre va heurter une vitre violemment car je l’ai lancé dans un accès de colère et non pas parce qu’elle même est violente; je suis persuadé que son mouvement est le fruit de mon libre-arbitre et non du sien. L’action de la pierre, dont le champ se résume au mouvement et au morcèlement, est indéniablement liée à une quelconque « nécessité » externe; or ce serait un acte libre si et seulement si il dépendait d’une nécessité interne émise par la volonté de la pierre; c’est donc une « contrainte (…) parce qu’elle doit être définie par l’impulsion des causes externes». Puis Spinoza généralise son raisonnement à n’importe quel « objet singulier », car ce qui est vrai pour une pierre l’est aussi par exemple pour un brin d’herbe: tant qu’il est enraciné au sol, ce dernier lui fournit les nutriments indispensables à sa croissance. Et si une cause externe l’arrache à son humus, le vent l’emportera. Toutes ses actions sont déterminées par son environnement, et on peut appliquer cette analyse méthodique à n’importe quel objet « quel qu’en soit la complexité, le nombre de ses possibilités. ». Il apparaît alors que ces objets soient dénués de la moindre essence de liberté.

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A présent, admettons que cette pierre qui roule, à défaut d’amasser mousse, soit douée de conscience, tandis qu’elle avance, « sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir ». Elle perçoit ainsi son propre mouvement, et cela seulement, car la main qui l’a lancée est loin derrière elle et sa science n’est pas suffisante pour expliquer ce mouvement. N’étant consciente d’aucune cause extérieure, il lui est nécessaire de penser que cet acte n’est produit que par elle-même, par sa volonté liée à son effort. Il est, pour ce qui est des choses communes, difficile de concevoir qu’une action ne soit définie que par elle-même; il lui faut bien une origine et un but pour qu’elle ait un sens, sinon elle ne serait pas. Naturellement, la pierre va alors invoquer son libre-arbitre, « persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire ». Cependant, moi qui ai lancé la pierre, je sais que je suis l’origine de son action, et pourtant elle « croira être libre ». Cette liberté toute subjective dont elle a conscience n’est qu’en fait que pure illusion, et cette impression de libre-arbitre qui l’anime au même titre que n’importe quel chose consciente n’est qu’un produit primitif de sa pensée pour combler un vide. Puis, par l’attribution d’une conscience à la pierre, c’est bien évidemment l’homme qu’elle symbolise.

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Pour éclairer son argumentation, et ne pas laisser l’homme au stade de vulgaire cailloux, Spinoza propose par la suite de nouveaux exemples où cette illusion transcende. Exemples on ne peut plus complets car ils couvrent toute la vie d’un homme : en premier lieu le bambin qui réclame le lait par « désir », alors que c’est un acte dicté par un besoin nutritif ou affectif. Puis l’adolescent qui se laisse aller à des crises de rage et perd la maîtrise de son corps, ce qui arrive parfois à cause des modifications de concentration hormonale qui surviennent à cet âge, laissant la passion prendre le dessus sur la raison -et qui me pousse à lancer la pierre contre la vitre- ; mais s’il est de nature peureuse, alors par les mêmes mécanismes il évitera à tout prix la confrontation. Là encore, il s’agit actions déterminées. L’homme sous influence de l’alcool peut se conduire de façon totalement inattendue voire dangereuse; mais lorsqu’il est incriminé, il se justifie volontiers par cette prise de stupéfiant et clame haut et fort son absence de libre-arbitre. Pourtant, lorsque l’ivrogne prononce des paroles inconvenantes, il se perçoit tout aussi libre qu’à l’ordinaire. Qu’est-ce qui lui prouve alors, lorsqu’il implique l’emprise et donc la contrainte de l’alcool, qu’il parle plus librement ? Bien que l’homme se donne par des considérations biologiques et intellectuelles une valeur supérieure à celle de la pierre, Spinoza ajoute après l’analyse de l’illusion de liberté de cette dernière, « telle est cette liberté humaine ». Par ailleurs, cette illusion que « tous les hommes se vantent d’avoir » reflète bien leur ignorance. Tout comme la pierre qui désire plus que tout continuer son mouvement, l’homme est « conscient de ses désirs et ignorant des causes qui les déterminent. » et comme la pierre il ne peut alors revendiquer de libre-arbitre que de manière illusoire, sous la forme d’un « préjugé inné » qui est à part entière de son être car il ne naît pas capable d’expliquer les ficelles de son existence et vit d’un enchaînement d’actions sensées.

Néanmoins Spinoza n’affirme pas pour autant que toute liberté est illusion, qu’il n’y a pas de liberté en ce monde. « Et comme ce préjugé est inné en tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas facilement. »; la vraie liberté, qui est bien plus qu’une simple impression, est donc atteignable par l’affranchissement de ce préjugé, cette opinion. Elle consiste en la prise de conscience des causes externes qui déterminent les actions et les pensées, ce qui est possible car ces causes, ces lois naturelles, sont « précises et déterminées ». « Cette libération passe par la compréhension de la nécessité » dit Spinoza dans l’Éthique; la liberté, au lieu d’un libre-arbitre qui détermine mais qui lui même n’est pas déterminé, se veut alors libre nécessitée, qui détermine la volonté tout en étant elle-même déterminée, tandis l’homme cherche à ce qu’elle ne soit déterminée que par lui.

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