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Spinoza: De la nécessité des lois

Publié le 18/04/2009

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spinoza
"Il semble que l'on doive définir la loi plus particulièrement comme une règle de vie que l'homme s'impose à lui- même ou impose à d'autres pour une fin quelconque. Toutefois, comme la vraie fin des lois n'apparaît d'ordinaire qu'à un petit nombre et que la plupart des hommes sont à peu près incapables de la percevoir, leur vie n'étant rien moins que conforme à la raison, les législateurs ont sagement institué, afin de contraindre également tous les hommes, une autre fin bien différente de celle qui suit nécessairement de la nature des lois ; ils promettent aux défenseurs des lois ce que le vulgaire aime le plus, tandis qu'ils menacent leurs violateurs de ce qu'ils redoutent le plus. Ils se sont ainsi efforcés de contenir le vulgaire dans la mesure où il est possible de le faire, comme on contient un cheval à l'aide d'un frein. De là cette conséquence qu'on a surtout tenu pour loi une règle de vie prescrite aux hommes par le commandement d'autres hommes, si bien que ceux qui obéissent aux lois, on dit qu'ils vivent sous l'empire de la loi et ils semblent être asservis. Il est bien vrai que celui qui rend à chacun le sien par crainte du gibet agit par le commandement d'autrui et est contraint par le mal qu'il redoute ; on ne peut pas dire qu'il soit juste : mais celui qui rend à chacun le sien parce qu'il connaît la vraie raison des lois et leur nécessité agit en constant accord avec lui-même et par son propre décret, non par le décret d'autrui ; il mérite donc d'être appelé juste." Spinoza

Comment définir les lois? Quelles sont les fin qu'elles visent ? En quoi leurs fins les distinguent-elles en réalité des commandements avec lesquels on les confond ? Pourquoi faisons-nous une telle confusion ?    Pour commencer, Spinoza expose une définition générale de la loi : "Il semble que l'on doive définir la loi plus particulièrement comme une règle de vie que l'homme s'impose à lui-même ou impose à d'autres pour une fin quelconque."    Cette définition, à laquelle Spinoza ne semble pas totalement souscrire puisqu'il l'introduit par le verbe "sembler", assimile la loi à une règle, c'est-à-dire à un moyen en vue d'une fin. Cela implique que si nous devons nous y soumettre, ce n'est pas parce qu'elle est la loi, mais en vue d'atteindre une fin par rapport à laquelle elle n'est donc qu'un moyen. Or, comme il s'agit ici des lois d'un Etat (il sera plus loin question de "législateurs"), il faut donc comprendre que les lois sont des moyens de réaliser des fins purement politiques, comme par exemple la paix et la sécurité publiques, la justice,…  

spinoza

« lois elles-mêmes.

De sorte que toutes les lois ont ainsi deux fins : la fin vraie, fin en vue de laquelle elle a étéconçue et que l'on atteint en la respectant, et, une fin apparente, qui n'est pas du tout ce que la loi vise en réalité,mais qui est nécessaire à son application puisque la vraie fin n'est pas vue.

Et quels sont les rapports entre cesdeux fins.

La fin apparente, parce qu'elle n'est qu'apparente, n'est pas une vraie fin : elle est en réalité un moyend'atteindre la fin ignorée.

On pourrait donc dire que les législateurs se livrent ainsi à une sorte d'abus de confianceen faisant croire en la poursuite d'une fin alors qu'en réalité cette fin n'est qu'un leurre et un moyen en vue de laseule vraie fin qu'ils visent par la loi.

Pourquoi employer un tel procédé ? Et comment s'y prennent-ils ? "Ils promettent aux défenseurs des lois ce que le vulgaire aime le plus, tandis qu'ils menacent leurs violateurs de cequ'ils redoutent le plus.

Ils se sont ainsi efforcés de contenir le vulgaire dans la mesure où il est possible de le faire,comme on contient un cheval à l'aide d'un frein." A savoir : à ceux qui non pas simplement respectent la loi mais ladéfendent, c'est-à-dire la font respecter, ils offrent des récompenses, et, ceux qui les transgressent sont menacésd'avoir à le payer par des désagréments.

Qu'est-ce que cela signifie? Que les récompenses, les honneurs, lareconnaissance publique ou au contraire, les châtiments, les blâmes infligés par un Etat ne sont finalement destinésqu'à inviter les hommes à respecter les lois en leur faisant croire que s'il faut les respecter, c'est en vue deshonneurs et pour éviter d'être puni, alors que les honneurs et les châtiments ne sont jamais que des moyens defaire respecter des lois qui ont d'autres fins.

Les législateurs, pour obtenir le respect des lois, jouent donc sur lespeurs et les désirs de ceux qui ne voient pas quels sont les fins des lois, c'est-à-dire qu'ils utilisent ce qui d'ordinairegouvernent ceux qui ne vivent pas selon la raison : les appétits et les aversions, donc le plaisir et le déplaisir.

Voilàpourquoi Spinoza compare finalement celui qu'il appelle le vulgaire, c'est-à-dire ceux qui ne comprennent pas la vraiefin des lois, à un cheval, c'est-à-dire un animal qui comme tel ne suit que sa spontanéité et non pas une raison qu'iln'a pas, qu'on ne peut gouverner et contenir que par la force.

Cette comparaison indique ainsi que ce moyend'obtenir l'obéissance est le seul possible compte tenu de la nature de ceux pour lesquels il a été conçu : avec ceuxqui n'agissent qu'en vue d'un plaisir ou d'un bénéfice ou pour éviter tout déplaisir, il n'y a pas d'autre possibilité.Seulement, l'emploi de ce moyen, le seul qui soit efficace, n'est pas sans conséquence : il est responsable d'uneconfusion entre la loi et un commandement. "De là cette conséquence qu'on a surtout tenu pour loi une règle de vie prescrite aux hommes par le commandementd'autres hommes, si bien que ceux qui obéissent aux lois, on dit qu'ils vivent sous l'empire de la loi et ils semblentêtre asservis." L'emploi nécessaire de ce moyen est la cause d'une confusion ou d'un malentendu sur la nature de laloi : au lieu de la penser et de la vivre comme une règle de vie qui permet d'atteindre certaines fins, elle est conçuecomme un commandement, un ordre donné par certains hommes à d'autres.

Au lieu de se sentir obéir à une loi, ceuxqu'on force à obéir finissent pas se sentir sous l'autorité de quelqu'un qui les asservit, c'est-à-dire qui se fait obéircomme un maître fait obéir des esclaves.

Dans leur esprit, la loi n'est pas une règle, elle est l'ordre arbitraire d'unmaître qui récompense et punit comme il l'entend.

Cette confusion qui s'explique par la nécessité de forcer levulgaire à obéir à la loi par des promesses et des menaces n'en trahit pas moins le sens et l'essence de la loi qui estd'être un moyen au service non pas de quelqu'un, mais d'une fin comme par exemple, on va le voir, de la justice. "Il est bien vrai que celui qui rend à chacun le sien par crainte du gibet agit par le commandement d'autrui et estcontraint par le mal qu'il redoute ; on ne peut pas dire qu'il soit juste : mais celui qui rend à chacun le sien parcequ'il connaît la vraie raison des lois et leur nécessité agit en constant accord avec lui-même et par son propredécret, non par le décret d'autrui ; il mérite donc d'être appelé juste." Spinoza, en opposant ainsi les raisons différentes pour lesquelles deux personnes accomplissent la même action,illustre toute la différence qu'il y a entre l'obéissance à un commandement et l'obéissance à la loi, donc la différencequi existe entre un ordre et une loi. D'un côté, il y a celui qui rend à chacun le sien parce qu'il craint d'être puni, et, de l'autre, celui qui le fait aussi maisparce que c'est juste de rendre à chacun ce qui lui revient.

Il y a donc celui qui agit en fonction de la fin apparentede la loi et celui qui agit en fonction de sa vraie fin, de telle sorte que le premier agit sous la menace d'un autrehomme tandis que le second agit de lui-même. Ce qui signifie que Spinoza concède que celui qui agit conformément à ce que la loi exige mais seulement pours'éviter les inconvénients qu'il y a à ne pas obéir, n'obéit pas à la loi à proprement parler, mais bien à quelqu'un : àcelui qui menace de sanctions tous ceux qui transgressent les lois, c'est-à-dire en l'occurrence, les représentantsde l'Etat, la force publique et la justice.

Ce qui explique que la confusion entre la loi et le commandement soitpossible.

Mais, elle ne repose que sur la déraison de ceux qu'il faut menacer : si rendre à chacun ce qui lui revient,c'est-à-dire être juste avec chacun, était vécu comme la seule manière possible parce que raisonnable et justed'agir, il ne serait pas utile de menacer et la confusion n'existerait pas. Mais en outre, cela signifie que ce qui oppose ces deux hommes, c'est que si l'un est contraint, l'autre est librepuisqu'il agit de lui-même, de son plein gré.

Or, qu'est-ce que cela signifie sinon qu'on ne perd pas sa liberté enobéissant aux lois si on le fait en connaissant leurs vraies fins ? Car, lorsque je connais la vraie fin des lois, jereconnais qu'elles sont nécessaires et bonnes, et, si je le reconnais, je ne peux que vouloir faire ce qu'elles exigentde telle sorte qu'en leur obéissant, c'est comme si je n'obéissais qu'à moi-même. Ce qui fait qu'il existe entre celui qui agit par contrainte et celui qui agit de lui-même une dernière différence queSpinoza met en évidence : le premier n'est pas juste tandis que le second l'est : le premier n'est pas juste parcequ'il n'y rien de juste ni dans le calcul qu'il fait en obéissant pour éviter d'être puni, ni dans la soumission, le second. »

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