Devoir de Philosophie

Stances à Marquise (CORNEILLE) – lecture analytique

Publié le 20/06/2011

Extrait du document

corneille

I.             un discours sentimental ambigu qui apparaît à l’issue d’un double portrait

 

1.    L’apparente volonté du poète est d’infléchir l’indifférence de Marquise à son égard.

Il souhaite la séduire sans pour autant faire l’éloge de sa beauté. Celle-ci semble pourtant l’atout majeur de la jeune comédienne, une beauté que chacun admire : nous remarquons la tournure générale de l’indéfini « on « au vers 17 (« on adore «) qui permet à Corneille de se compter avec délicatesse parmi ses nombreux admirateurs. Cette beauté est évoquée aux vers 5 et 27 par l’adjectif « belle «, par la synecdoque du vers 22 (« des yeux qui me semblent doux «) mais surtout par l’emploi d’une métaphore qui commençait à être un cliché, c’est-à-dire une image conventionnelle : le vers 7, en effet, s’orne des « roses de la jeunesse «, image favorite du « Carpe Diem « de la poésie amoureuse et précieuse depuis la Renaissance.

corneille

« 2.

Sans complexe, l’auteur oppose à cet aspect physique fragile sa propre vieillesse. C’est avec beaucoup de lucidité qu’il va développer un champ lexical de l’âge (vieux, âge, rider, ravages, grison) etoffrir à sa belle un portrait de lui peu flatteur.

Message réaliste cependant.

Notons tout de même la coquetterie desvers 2 et 15 signalée par les tournures adverbiales qui atténuent ce portrait de vieillard (« un peu », « quelques »,« pas trop »).

Le thème central de ce poème paraît donc être la différence d’âge, seul obstacle à l’amour et à saréciprocité.

L’un des termes les plus sincères dans cette évocation de la vieillesse se trouve à la fin du poèmelorsque Corneille affirme qu’un homme âgé provoque la peur, d’autant que le mot « effroi » rime avec « moi ». 3.

Corneille termine son évocation par une sentence sans aucune galanterie. Aux vers 11 et 12, il établit un chiasme qui unit indubitablement la jeune femme éclatante au vieux grison.

C’est biensûr la marque d’une vengeance mais aussi l’occasion pour le lecteur de se demander si la séduction entreprise n’estpas un jeu.

Corneille est-il vraiment amoureux de Marquise ? L’équivalence créé par le chiasme, dans un croisementde perspective temporelle, anéantit la beauté de la belle, et donc son pouvoir de séduction. II.

une mise en scène du pouvoir de l’écrivain Corneille manie dans ce texte un effet d’attente : quels sont les charmes dont il se réclame ? Si le temps fane toutechose, le temps n’a-t-il donc pas de prise sur lui ? En effet, il installe l’idée d’une dimension cosmique au vers 9 (« le cours des planètes ») et s’installe dans cegrand réseau qui dépasse l’histoire individuelle de chaque homme. 1. Il utilise le champ lexical de la renommée (l’hyperbole « mille ans » mais aussi les mots « gloire », « crédit »,« sauver», « faire croire ») c’est-à-dire un pari sur la postérité.

En tant qu’écrivain, il marquera les descendances,on parlera de lui après sa mort.

Si nous reprenons une image qui lui servait à se montrer sous un jour défavorable (lasynecdoque du front ridé), nous nous apercevons qu’elle renforce ce pouvoir du penseur, du créateur, le frontreprésentant le symbole de l’intelligence et du talent.

L’inégalité des deux personnes est donc ici frappante.Corneille, l’écrivain, grâce à sa gloire littéraire (son « crédit »), à la force de son langage, traversera les siècles ;Marquise, elle, ne peut travailler que dans l’éphémère : son visage d’actrice sera vite oublié.

Au vers 28, Corneillesouligne avec amusement et orgueil ce paradoxe : ces charmes sont plus importants que ceux de Marquise puisqu’ilss’appuient sur la force du verbe : « qu’autant que je l’aurais dit ».

Il y a même un sous-entendu féroce : je dis ceque je veux de toi, et comme ma réputation est grande, on me croira. N’oublions pas que cette fausse déclaration d’amour, ce jeu de valeurs et d’images, se passe dans le milieu duthéâtre. 2. Corneille joue un rôle ; celui de l’amoureux éconduit car vieillissant.

Et il sait bien qu’il n’a aucune chance de séduire.Marquise, également joue le sien : celui d’une actrice qui a pour objectif de plaire.

Caché dans cette lutte pour laséduction, Corneille invente une autre lutte : celle du texte contre celle de la présence physique.

C’est le texte quigagne.

Le conseil de la fin, avec son verbe à l’impératif, est éloquent : « pensez-y » signifie rendez-vous compte demon pouvoir.

On remarque que ce pouvoir change donc de main : Marquise était, par pure flatterie, le premier motdu poème, le « moi » glorieux du poète en est le dernier.

C’est sur ce terme où se lit la vanité de Corneille, mais unevanité jouée, amusée et amusante, que Corneille installe ses charmes, le pouvoir éternel de l’écriture. Si la volonté de Corneille n’est pas de séduire Marquise, il y a donc une ironie cachée dans ces stances.

Eneffet, l’ambiguïté du message, le double portrait des personnes réelles, devenus personnages d’une scène de théâtrefutile, l’opposition implicite entre l’éphémère de l’apparence et l’éternité des mots, offrent au lecteur un jeu sur lelangage particulièrement savoureux.

Tristan Bernard a ajouté, au vingtième siècle, une strophe supplémentaire à cesstances célèbres, la réponse provocatrice de Marquise qui se termine par ces mots familiers « je t’emmerde enattendant ».

Popularisé par le chanteur Brassens, les derniers mots de Marquise amusent parce qu’ils sont unerelecture du Carpe Diem.

Pourtant, ils donnent raison à Pierre Corneille qui avait bien saisi que le poète, mais encoreplus le dramaturge qu’il est, a le don de distribuer la parole aux actrices de théâtre.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles