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Sujet de dissertation : Artiste ou artisan ?

Publié le 21/07/2010

Extrait du document

Un titre du journal Ouest-France annonçait l’actualité suivante jeudi dernier : « Retraité, Michel Touzard passe de l'artisan à l'artiste «. Après avoir exercé son métier d’artisan chaudronnier soudeur pendant quarante ans, Michel Touzard a décidé de mettre en application ses qualités de soudeur pour créer des compositions en fil inox. Cet exemple illustre l’ambiguïté face à laquelle nous sommes confrontés au moment de choisir entre le statut d’artiste ou celui d’artisan. C'est à partir de la Révolution industrielle que l'on différencie les méthodes plutôt «industrielles« de l'artiste, et celles de l'artisan qui demeurent artisanales. En effet, au 18e siècle, on parle désormais de Beaux-Arts pour désigner exclusivement les productions de l’artiste. L’artiste n’est plus alors un artisan particulièrement habile mais un homme doué de génie et capable de créer un inédit porteur de sens. Le savoir-faire de l'artiste n'obéit pas à des règles précises, il ne s'agit pas de suivre des mouvements. L'artisan, au contraire, utilise des techniques qui reposent sur un savoir-faire longuement transmis. Il est difficile de distinguer un artiste d'un artisan. L'artiste et l'artisan ont tout deux la même racine « art « qui vient du latin. « art, artis « qui signifie le talent et le savoir-faire, et « artes « qui signifie œuvre d'art. L'art n'a pas toujours eu le sens de « beaux-arts « : en plus des arts de l'artiste, il y a l'art de l'artisan qui réclame une technique c'est-à-dire un ensemble de règle à respecter. Nous pouvons qualifier un artiste d'artisan et vice-versa un artisan d'artiste. Par conséquent, quelles différences y a-t-il entre l’artiste et l’artisan ? Peut-on comparer leur activité ou bien, au contraire, doit-on les opposer aussi bien dans leur manière de produire que dans leurs intentions créatrices ? Tout d’abord il semble intéressant de rapprocher les deux démarches. Bien que les deux termes s’apparentent, ce ne sont toutefois pas les mêmes. En ce sens il faut établir une distinction « modale « c'est-à-dire dans les faits concrets, et une distinction de « raison « qui se fait par la pensée. En effet, la différence entre l'artiste et l'artisan tiendrait à ce que l'artiste viserait d'abord à l'utile tandis que l'artiste aurait pour unique souci de produire ou de créer un objet « beau «. Cela revient à opposer deux attitudes : ne considérer les objets que sous un angle utilitaire ou n'en retenir que la belle apparence. Finalement, l’artiste nous le savons est bien un créateur unique. Sa démarche lui est propre et c’est bien en cela qu’il se différencie de l’artiste.  * * *  Entre l’artiste et l’artisan ne demeure pas un fossé immensément grand, au contraire ils ne sont même pas loin l’un de l’autre. De fait, chez tout bon artiste se cache un artisan, mais de la même manière, chez tout artisan peut se cacher une part d’artiste. C’est bien pour cela que nous pouvons retrouver des points communs de part et d’autre. Ainsi, le point de vue adopté par Alain dans le Système des Beaux Arts (Livre I, chapitre 7) assimile les deux termes lorsqu’il affirme que l’artisan est artiste, « mais par éclairs «. Même s’il a d’ores et déjà défini sa méthode et sa technique, cela n’empêcherait pas l’artisan d’adopter une manière de fonctionner ou de travailler assimilable à celle de l’artiste. Cela se produit par exemple lorsque l’artisan est confronté à la résistance d’une matière qu’il avait prévu de transformer. Dans la mesure où il ne parvient pas à travailler cette matière comme il en a envie, l’artisan va chercher un autre moyen par lequel il parviendra au même résultat : « l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie «. L’artisan va donc se trouver contraint de revoir son projet au cours de l’exécution même, tout comme l’artiste conçoit son oeuvre au fur et à mesure qu’il la crée. En ce sens, l’artisan se trouverait donc artiste de façon ponctuelle, occasionnelle, puisque d’ordinaire la règle de son action reste cependant préétablie. D’autre part, l’artiste n’a pas idée de ce qu’il veut réaliser avant de se mettre à l’œuvre. Un peintre qui va représenter un paysage sur sa toile ignore encore quelles seront les couleurs qu’il va utiliser, la perspective qu’il choisira, ou encore les éléments qu’il fera figurer sur sa peinture. Puis même s’il lui vient une idée, rien ne l’oblige à la garder, rien ne l’empêche de remplacer cette idée par une autre nouvelle. Cependant, l’artiste possède une caractéristique que n’a pas l’artisan, la liberté.  En ce sens, l’artisan serait un artiste obligé, et contraint à effectuer un travail. L’artisan se doit de répondre à la demande d’un client et de s’y conformer, s’il veut satisfaire sa clientèle et obtenir un gain en retour. L’artisan ici, ne fait pas ce qu’il lui plaît, mais plutôt ce qui réjouit le consommateur. Ainsi, Michael Baxandall nous explique dans son Oeil du Quattrocento le caractère indispensable de l'investissement de l'argent dans une oeuvre d'art durant la Renaissance italienne. C'est notamment le cas du duc de Ferrare qui payait les peintures au pied carré. Il explique par exemple, qu’une fresque telle que celle du Pallazo Shifanoia était payée dix lires par pied. En revanche, si le client lui donnait le champ libre, l’artisan pourrait donner libre court à son imagination, puis alors exprimer son art comme il l’entend. Nous pourrions alors, tout comme l’artiste, parler d’œuvres uniques, qui n’ont pas leur pareil, et où ses caractéristiques les rendraient exceptionnelles. Paradoxalement, chaque bien fabriqué par l’artisan est unique, et ne ressemble pas parfaitement à un autre. Même si l’artisan reproduit à l’infini le même exemplaire, à la différence de la machine, les divers modèles présenteront toujours des micro différences puisqu’ils sont établis par la main de l’homme. Nous pourrions prendre l'exemple du tisseur qui se trouve dans l'impossibilité de réaliser au détail près la même tapisserie. C'est d'ailleurs grâce à cette image que Boileau (dans sa poétique) exprime la nécessité de retravailler sans cesse une oeuvre littéraire:"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage". En ce sens la démarche de l’artiste et celle de l’artisan seraient encore similaires. Si le tisseur, l’artisan, se doit de retravailler sans cesse sa tapisserie alors le poète, l’artiste se doit lui aussi de retravailler constamment la prosodie, ou la structure de son poème afin que la forme puisse coïncider avec l’idéal de beauté qu’il s’était donné pour but ultime.  On peut aussi se poser la question de l’imitation quant à ceux qui rapprocherait le statut de l’artisan de celui de l’artiste. En effet, l’artisan fabrique un objet, puis l’imitera à l’infini, en recréant sans arrêt la même chose. Le premier objet fabriqué lui servira de modèle pour en reproduire d’autres identiques. Parallèlement, chez l’artiste, noter cette idée d’imitation, mais qui se manifeste ici sous un autre aspect. Disons que l’artiste baigne dans l’imitation lorsqu’il cherche à reproduire un tableau de la nature, même s’il n’y pas là-dedans une volonté de copie stricte à proprement parler. Sénèque a d’ailleurs déclaré que « tout art est une imitation de la nature «. . Pour Platon, comme pour Aristote et toute l’Antiquité classique, l’imitation est la condition incontournable de toute production artisanale ou artistique. Ainsi, Platon compare l’œuvre de Dieu, celle de l’artisan et celle de l’artiste par rapport à la production d’un objet d’usage en prenant l’exemple du lit (République, livre X, 597e). Il établit une hiérarchie de valeur assignée aux œuvres dictée par la doctrine des Idées : il y a d’abord « le lit en soi « ou l’Idée éternelle du lit (le lit-type), le lit matériel dont le façonnement est assuré par le menuisier sur le modèle du lit en soi. La tâche de ce dernier est d’effectuer une copie. En revanche, on dira que sa tâche est de représenter le lit. En ce sens il devient « imitateur de ce dont les autres sont des ouvriers «. Dans cette vision hiérarchisée, l’artiste n’est donc qu’un faiseur de simulacres. Pour lui, l’artiste ou l’artisan, quelle que soit sa technique propre, obéit toujours à cette règles absolument générale de tenir le regard fixé sur son œuvre pour y réaliser un certain type (eïdos*), un objectif commun qu’il se donne. Dans le Cratyle (389B), il précise cette loi universelle : « Sur quoi le menuisier tient-il les yeux fixés quand il fait la navette ? «. Il traduit en ce sens l’imitation d’un modèle sensible. En revanche, si la navette se brise pendant la fabrication, ce n’est pas sur la navette brisée qu’il gardera les yeux fixés mais bien sur le type dont il s’inspirait en créant. Il s’agit de l’imitation d’un modèle mental et même d’un modèle idéal contemplé par l’œil intérieur de l’artiste. Pourtant, un artiste caricaturiste est bien obligé d’imiter. Que fait l’artiste pour dessiner une caricature ? Il part simplement d’un visage pour ensuite accentuer ou déformer certains traits du visage, en vue de le ridiculiser. Une fois le portrait fini, la ressemblance entre lui et le visage authentique est de taille. Sans imitation, le caricaturiste n’existerait pas, pourtant le caricaturiste est un artiste. Pareillement ce dessinateur n’est autre qu’un commerçant, comme l’est l’artisan. L’artiste a le choix d’avoir ou de ne pas avoir ce statut de vendeur, il peut choisir tout bonnement de vivre de son art, ou de ne pas en vivre. En vendant ses oeuvres comme l’a fait le célèbre peintre Pablo Picasso, il devient lui aussi commerçant. L’artiste se présentant commerçant doit alors faire face à un risque que n’a pas en logique l’artisan. L’artisan sait à l’avance que ce qu’il crée n’est pas pour lui, les produits qu’il crée ont pour seul souci de plaire au public, non pas à lui. L’artiste ne fonctionne pas de la même manière, il marche davantage à l’instinct et à l’émotion. Il reste à espérer pour l’artiste que ses goûts soient partagés par le public, et que celui-ci aimera ce qu’il réalise. Finalement, l’artiste et l’artisan, bien que ce soient deux termes différents, renferment tout de même des similarités que nous devons à leur base commune et identique, l’art. Mais l’artiste n’est toutefois pas qu’un artisan, faute de quoi on ne trouverait que des similitudes entre l’un et l’autre. En conséquence, que resterait-il à dire à propos de la divergence entre artiste et artisan ?  * * *  Malgré les similitudes notées entre la posture de l’artisan et celle de l’artiste il importe de les distinguer. Leur statut n’est tout d’abord pas le même, puis même s’ils ont tous deux du mérite, l’un aurait tendance à en avoir plus que l’autre, si l’on part du principe que l’un sert davantage, tout dépend sous quel angle nous nous plaçons. Enfin, le but poursuivi est aussi différent. C’est d’ailleurs ce que soutient Michel Polac, quand il écrit « Créer pour vivre ou vivre pour créer: toute la différence entre l’artiste et l’artisan. « dans Hors de soi. Effectivement, les objets réalisés par l’artisan ne sont pas faits par hasard, ils ne sont pas faits simplement par pur plaisir, comme il en serait le cas pour un artiste. L’artisan crée pour vendre, et uniquement pour vendre. A la base, l’activité de l’artisan a pu naître d’une passion, d’un loisir, il n’avait jusqu’à ce jour à priori pas de responsabilités. L’artiste ne prévoit rien, ni la date, ni le jour, ni l’heure de sa future réalisation. L’artisan au contraire, n’a pas le choix. Il ne peut par exemple, pas se permettre de réaliser dix produits en un jour, puis se mettre à arrêter sa production pendant une semaine. Il connaît un rythme de travail, qu’il doit respecter, s’il veut espérer obtenir un salaire convenable à la fin du mois. C'est d'ailleurs ce que Kant explique dans sa Critique de la faculté de juger (paragraphe 43 "De l'art en général". IL établie tout d'abord une distinction entre l’art et la nature, qui établie à son tour une distinction entre le faire (facere) de l’agir (agere). En ce sens, l’art se distingue en tant qu’œuvre (opus) du produit de la nature en tant qu’effet (effectus). Aussi on ne devrait appeler art que « la production par liberté «. En ce sens, l’art est un arbitre qui place la raison au fondement de ses actions. Pour illustrer son propos il prend l'exemple de l’œuvre d’art produite par les abeilles; le gâteau de cire. En effet, on la considère comme une œuvre d’art par la seule analogie avec l’art. Cependant, dès qu’on pense que les abeilles ne fondent leur travail « sur aucune réflexion rationnelle qui leur serait propre, on convient aussitôt qu’il s’agit là d’un produit de leur nature (de l’instinct), et c’est uniquement à leur créateur qu’on l’attribue en tant qu’art. De la même manière, pour Kant, L’art se distingue de l’artisanat : le premier est dit « libéral « et le second est nommé « art mercantile «. On regarde le premier comme si on ne pouvait pas répondre à une finalité, c'est-à-dire comme une activité qui soit en elle-même agréable. On regarde le second comme constituant un travail, c'est-à-dire une activité qui est en elle-même désagréable et qui n’est attirante que par son effet (à travers un salaire). En ce sens, l’artiste, ne répond à aucune demande ; il crée pour lui, pour l’humanité ou pour rien. Sa production est totalement libérée des pressions soumises à l’artisan. L’artiste fait de l’art pour l’art et pour rien d’autre. En effet, Van Gogh, n’avait pas vendu une toile de son vivant, ses oeuvres n’ont été reconnues que bien après.  En soi, l’artiste vise, par sa production artistique, à dégager de la beauté, de l’esthétique. Cette beauté particulière provient de toute oeuvre, l’essentiel étant que l’œuvre sache communiquer aux personnes qui la contemplent, une émotion profonde. L’art ici n’a aucune fonction utile, si ce n’est celle de ravir nos sens. L’œuvre en question doit pouvoir nous véhiculer le vécu émotionnel de l’artiste, celui-ci cherche à se faire entendre, il cherche à se faire comprendre au travers d’une oeuvre. Enfin, son oeuvre devrait aussi nous dévoiler par là sa propre expérience de la beauté, ressentie au moment de la conception de l’œuvre. La fonction de l’artisan est toute autre. L’artisan crée des objets utiles ; disons qu’il verse dans le nécessaire, mais avec art. L’art avec lequel il façonne ses objets s’inspire très souvent de traditions issues de son ethnie, perpétrées de génération en génération. En somme, l’artisan détient une technique, où son souci premier est d’être efficace, mais pas seulement. Il a besoin aussi de tout un savoir-faire, c’est-à-dire d’un ensemble de connaissances dont il dispose, qui vont lui servir à réaliser son bien. Ces connaissances qui sont reflétées dans son travail peuvent donc provenir tout simplement de son passé, et être transmises par exemple, de maître en fils, comme de maître à élève. Mais au delà du savoir-faire, il lui faut tout d’abord le savoir, autrement dit une théorie, sans laquelle il ne peut y avoir de savoir-faire. Il est évident que le travail de l’artisan a un prix, puisqu’il crée quelque chose d’unique. Même si le produit est reproduit en masse, ce n’est pas un travail à la chaîne qui avilit le produit. Il faudrait donc se rappeler que l’œuvre de l’artisan a toujours un but utile, mais qu’on tire sa noblesse d’exécution uniquement de la main de l’œuvre. L’artisan a donc une technique que l’artiste n’a pas, ce qui explique que l’idée lui apparaisse au cours de sa création même et non avant. L’émotion émanant de l’œuvre également se crée au fur et à mesure que le peintre la peint ou que le sculpteur la sculpte. Lorsqu’un peintre brosse le portrait d’un homme, l’émotion adviendra à la fin, au moment où les yeux seront dessinés. Seulement chez l’artisan, « l’idée précède et règle l’industrie « avait dit Alain, dans le Système des Beaux-Arts. En effet, l’artisan, avant de se mettre à la création d’un objet, a déjà une idée de ce qu’il s’apprête à produire, il est même probable qu’il ait devant lui des plans ou schémas qui lui serviront à réaliser l’objet en question. En somme, nous aurions tendance à penser de l’artisan que ce qu’il crée est utile, alors que ce que produit l’artiste est inutile. Les objets créés par l’artisan vont être vendus et utilisés par ses acheteurs. De son côté, l’artiste serait tout aussi utile que l’artisan, mais sur un autre plan celui de la représentation du beau.  * * *  Finalement, l’artiste est aussi un créateur. Pierre Leroux, avait d’ailleurs écrit « L’art c’est l’artiste. L’artiste c’est Dieu «, dans La grève de Samarez. Si nous nous appuyons sur ses propos, le mot création serait à comprendre sous deux sens différents. L’un démontrerait d’une part que l’artiste est perçu comme le sculpteur, le dessinateur ou le peintre qui a la capacité de réaliser quelque chose de nouveau, de créer. Dans la même perspective, Platon décrit Dieu comme un démiurge (Dans le Timée), c’est-à-dire un artisan de l’Univers, façonnant le monde, d’après des rapports idéaux. Ici on parlerait alors de création absolue, dans la mesure où le temps ne joue pas de rôle et que ce qui a été créé et fixé le reste pour l’éternité. D’ailleurs, la culture est encore très attachée à cette notion de création absolue, où l’on passe du « rien « au « tout «, qui serait là le commencement. Mais la création peut aussi être entendue comme étant la mise en forme d’une matière qui existe déjà, le mot création pourrait ici être assimilé à « manifestation «. Il y a bien une création, mais elle n’a pas de commencement absolu, celle-ci ne part jamais de rien, elle part de quelque chose de déjà fondé. Aussi l’artiste ne commence pas à partir de rien, il ne regarde pas du lointain son objet, au contraire il commence à créer en ayant une base. Pour un sculpteur, sa base sera le bois ou la pierre par exemple, qu’il va tailler ou sculpter en vue d’obtenir une forme, une figure. Mais ce n’est pas tout, pour autre base, il a également la technique, le savoir qu’il connaît à l’avance. Pour obtenir le résultat désiré, il va peut-être devoir faire des modelages ou des soudures. Il ne suffit pas pour l’artiste qu’il ait une brusque idée pour que la chose en question jaillisse toute seule, comme par magie. L’artiste met en forme un matériau qui préexiste à son action. La création enveloppe sûrement aussi la résistance de la matière, et demande surtout du temps et un travail souvent difficile. On pourrait dire, en ce sens, que Dieu interprété comme démiurge, est un artiste ou bien que l’artiste en créant, s’élève et se rapproche de l’Acte de Création divine. Enfin, la différence entre l’artiste et Dieu logerait donc dans la perfection, et dans la puissance de Manifestation.  Le statut considéré comme étant supérieur de l’artiste sur l’artisan se pense aussi grâce au rapport établie par l’imagination. Georges Canguilhem dans ses « Réflexions sur la création artistique selon Alain «, parues dans la Revue de métaphysique et de morale (1952) exploite cette perspective. En effet, le paradoxe fondamental de l’esthétique d’Alain, est que les œuvres de l’art sont des choses dont seules le manque d’imagination, l’impuissance à contempler avant de rêver sont responsables : « Si le pouvoir d’exécuter n’allait pas beaucoup plus loin que le pouvoir de penser ou de rêver, il n’y aurait point d’artistes. « En ce sens, « c’est parce que l’imagination est incapable de créer dans l’esprit seulement, c’est pour cela qu’il y a des Beaux-Arts. « Selon une telle conception, s’il y a un artiste suprême, créateur du monde, c’est par manque d’imagination qu’il l’aurait créé. C’est pour savoir ce que serait un monde qu’il faudrait créer un monde, puisqu’il est impossible de le savoir avant de l’avoir fait. Il s’agit là de l’anthropomorphisme. En fait le rapport de créateur à créature se comprend mieux dans une philosophie existentialiste que dans une philosophie essentialiste. Le créateur vaut mieux toujours que sa créature, il la dépasse. L’ouvrier vaut mieux que l’œuvre. En ce sens, il y a plus dans la cause que dans l’effet. Mais l’inégalité de la créature au créateur peut être interprétée soit comme l’impossibilité d’adéquation de l’exécution à l’intention, soit comme la multiplication du pouvoir de création par la création même. Ainsi le pouvoir créateur naît de la création et par la créature. Le créateur se surprend lui-même, se découvre supérieur à lui-même, mais seulement après l’œuvre. Ainsi un chef d’œuvre peut être reconnue par le réminiscence qu’il suscite. En effet, un Balzac pourrait être surpris de retrouver la figure de son Rastignac dans L’Education Sentimentale de Flaubert. En ce sens le personnage littéraire, la créateur devient cet être de papier que le créateur ne peut plus maîtriser. L’auteur se surprend lui-même à voir l’ombre de sa propre créature vagabonder parmi les autres chefs d’œuvres.  * * *  Finalement, il nous apparaît à présent que l’artiste, même s’il dispose de qualités qui sont communes à celles de l’artisan, possède une qualité que l’artisan ne revendique pas ; celle de la créativité. En ce sens il s’agirait d’une spécificité permettant à l’artiste d'être défini comme tel. En se basant sur les idées émanant da la création, l’artiste n’est donc pas commun, mais assurément unique et inégalable. L’artiste libère le pouvoir de la création et parvient à manifester dans le domaine vivant de la sensibilité la dimension spirituelle de l’humain La puissance d’expression d’une œuvre d’art est essentiellement esthétique. L’art nous procure des oeuvres dont la seule justification est d’abord le plaisir que l’on à les voir, à les écouter, à les lire. L’utilité de l’objet n’est pas son premier motif. C’est la raison pour laquelle on dit de l’art qu’il est dans son principe « désintéressé «. Le tableau est fait pour être regardé, pas pour servir-à. L’œuvre d’art a aussi pour premier caractère l’originalité, elle est unique, ce qui la différentie par là aussi bien du produit artisanal que de l’objet technique. Dès qu’elle est produite en série, ce n’est plus de l’art, mais un objet technique à vocation décorative. En ce sens, une aquarelle, même si elle n’est l’œuvre que d’un talent modeste, vaut toujours plus qu’une sérigraphie industrielle. L’identification de l’œuvre d’art ne va donc pas de soi. Par ailleurs, son statut de création désintéressée est aussi remis en cause par l’existence d’un « marché de l’art «. L’œuvre d’art constitue aujourd’hui une valeur d’investissement du capital comme peut l’être l’immobilier, si bien qu’à ce titre, on finit parfois par se demander si cette évaluation économique ne finit pas par prendre le pas sur l’évaluation proprement esthétique.

« objet fabriqué lui servira de modèle pour en reproduire d'autres identiques.

Parallèlement, chez l'artiste, noter cetteidée d'imitation, mais qui se manifeste ici sous un autre aspect.

Disons que l'artiste baigne dans l'imitation lorsqu'ilcherche à reproduire un tableau de la nature, même s'il n'y pas là-dedans une volonté de copie stricte à proprementparler.

Sénèque a d'ailleurs déclaré que « tout art est une imitation de la nature ».

.

Pour Platon, comme pourAristote et toute l'Antiquité classique, l'imitation est la condition incontournable de toute production artisanale ouartistique.

Ainsi, Platon compare l'œuvre de Dieu, celle de l'artisan et celle de l'artiste par rapport à la productiond'un objet d'usage en prenant l'exemple du lit (République, livre X, 597e).

Il établit une hiérarchie de valeur assignéeaux œuvres dictée par la doctrine des Idées : il y a d'abord « le lit en soi » ou l'Idée éternelle du lit (le lit-type), lelit matériel dont le façonnement est assuré par le menuisier sur le modèle du lit en soi.

La tâche de ce dernier estd'effectuer une copie.

En revanche, on dira que sa tâche est de représenter le lit.

En ce sens il devient « imitateurde ce dont les autres sont des ouvriers ».

Dans cette vision hiérarchisée, l'artiste n'est donc qu'un faiseur desimulacres.

Pour lui, l'artiste ou l'artisan, quelle que soit sa technique propre, obéit toujours à cette règlesabsolument générale de tenir le regard fixé sur son œuvre pour y réaliser un certain type (eïdos*), un objectifcommun qu'il se donne.

Dans le Cratyle (389B), il précise cette loi universelle : « Sur quoi le menuisier tient-il lesyeux fixés quand il fait la navette ? ».

Il traduit en ce sens l'imitation d'un modèle sensible.

En revanche, si lanavette se brise pendant la fabrication, ce n'est pas sur la navette brisée qu'il gardera les yeux fixés mais bien surle type dont il s'inspirait en créant.

Il s'agit de l'imitation d'un modèle mental et même d'un modèle idéal contemplépar l'œil intérieur de l'artiste.Pourtant, un artiste caricaturiste est bien obligé d'imiter.

Que fait l'artiste pour dessiner une caricature ? Il partsimplement d'un visage pour ensuite accentuer ou déformer certains traits du visage, en vue de le ridiculiser.

Unefois le portrait fini, la ressemblance entre lui et le visage authentique est de taille.

Sans imitation, le caricaturisten'existerait pas, pourtant le caricaturiste est un artiste.

Pareillement ce dessinateur n'est autre qu'un commerçant,comme l'est l'artisan.

L'artiste a le choix d'avoir ou de ne pas avoir ce statut de vendeur, il peut choisir toutbonnement de vivre de son art, ou de ne pas en vivre.

En vendant ses oeuvres comme l'a fait le célèbre peintrePablo Picasso, il devient lui aussi commerçant.

L'artiste se présentant commerçant doit alors faire face à un risqueque n'a pas en logique l'artisan.

L'artisan sait à l'avance que ce qu'il crée n'est pas pour lui, les produits qu'il créeont pour seul souci de plaire au public, non pas à lui.

L'artiste ne fonctionne pas de la même manière, il marchedavantage à l'instinct et à l'émotion.

Il reste à espérer pour l'artiste que ses goûts soient partagés par le public, etque celui-ci aimera ce qu'il réalise.

Finalement, l'artiste et l'artisan, bien que ce soient deux termes différents,renferment tout de même des similarités que nous devons à leur base commune et identique, l'art.

Mais l'artisten'est toutefois pas qu'un artisan, faute de quoi on ne trouverait que des similitudes entre l'un et l'autre.

Enconséquence, que resterait-il à dire à propos de la divergence entre artiste et artisan ? ** * Malgré les similitudes notées entre la posture de l'artisan et celle de l'artiste il importe de les distinguer.

Leur statutn'est tout d'abord pas le même, puis même s'ils ont tous deux du mérite, l'un aurait tendance à en avoir plus quel'autre, si l'on part du principe que l'un sert davantage, tout dépend sous quel angle nous nous plaçons.

Enfin, le butpoursuivi est aussi différent.

C'est d'ailleurs ce que soutient Michel Polac, quand il écrit « Créer pour vivre ou vivrepour créer: toute la différence entre l'artiste et l'artisan.

» dans Hors de soi.

Effectivement, les objets réalisés parl'artisan ne sont pas faits par hasard, ils ne sont pas faits simplement par pur plaisir, comme il en serait le cas pourun artiste.

L'artisan crée pour vendre, et uniquement pour vendre.

A la base, l'activité de l'artisan a pu naître d'unepassion, d'un loisir, il n'avait jusqu'à ce jour à priori pas de responsabilités.

L'artiste ne prévoit rien, ni la date, ni lejour, ni l'heure de sa future réalisation.

L'artisan au contraire, n'a pas le choix.

Il ne peut par exemple, pas sepermettre de réaliser dix produits en un jour, puis se mettre à arrêter sa production pendant une semaine.

Il connaîtun rythme de travail, qu'il doit respecter, s'il veut espérer obtenir un salaire convenable à la fin du mois.C'est d'ailleurs ce que Kant explique dans sa Critique de la faculté de juger (paragraphe 43 "De l'art en général".

ILétablie tout d'abord une distinction entre l'art et la nature, qui établie à son tour une distinction entre le faire(facere) de l'agir (agere).

En ce sens, l'art se distingue en tant qu'œuvre (opus) du produit de la nature en tantqu'effet (effectus).

Aussi on ne devrait appeler art que « la production par liberté ».

En ce sens, l'art est un arbitrequi place la raison au fondement de ses actions.

Pour illustrer son propos il prend l'exemple de l'œuvre d'art produitepar les abeilles; le gâteau de cire.

En effet, on la considère comme une œuvre d'art par la seule analogie avec l'art.Cependant, dès qu'on pense que les abeilles ne fondent leur travail « sur aucune réflexion rationnelle qui leur seraitpropre, on convient aussitôt qu'il s'agit là d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est uniquement à leurcréateur qu'on l'attribue en tant qu'art.De la même manière, pour Kant, L'art se distingue de l'artisanat : le premier est dit « libéral » et le second estnommé « art mercantile ».

On regarde le premier comme si on ne pouvait pas répondre à une finalité, c'est-à-direcomme une activité qui soit en elle-même agréable.

On regarde le second comme constituant un travail, c'est-à-direune activité qui est en elle-même désagréable et qui n'est attirante que par son effet (à travers un salaire).

En cesens, l'artiste, ne répond à aucune demande ; il crée pour lui, pour l'humanité ou pour rien.

Sa production esttotalement libérée des pressions soumises à l'artisan.

L'artiste fait de l'art pour l'art et pour rien d'autre.

En effet,Van Gogh, n'avait pas vendu une toile de son vivant, ses oeuvres n'ont été reconnues que bien après. En soi, l'artiste vise, par sa production artistique, à dégager de la beauté, de l'esthétique.

Cette beauté particulièreprovient de toute oeuvre, l'essentiel étant que l'œuvre sache communiquer aux personnes qui la contemplent, uneémotion profonde.

L'art ici n'a aucune fonction utile, si ce n'est celle de ravir nos sens.

L'œuvre en question doitpouvoir nous véhiculer le vécu émotionnel de l'artiste, celui-ci cherche à se faire entendre, il cherche à se fairecomprendre au travers d'une oeuvre.

Enfin, son oeuvre devrait aussi nous dévoiler par là sa propre expérience de la. »

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