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Sur quelle méthode repose le métier d'historien ?

Publié le 15/02/2004

Extrait du document

Tacite (comme l'a montré Carcopino) avait le texte authentique sous les yeux et l'a quelque peu transformé avec ses préjugés sénatoriaux. Ainsi du même coup nous rétablissons le discours de Claude en sa vérité et nous avons des lumières sur le point de vue de Tacite.         Mais la reconstruction du passé présente inévitablement d'énormes lacunes. Ce ne sont pas nécessairement les documents les plus importants qui se sont conservés. Certains documents demeurent inaccessibles (La compagnie de Jésus ne livre pas ses « Collections au profane », la Banque de France ne permet pas aux historiens du Premier Empire de consulter ses registres). D'autres documents sont perdus, détruits. Alain disait : « Un document est un vieux papier que la dent des rats,  la négligence des héritiers, les flammes de l'incendie... les exigences de la chaise percée ont épargné par hasard ! ».         Mais de toute façon l'esprit critique ne suffit pas pour révéler le fait historique. L'esprit critique, dit Marrou, peut nous empêcher de communiquer avec une époque passée.

« La synthèse historique.

A la critique des documents, succède la synthèse historique, destinée à donner un tableau d'ensemble d'une époque ou d'un ordre de faits.

Ici se posent bien des problèmes.1.

Les documents peuvent présenter des lacunes ou des insuffisances.

Or le silence des documents ne permet pas de conclure à l'inexistence des faits : ceux de l'antiquité sont à peu près muets sur l'esclavage ; ceux duXVII ième, sur la misère des paysans sous Louis XIV.

D'une façon générale, oeuvre des classes privilégiées, les documents sont « enclins à exagérer l'importance des grands personnages, tandis que la vie de la population est laissée dans l'ombre. » (Seignobos ).

Il faudra donc d'abord combler ces lacunes. 2.

Il faut aussi faire un choix entre les faits.

Une histoire où aucun fait ne serait sacrifié, contiendrait tous les actes de tous les hommes à tous les moments du temps.

C'est évidemment impossible, et serait sansintérêt.

Le principe du choix est laissé à l'appréciation de l'historien.

Sans doute, « les faits ont par eux-mêmes une importance variable, qu'on peut déterminer et qui se reconnaît à l'étendue de leurs conséquences » (Halphen ).

Mais il n'est pas très aisé de déterminer les « conséquences ». 3.

Il faut encore regrouper les faits.

Il va de soi qu'en principe, l'historien suivra l'ordre chronologique.

Mais celui-ci ne suffit pas : l'historien est bien obligé de grouper les faits en de certains ensembles correspondant àl'histoire de tel pays, à l'histoire économie, politique, religieuse, artistique...

Il y a là un découpage qui est, lui aussi, quelque peu conventionnel et même artificiel.4.

Enfin l'Histoire ne se contente pas d'un simple récit : « Son but ultime est de nous fournir une explication, c'est-à-dire de démonter sous nos yeux le mécanisme des causes et des effets d'où à chaque moment est sorti un état nouveau de la société humaine » (Halphen ).

Mais ici se pose, on le verra un grave problème. La causalité en histoire.L'histoire prétend expliquer les faits et, par suite, en déterminer les causes.

L'établissement de relations de causalité est d'ailleurs nécessaire au groupement des faits, qui ne peut être purement chronologique : « En fait, les historiens usent souvent de la notion de cause, indispensable pour formuler les événements et construire les périodes » (Langlois & Seignobos ).

Or que l'idée de cause ne peut avoir de sens que si elle implique une relation constante.

Comme l'a dit Simiand , « il n'y a de rapport causal que s'il y a régularité de liaison, renouvellement identique de la liaison constatée ; le cas unique n'a pas de cause, n'est pas scientifiquement explicable. » Mais l'histoire est précisément la science des cas uniques.

Certains historiens ont cru résoudre la difficulté en alléguant qu'il ne s'agit pas ici, comme dans les sciences, de déterminer des causes générales, encore moins des lois : il s'agit d'expliquer des événements, des faits particuliers.

Mais la difficulté demeure : ainsi que le notait le sociologue Bouglé (1870-1940), « toute explication suppose la croyance à des rapports constants, escompte des propriétés plus ou moins permanentes, utilise des généralités », de sorte qu' « on n'explique pas un fait particulier par un autre fait particulier ».

Les historiens eux-mêmes, quand ils veulent expliquer un fait historique, font appel à des relations générales, à des sortes de lois qui restent sous-entendues.Ouvrons un manuel d'histoire : parmi les causes de la Révolution française, il nous donne « l'état d'esprit », ce qui implique que les causes idéologiques exercent une action réelle sur l'évolution historique : autrement dit, une hypothèse directrice, qui dépasse de beaucoup les faits, sur les causes de l'évolution sociale.

Mais l'histoire est-elle capable, par des procédés proprement historiques, d'en administrer la preuve ? Certes, uneméthode comparative pourrait nous tirer de difficulté.

Mais elle nous ferait sortir du point de vue proprement historique : car comparer, c'est faire abstraction des différences particulières, c'est généraliser. Constituer le fait historique n'est pas tout.

Il faut relier les faits les uns aux autres, établir les relations de causalité qui rendent compte de leur enchaînement.

Telle est la synthèse historique et c'est à ce niveau que l'ambition« scientifique » de l'histoire est le plus contestée. Le déterminisme sur lequel se fondent les sciences de la matière implique que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Un pareil déterminisme ne saurait, dit-on, être établi en histoire, car l'historien ne rencontre que desévénements singuliers qui passent et ne reviennent plus.

Le point de vue de l'historien : Carlyle nous dit : « Jean sans Terre a passé ici, voilà ce qui est admirable, voilà une réalité pour laquelle je donnerais toutes les théories du monde » et Poincaré commente ainsi ce texte : « C'est là le langage de l'historien.

Le physicien dirait plutôt : Jean sans Terre a passé par ici mais cela m'est bien égal puisqu'il n'y passera plus. » Remarquons pourtant avec Hahn, un logicien de l'école de Vienne, que le propos « Jean sans Terre a passé par ici » est un « énoncé scientifique » lorsqu'il est confirmé, c'est-à-dire lorsqu'il peut être répété par l'historien qualifié, à la suite d'une étude plus serrée, après la découverte de nouveaux textes, etc.

Mais si l'établissement du fait historique est un processus scientifique, comment le récit historique le serait-il, asservi qu'il est à la temporalité, au devenir, à la succession des événements singuliers et toujours nouveaux ?Platon opposait le monde du devenir, de l'histoire au monde de la Vérité, c'est-à-dire des idées éternelles.

La science dit Meyerson veut exorciser le temps et chercher ce qui demeure identique.

Une loi scientifique pose des éventualités (si tel phénomène se produit alors tel effet s'ensuivra) donc transcende le cours concret des événements.

On opposera l'esprit scientifique généralisateur et abstrait à l'esprit historique amoureux du détail, dusingulier, du concret mouvant (« Aimer ce que jamais on ne verra deux fois »).

Comment expliquer scientifiquement les faits historiques si, comme le dit Seignobos , « pour chaque cas particulier il faut une explication particulière » ? L'événement est unique, ne se répète pas.

Et il est à plus forte raison impossible de le reproduire en laboratoire pour préciser ses conditions d'existence.

En histoire, l'expérimentation est exclue. Mais si l'expérimentation est impossible en histoire, on peut trouver un équivalent de l'expérimentation avec l'histoire comparée.

Par exemple, Marc Bloch a pu comparer avec fruit l'histoire de la société féodale en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie et même au Japon.

Dans tous les cas, l'économie rurale apparaît comme une condition de la société féodale et c'est toujours le développement du commerce, de l'artisanat, qui précipitel'évolution et la disparition du régime seigneurial.

L'histoire ne peut donc être considérée comme science que si elle sait ne pas s'aveugler dans le fouillis des événements particuliers et reconnaître de grandes lignes de causalité.

L'histoire scientifique est « sociologique » etnon plus « événementielle ».

Considérons le très beau livre de Braudel sur « Le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II ».

C'est seulement dans la troisième partie de l'ouvrage que l'auteur abordera le détail des événements, les conflits entre Espagnols, Turcs et Français.

Mais il a d'abord situé le cadre géographique puis analysé les grands problèmes économiques, financiers, militaires du vaste Empire espagnol.

Il nous faut reconnaître pourtant que dans le domaine historique où tout influe sur tout, le savant ne peut pas isoler les causes déterminantes avec la même rigueur que le physicien ou le chimistes qui, dans l'enceinte dulaboratoire, savent constituer un système clos de causes et d'effets en nombre limité.

L'histoire n'est pas une « science exacte » puisqu'elle ne peut pas prévoir l'avenir.

Quand les événements sont passés, l'historien les met en perspective, trouve les « causes » économique, politiques d'une guerre et d'une révolution.

Mais nul n'aurait pu déterminer à l'avance la date et les modalités de cette guerre ou de cette révolution à la manière de l'astronome qui prévoit par exemple le moment précis d'une éclipse solaire.

Seignobos a déclaré par exemple qu'il n'avait « prophétisé » qu'une fois, en 1913, assurant qu'il n'y aurait pas de longtemps une guerre entre la France et l'Allemagne ! Mais ceci ne justifie pas, selon nous, un complet scepticisme.

Il ne faut pas majorer en histoire le rôle du hasard, de la rencontre accidentelle de séries causales, des effets considérables engendrés par des causesminuscules.De même sans nier le rôle des individus, des grands hommes, il faut se rendre compte que celui-ci n'est possible que dans le contexte des situations sociologiques d'ensemble qui demeurent les grands facteurs déterminants.« C'est à la Révolution , dit Léfebvre , que Napoléon doit son prodigieux destin.

» Le coup d'Etat du 18 Brumaire lui-même a des causes générales.

La bourgeoisie voulait stabiliser la Révolution, maintenir ce qu'elle avait acquis sans se laisser déborder par le peuple.

Elle aspirait à la dictature, réclamait « un sabre ». [1] La critique externe porte sur la forme du document, c'est-à-dire : 1) sur son intégrité (critique de restitution destinée à rétablir le document, qui a pu être plus ou moins altéré, dans sa forme originelle) ; 2) sur son authenticité(critique de provenances destinée à s'assurer si le document est bien de la source : auteur, époque, etc., à laquelle il est attribué). [2] La critique interne porte sur le contenu du document, c'est-à-dire d'abord sur sa signification (critique d'interprétation) : bien des documents doivent être déchiffrés ( Champollion ), traduits etv aussi interprétés (allusions à d'autres faits, métaphores, symboles, etc.) – Tout ce travail constitue ce qu'on appelle la critique d'érudition, car l'historien a besoin de s'appuyer ici sur certaines sciences spéciales, souvent très techniques, qu'on appelle parfoisles « sciences auxiliaires de l'Histoire » : archéologie, épigraphie, paléographie, numismatique etc.... Ce travail, déjà fort complexe, qui suffit pour les documents ordinaires, ceux qui ne sont que des traces, des vestiges du passé, se complique encore pour ceux qui sont des témoignages, c'est-à-dire qui impliquent l'assertion d'un« témoin », parce qu'ils sont destinés à renseigner, soit les contemporains, soit la postérité.

Ce sera alors la critique interne négative, destinée à éliminer les erreurs, volontaires (critiques de sincérité) ou involontaires (critiqued'objectivité).

Ici se pose le grave problème de la valeur probante du témoignage humain.

L'expérience courante aussi bien que les recherches expérimentales effectuées par les psychologues sur cette question montrent que letémoignage, même le plus sincère et le plus impartial est rarement véridique de tous points : l'esprit humain interprète et, par conséquent, déforme le fait en l'enregistrant : il le déforme encore en le rapportant.On s'explique qu'on ait pu conclure qu' « un témoignage juste n'est pas la règle mais l'exception. » (Claparède ).

D'où résultent les règles suivantes : 1) l'historien ne devra « tenir un témoignage pour décisif que s'il est confirmé par ailleurs » (Halphen ) ; il fera sien l'adage de jurisprudence : « Testis unus, testis nullus », « Un seul témoin, témoin de rien » ; la preuve, en effet, n'est pas ici dans le témoignage lui-même, qui peut toujours être erroné, mais dans le fait de la concordance des témoignages ; les « recoupements » sont donc indispensables. 2) encore faut-il que les témoignages qui tombent d'accord soient indépendants les uns des autres : s'ils procèdent tous d'une source commune, leur accord ne prouve évidemment rien ; s'ils relèvent d'un état d'esprit commun aux différents témoins, leur accord s'explique par un phénomène de psychologie collective, non par la réalité du fait, et l'on comprend qu'il se réalise parfois, comme on a pu le constater, une « véritable convergence dans l'erreur ».3) enfin il faut tenir compte de certaines vraisemblances ou plusieurs centaines possibilités.

Nous ne croyons plus aux « pluies de sang » que rapporte Tite-Live , mais on les interprète comme des pluies de sable mêlé à des micro-organismes de couleur rougeâtre. CITATIONS: « Qu'est-ce donc que l'histoire? Je proposerai de répondre : l'histoire est la connaissance du passé humain.

» Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, 1954. « L'histoire que nous écrivons, l'histoire rétrospective (die Historie) est rendue possible par l'histoire qui s'est faite (die Geschichte).

» Paul Ricoeur, Histoire et Vérité, 1955. « La véritable histoire objective d'un peuple commence lorsqu'elle devient aussi une histoire écrite.

» Hegel, La Raison dans l'histoire, 1837 (posth.) « L'historien n'a pas à s'occuper des événements tels qu'ils se sont passés en réalité, mais seulement tels qu'on les suppose s'être passés : car c'est ainsi qu'ils ont produit leur effet.

» Nietzsche, Aurore, 1881. « Le document n'était pas document avant que l'historien n'ait songé à lui poser une question, et ainsi l'historien institue, si l'on peut dire, du document en arrière de lui et à partir de son observation; par là même il institue desfaits historiques.

» Paul Ricoeur, Histoire et Vérité, 1955. « L'historien est dans la situation d'un physicien qui ne connaîtrait les faits que par le compte rendu d'un garçon de laboratoire ignorant et peut-être menteur.

» Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, 1897.

Le bon historien « n'est d'aucun temps, ni d'aucun pays » Fénelon. « L'histoire est écrite par les vainqueurs.

» Robert Brasillach, Les Frères ennemis, 1967.. »

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