TÉMOIGNAGES ET JUGEMENTS SUR DESCARTES

• Depuis la déclaration enthousiaste de La Fontaine (Livre X, fable I). les hommages à Descartes n'ont pas manqué, venus des esprits les plus divers. Il convient donc de se limiter à quelques jugements célèbres ou significatifs. • D'abord le salut de Hegel : « Descartes est le vrai fondateur de la philosophie moderne en tant qu'elle prend la pensée pour principe. L'action de cet homme sur son siècle et sur les temps nouveaux ne sera jamais exagérée : c'est un héros, il a repris les choses par les commencements «. • De Th. Huxley, qui souligne son génie de précurseur : « Certains hommes sont grands parce qu'ils représentent tout ce que leur époque a de forces latentes; et leur magie consiste à nous refléter l'avenir. Ils expriment les pensées qui seront celles de tout le monde deux ou trois siècles après eux. Tel fut René Descartes. « Sur la conformité de Descartes à l'esprit français, ce mot de • Nisard : « Descartes a eu la gloire d'apprendre aux Français leur véritable génie; cette gloire durera tant que ce génie se souviendra de ce qu'il a été. La méthode cartésienne ne cessera pas d'être l'une de nos facultés : instrument admirable, qui, faute de mains assez robustes pour le manier, pourrait bien être délaissé mais qui ne sera jamais remplacé par un meilleur. « • De Maurice Barrés, cette heureuse formule : « C'est l'homme d'un seul amour. Sa vie c'est la poursuite d'une seule conquête. Il voulut être le maître de la lumière. « • Péguy relève fort bien la hardiesse et la fécondité du cartésianisme quand il dit à son propos : « Une grande philosophie n'est pas celle qui prononce des jugements définitifs, qui installe une vérité définitive. C'est celle qui introduit une inquiétude, qui ouvre un ébranlement. — Le monde n'a peut-être pas suivi la méthode de Descartes, et Descartes certainement ne l'a pas suivie. Mais Descartes et le monde ont suivi l'ébranlement cartésien. Une grande philosophie n'est pas celle qui est invincible ou qui une fois a vaincu ; c'est celle qui une fois s'est battue. Une grande philosophie n'est pas une philosophie sans reproche, c'est une philosophie sans peur. « • Paul Valéry, qui se fait si volontiers le contempteur des philosophes, se reconnaît pourtant cartésien, et rejoint le jugement de Péguy en parlant du « Condé du Discours de la méthode « comme « d'un grand capitaine de l'esprit «. Ce qu'il loue d'ailleurs dans l'homme qui fit dans la pensée moderne « une si héroïque trouée «, c'est moins le système que « l'idée qu'il nous présente d'un magnifique et mémorable Moi «.  

# De Robert Kemp cette parfaite profession de foi : « Je suis de ceux qui croient que, depuis Descartes, la philosophie s'est égarée, et que toutes les vérités découvertes après lui jusqu'à Bergson même et Einstein ne l'ont été que par l'application du cartésianisme, l'anti-cartésianisme n'étant qu'un fruit gâté, souvent savoureux, un alcool du cartésianisme dénaturé. « # Dans ce concert de louanges aucune note discordante, sinon quelques mots injustes de Pascal et quelques propos jaloux de la part de Leibniz. De nos jours tout le monde, des spiritualistes aux marxistes, revendique Descartes pour des raisons différentes. Mais qu'en penseront les existentialistes ? Leur doctrine se présente souvent comme un anti-cartésianisme : ils restent cependant tributaires du Cogito qui implique d'ailleurs un sens existentiel trop négligé. # Kierkegaard, le précurseur, voit en Descartes « un penseur vénérable, humble et loyal, dont nul assurément ne peut lire les écrits sans la plus profonde émotion. « # Husserl, le fondateur de la Phénoménologie, se réfère explicitement au Gogito et intitule l'un de ses livres « Cartesianische Meditationen « (Méditations cartésiennes). Or sa méthode est celle même qu'adopteront Heidegger et J.-P. Sartre. # Jaspers lui adresse de sévères critiques; mais il avoue: «Descartes est une fatalité historique dans ce sens que quiconque fait de la philosophie est obligé de décider, chacun pour soi, de quelle manière il faut s'approprier Descartes... Pour nous, l'importance de ce philosophe résulte en outre du fait que même la manière de l'attaquer traduit encore l'estime pour lui. Grâce à Descartes on peut parvenir à la clarté d'une philosophie susceptible de combattre précisément les attaques erronées qui se dirigent contre lui. « # J.-P. Sartre nous dit au terme d'une étude sur la liberté selon Descartes : « Nous ne reprocherons pas à Descartes d'avoir donné à Dieu ce qui nous revient en propre ; nous l'admirerons plutôt d'avoir, dans une époque autoritaire, jeté les bases de la démocratie, d'avoir suivi jusqu'au bout les exigences de l'idée d'autonomie, et d'avoir compris bien avant le Heidegger de « Vom Wesen des Grundes que l'unique fondement de l'être était la liberté. „ # En parfait humaniste, Georges Duhamel nous invite à reprendre « l'un de ces livres que l'on croit savoir par cœur et qui tiennent en réserve tant de surprenantes découvertes, et à nous recueillir pour apercevoir « au plus creux de ses retraites l'une de ces intelligences radieuses que le destin fait surgir de loin en loin sur les noirs chemins de l'espèce. «