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LE THÉÂTRE AVANT 1939 (analyse)

Publié le 21/11/2011

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Pour la majorité des Français au début du siècle, le théâtre n'est pas autre chose que ce spectacle « rouge et or « stigmatisé plus tard par Cocteau, lieu obligé de mise en scène des valeurs bourgeoises - moins souvent magnifiées que raillées, c'est vrai, mais toujours sur la sellette, pour le plus grand régal d'un public qui n'aime guère qu'on l'entraîne loin du décor qui est le sien (antichambre, salon, chambre à coucher). Sans doute est-ce pour cela que le plus caractéristique - sinon toujours le meilleur - de la production scénique de la Belle Epoque se situe, entre l'humour et l'humeur, dans cette perspective « traditionnelle «. Ce qui ne veut pas dire qu'on ait forcément affaire à des oeuvres médiocres : Feydeau et Courteline ont prouvé leur vertu de « classiques « du Boulevard, et Tristan Bernard lui-même - si Flers et Caillavet et quelques autres ont saris doute moins bien tenu la scène, en dépit du , triomphe que leur firent leurs contemporains.

« recettes du genre : Edouard BOURDET d'abord (1887-1945), qui triomphe avec le Sexe faible, Francis de CROISSET (1877-1937), déjà connu du public avant 1914 mais que semble animer une seconde jeunesse, le gentil Marcel ACHARD (1899- 1974), qui fait une entrée remarquée a~ec Jean de la Lune (1929), Stève PASSEUR le cymque (1899- 1966), homme de théâtre jusqu'au bout des ongl~s, dont les comédies virent naturellement au nmr, sans oublier l'inévitable Sacha GUITRY (1885- 1957), aussi à l'aise sur scène qu'au cinéma et dont l'esprit est un véritable feu d'artifice (Mon père ·avait raison , 1919).

On voit même Jules ROMAINS renoncer un temps au récit pour s'adonner à la farce moliéresque, ce qui nous vaut au moins un chef-d'œuvre (Knock, 1923).

Enfin un jeune profes­ seur d'anglais, bien sage pourtant, et à coup sûr respectueux des traditions, apporte un air nouveau sur les planches : il s'appelle Marcel Pagnol.

Marcel PAGNOL (1895-1974) Si nous faisons ici une place un peu plus large que certains ne jugeraient utile au père de Marius, de César et de Topaze, c'est qu'il est peut-être temps de réparer un malentendu à son sujet.

Oui, Pagnol fut un écrivain facile, constamment (ou presque) accompagné par le succès, ce qui lui ~ valu à coup sûr le dédain des intellectuels.

Non, il n'est pas un dramaturge de seconde zone, ses piè­ ces -et ses films -étant parmi les œuvres de cette période qui ont le moins vieilli, ou plus exactement qui ont le mieux vieilli, comme on dit d'un bon vin.

Le manque de prétention, la justesse de l'émotion, la drôlerie ineffable des situations confèrent à la fameuse trilogie marseillaise (Ma­ rius, 1929; Fanny, 1931; César, 1935), écrite à la fois pour la scène et pour l'écran, une manière de classicisme.

N'oublions pas non plus qu'une pièce comme Topaze (1928) valut à son auteur une répu­ tation de dénonciateur incorruptible des mœurs du temps (elle fut jouée des années durant en U.R.S.S.

avec le plus grand succès).

Quant aux souvenirs que l'écrivain nous donna sur le tard (la Gloire de mon père, le Château de ma mère), ils sont _d'un Virgile provençal, plein de finesse et de lynsme contenu, infiniment plus proche en son fonds d'un Giono que des rampes du Boulevard.

Autant de raisons qui devraient nous amener à reconsidérer la figure de Pagnol le sage : écrivain fêté certes, mais · qui méritait de l'être, il n'est plus permis d'en douter .

Théâtre et modernité Pagnol nous révèle d'autre part que le cinéma et le théâtre, loin de se faire nécessairement une mau­ vaise concurrence, peuvent parfaitement s'aider l'un l'autre.

Le fait est qu'à partir de 1920, les fabu­ leux progrès de la mise en scène cinématogra- phique vont d'une certaine façon bouleverser l'art scénique, lui injecter en tout cas un sang n~uf.

Mieux : cette période de concurrence avec le cme­ ma sera paradoxalement pour le théâtre français - de 1919 à 1939 au moins -l'une des plus brillan­ tes de son histoire .

Un homme est à l'origine de ce renouveau: Jacques COPEAU (1879-1949), fondateur dès 1913 du Théâtre du Vieux-Colombier.

Héritier d'Antoi­ ne et de Lugné-Poe dans la mesure où, comme eux, il prône un théâtre de textes, essentiellement litté­ raire, il tourne pourtant le dos à ses deux aînés, récusant le réalisme systématique de l'un comme .

les excès symbolistes de l'autre.

C'est que Copeau est au fond un classique, au meilleur sens du terme.

Non parce qu'il choisit de jouer Molière ou Sha­ kespeare, mais dans la mesure où il invente une nouvelle forme de dramaturgie, fondée sur la rigueur et sur le dépouillement.

Les décors sont réduits au minimum, la mise en scène devient à la fois une mise en volume (l'espace est construit d'une façon quasi architecturale) et une mise en lumière (importance des jeux d'éclairage).

Si Copeau doit s'arrêter dès 1924, son expé­ rience n'en aura pas moins été décisive.

Dans son sillage en effet une nouvelle génération d'hommes de théâtre s'impose avec éclat, qui tiendra la scène pendant près de vingt ans :Charles DULLIN (1885- 1949) qui crée sa propre compagnie en 1921, en même temps que Gaston BATY (1885-1952); Louis JOUVET (1887-1951) et le Russe Georges PITOEFF (1884-1939) qui s'imposent à Paris l'an­ née suivante.

Chacun d'eux a son style propre, son répertoire , mais ils apparaissent si différents des autres directeurs de troupe que le public qui ne s'y trompe pas a tôt fait de les réunir sous une unique appellation : ce sont les quatre du « Cartel >>.

Avec eux, Paris découvre un véritable théâtre de la modernité, cousin de celui qu'avait créé Stanislavs­ ky à Moscou, ou Max Reinhardt à Berlin .

Le public lui-même change d'at~itude : il ne loue plu_s ses billets pour aller applaudir un acteur, comme 11 était d'usage à la Belle Epoque, mais pour témoi­ gner sa fidélité à un metteur en scène ...

ou à un écrivain.

Directeurs de théâtre et auteurs sont au reste de plus en plus étroitement associés : la car­ rière de Giraudoux est inséparable de celle de Jou­ vet ; et l'on ne peut imaginer l'œuvre de Pirandello, le génial dramaturge italien qui.

prop~se a~ors au public fasciné u~: forme ~evolut10nna1:e ..

de " théâtre dans le theatre », sans evoquer les P1toeff.

En fait c'est toute une conception du théâtre qui se trouve 'bouleversée.

Auparavant, la scène était ce lieu clos où une société allait se contempler, comme on regarde par le trou de la serrure, avec un frisson où se mêlaient inextricablement les plaisirs complémentaires du voyeurisme et de l'exhibit_ion­ nisme.

A présent, le théâtre retrouve son antique. »

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