Toute oeuvre d'art nous parle-t-elle de l'homme ?
Publié le 10/02/2004
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[III — L'oeuvre est la preuve de la liberté de l'esprit]
Kant affirme que l'oeuvre, dans sa constitution même, c'est-à-dire en raison de l'impression de finalité interne qu'elleproduit, symbolise la moralité.
Comprenons que sa contemplation éveille en nous l'écho du fonctionnement qui est celuide la moralité : de même que cette dernière suppose le refus des intérêts égoïstes et l'obéissance à la loi moraleuniverselle, de même l'oeuvre d'art s'affirme comme rassemblant ses propres éléments dans une totalité nouvelle quila fait exister.
Si l'on approuve cette idée kantienne, on peut comprendre (à la condition toutefois — ce qui est sansdoute contestable dans la mesure où certaines versions de la « beauté » paraissent fondées sur le « bizarre » comme leformulait Baudelaire ou sur la surprise, sinon sur la terreur — d'admettre la validité universelle de la notion de finalitéinterne) que toute oeuvre, si elle symbolise la moralité, nous « parle » en effet d'une dimension propre à l'homme.Hegel objecte à Kant que la capacité symbolique ne concerne que les débuts de l'art.
Mais c'est pour proposer unedéfinition de l'oeuvre comme « manifestation sensible d'une idée », ce qui — s'il y a idée implicite — renvoie bien unefois de plus à l'homme.C'est peut-être encore Hegel qui nous permet le mieux de comprendre que l'oeuvre parle toujours de l'homme, etsurtout comment elle en parle : d'après lui, l'art est manifestation de l'esprit en tant que tel, et c'est à ce titre quel'homme y est toujours en question, y compris, peut-on ajouter, lorsqu'elle peut paraître la plus « froide » ou la pluséloignée de l'humanité : lorsque Marcel Duchamp décide qu'un porte-bouteille acquis dans une quincaillerie peutaccéder, parce qu'il en décide, au statut d'oeuvre d'art, que fait-il d'autre que proposer une nouvelle conception del'oeuvre, c'est-à-dire une preuve supplémentaire de la capacité qu'a l'esprit à dépasser ses propres acquis ?
La plus haute signification de l'art est celle qui lui est commune avec la religion etla philosophie.
Comme celles-ci, il est un mode d'expression du divin, des besoinset exigences plus élevés de l'esprit.
Nous l'avons dit plus haut : les peuples ontdéposé dans l'art leurs idées les plus hautes, et il constitue souvent pour nous leseul moyen de comprendre la religion d'un peuple.
Mais il diffère de la religion et de la philosophie par le fait qu'ilpossède le pouvoir de donner de ces idées élevées une présentation sensible qui nous les rend accessibles.
La penséepénètre dans les profondeurs d'un monde suprasensible...
elle cherche en toute liberté à satisfaire son besoin deconnaître, en s'élevant au-dessus de la réalité finie.
Mais cette rupture, opérée par l'esprit, est suivie d'une conciliation,oeuvre également de l'esprit ; il crée de lui-même les oeuvres des beaux-arts qui constituent le premier anneauintermédiaire destiné à rattacher l'extérieur, le sensible et le périssable à la pensée pure...Si l'art sert à rendre l'esprit conscient de ses intérêts, il est loin d'être le mode d'expression le plus élevé de la vérité.[...] Pour le moment, contentons-nous de rappeler que, même par son contenu, l'art se heurte à certaines limitations,qu'il opère sur une matière sensible, de sorte qu'il ne peut avoir pour contenu qu'un certain degré spirituel de la vérité.L'Idée a en effet une existence plus profonde qui ne se prête plus à l'expression sensible : c'est le contenu de notrereligion et de notre culture.
Ici, l'art revêt un autre aspect que celui qu'il avait à des époques antérieures.
Et cette Idéeplus profonde, dont la pointe extrême est représentée par le christianisme, échappe totalement à l'expressionsensible...
Dans la hiérarchie des moyens servant à exprimer l'absolu, la religion et la culture issue de la raison occupentle degré le plus élevé, bien supérieur à celui de l'art.
HEGEL
1) Après, dans un 1 er paragraphe avoir assigné à l'art une suprématie qu'aucune pensée antérieure n'avait osé luireconnaître, (il est le savoir que l'esprit prend de lui-même, il a le même rang que la religion et la philosophie), Hegel, dans un deuxième paragraphe montre quelles sont les limites de l'art par rapport à la pensée et lui assigne le plus bas degré dans la hiérarchie desmanifestations de la vérité.
2) L'art, en effet, est conçu comme l'unité du sensible et du spirituel, comme l'incarnation d'un contenu de pensée par définition supra-sensible et infini dansune forme sensible limitée ou finie ; la beauté artistique occupe le milieu entre le sensible et la pensée pure, elle est l'unité de l'extériorité et de l'intériorité.
3) Le contenu de l'art est le divin, la vérité de l'art c'est la religion et dans la succession de ses formes historiques, l'histoire de l'art est inséparable decelle de la religion.
Tel est l'insigne privilège de l'art : il présente, il rend présent dans une apparence sensible un contenu essentiel ou une idée et cetteapparence n'est pas une illusion : image visible de l'invisible, elle est plutôt un moment essentiel de l'essence qui n'existe qu'en tant qu'elle se manifesteou se théâtralise dans l'espace et le temps (l'Égypte est dans ses pyramides comme l'Occident dans ses cathédrales).
4) Mais, en révélant la spiritualité infinie de l'individualité concrète, « notre religion » c'est-à-dire le christianisme, est à l'origine de la transformationprofonde qui oppose l'art classique à l'art moderne, que Hegel appelle art romantique : en faisant l'épreuve de la passion, de la douleur et de la mort, l'esprits'approfondit et s'élève, avec le christianisme, à la spiritualité absolue ; dans son infinie subjectivité, dans sa pureté supra-sensible, il n'est plus adéquat àla représentation sensible ; l'unité de la forme et du contenu qui caractérise la beauté s'est déchirée el: c'est ainsi que l'art romantique amorce le processusde dissolution de l'art.
5) L'art est « la présentation sensible de l'Idée », c'est-à-dire la présentation sensible de l'être ou de la vérité pleinement déterminés et rassemblés en soiet pour soi.
Mais la beauté artistique n'est que le « rayonnement sensible de l'Idée » : l'Idée présentée sensiblement sera ensuite représentéereligieusement (avec la représentation religieuse, le fini et l'infini sont reliés mais non encore réconciliés) pour être enfin comprise philosophiquement.
Maisdéjà avec l'esthétique, la philosophie peut prendre sans reste la relève de l'expression artistique.
[Conclusion]
Au-delà des approches sentimentales ou documentaires des oeuvres, on doit admettre qu'elles ne nous «parlent» que de l'homme.
Mais c'est toujours demanière indirecte, de biais, ou silencieusement : ce qu'elles affirment, c'est la position de l'esprit relativement à la nature — et cette position peut sedécliner aussi bien comme défi au temps par le pari d'une invention durable que comme réflexion sur l'espace dans la peinture ou la sculpture, ou encorecomme mise au point d'un nouveau mode de figuration.
C'est dire que toutes les formes que présente l'histoire de l'art, y compris les plus récentes quipeuvent dérouter, n'en finissent pas de donner des preuves de l'insatisfaction de l'homme, tant par rapport à la nature que par rapport à ses propresinventions..
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