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La vérité peut-elle être dite par les autres ?

Publié le 15/01/2012

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La vérité peut-elle être dite par les autres ?

 

Introduction.

Universelle, la vérité est la même pour tous, et on considère qu’elle est à la portée de chacun – dès lors qu’il est en mesure de raisonner. N’importe qui pourrait donc tenir un discours vrai. Et on constate tout naturellement que le savoir, où « repose » la vérité, nous est transmis par d’autres que nous.  

Mais fera-t-on naïvement confiance à n’importe qui ? Autrui peut me mentir, se tromper lui-même, ou encore ne transmettre qu’une opinion, sans se soucier des fondements de ce qu’il affirme. Ainsi, la vérité d’un discours apparaîtrait lorsque l’on est soi-même capable d’en rendre raison, et ne serait donc pas « dite par les autres ».  

Pour autant, le rôle d’autrui dans l’acquisition du savoir et la recherche de la vérité est-il négligeable ? Comment le redéfinir, alors ? On peut penser que ce rôle est celui d’une mise à l’épreuve de nos pensées (sur le modèle de l’interrogation socratique), à qui il serait demandé, justification, preuves, arguments, etc.       

 

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  1. I.     Le savoir est une œuvre collective. 

Quelles connaissances pourraient bien acquérir un sujet laissé à lui-même ? Il semble que l’on ait besoin des autres pour cela, dans la mesure où : 

 

1° Le concours des autres est nécessaire.  

Un sujet isolé ne peut être omniscient : il ne peut pas être au fait de tout ce qui a lieu dans l’espace et le temps.

Ainsi, la constitution d’un savoir factuel passe par autrui dans la mesure où nous avons besoin d’informations. C’est pour cette raison que l’on s’adresse au témoin, ou au journaliste, lorsque l’on désire être informé de ce qui se passe en un point éloigné du globe. De son côté, l’historien, qui désire connaître le passé, a besoin des documents et des témoignages que les hommes du passé nous ont laissé, ou des données que des archivistes zélés ont pu lui laisser.  

Remarquons immédiatement qu’autrui, ici, n’est pas n’importe qui : on préférera s’adresser à des individus compétents, capables de recouper les faits entre eux, de vérifier leur authenticité, et de soumettre leurs sources à un travail critique sérieux (de quel point de vue particulier émane tel ou tel document ou point de vue, à quel parti politique appartient ce témoin, et est-il parti prenante de ce conflit ? Que recherche t-il ? Les faits qu’il mentionne correspondent-ils à ce qu’en disent d’autres témoins ?)

On ajoutera que la recherche scientifique contemporaine est bien souvent le fait de groupes de recherches, où l’on rencontre une sorte de « division du travail ». On ne cherche pas seul, sans le secours de ses pairs et des institutions. Il sembler que cela soit le cas en physique : les recherches mobilisent certes un « savant », responsable de recherche, mais aussi assistants, ingénieurs, techniciens… sans oublier d’importants moyens financiers, dont l’origine peut être privée ou publique. 

 

2° Un seul homme ne peut se livrer à toutes les disciplines. La vulgarisation.          

Nous ne serons jamais en mesure de tout savoir, ou d’être savant dans toutes les disciplines. Nous n’avons qu’une vie… Le savoir est spécialisé, « régionalisé » en diverses sciences, et il est souvent difficile d’aborder un savoir qui n’est pas le nôtre. Nous avons alors besoin d’autrui, en l’occurrence du savant, et de la vulgarisation grâce à laquelle son savoir devient accessible. Nous possédons ainsi bien des connaissances dont nous ne savons pas forcément rendre compte, mais que nous associons à une certaine autorité en matière de savoir.

Là encore, il s’agit de savoir sur quoi repose l’autorité du vulgarisateur…

 

3° Le savoir que l’on acquiert a d’abord été élaboré par d’autres.  

Qu’est-ce que ces connaissances qui nous sont transmises ? Qu’est-ce que ce savoir ? Il est le fruit d’une élaboration longue et laborieuse : il est l’œuvre d’autres que nous, qui ont su l’initier, le développer, le parfaire.

Ainsi, ce savoir est non seulement celui de nos maîtres, mais il est propre à notre culture - quand il n’est pas le produit de plusieurs cultures. La vérité nous vient donc des autres, en un sens très large ! Ces autres peuvent tout aussi bien être les hommes d’un passé lointain… On pratique encore la géométrie euclidienne, développée au 3ème siècle av. J.C., et on apprend beaucoup en compagnie de Platon ou d’Aristote. Ainsi, aussi génial soit un philosophe, un chercheur en mathématique ou en physique fondamentale, il opère sur un savoir initié avant lui.  En ce sens, un enseignant est sans doute un passeur, le représentant d’un savoir qui n’est pas seulement le sien, et qu’il doit s’efforcer de fidèlement transmettre. 

 

4° Transition.

Cependant, on doit remarquer que tout enseignement ne vise rien d’autre, au fond, que l’autonomie de l’enseigné : il s’agit toujours, quelle que soit la discipline enseignée, de rendre l’enseignant de moins en moins indispensable… le but de tout enseignement, c’est la mort du maître !! C’est pour cela qu’un enseignement passe par l’exercice, où l’on ne contrôle jamais simplement des connaissances récitées mécaniquement, mais la capacité d’un élève à se les réapproprier et à s’en rendre assez maître (et la récitation n’est pas forcément une mauvaise façon de s’y prendre)…pour ne plus avoir besoin de maître.

Remarque : c’est ce processus qui fait que l’on a confiance en quelqu’un et en sa compétence. Un historien, un journaliste ou un enseignant ne sont pas n’importe qui : ils ont eux-mêmes su se réapproprier un certain savoir, travailler selon certaines règles reconnues par leur profession ou leur institution. On présuppose donc toujours que les individus auxquels on fait confiance ont su faire ce travail, à un moment ou à un autre, et qu’une institution a reconnu leur compétence. C’est à ce travail qu’il faut s’intéresser maintenant, en montrant comment la recherche de la vérité est avant tout le fait d‘un sujet (sujet=individu)  

 

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II. Nécessité de penser par soi-même.

 

1° Opinion et vérité.

L’opinion est par excellence la pensée qui nous vient des autres. C’est là son origine : éducation, milieu, entourage, culture, font l’opinion et se chargent de l’entretenir. Mais c’est également par sa forme qu’elle se définit : l’opinion est irréfléchie, adoptée sans examen critique ou démonstration. Tout ceci suffit à la distinguer de la vérité, qui réclame un effort de justification que ne fait manifestement pas l’opinion. Spinoza parlait à propos de l’opinion de « connaissance par ouï-dire » : on répète ce que l’on a simplement entendu, sans s’en assurer. Voilà qui peut par exemple expliquer un phénomène comme la rumeur, dont la transmission est extrêmement rapide et dont il est très difficile de déterminer le bien fondé.

Mais outre le fait que la vérité ne dépende pas de ce que nous disent les autres, on peut encore se demander si leur intention est bien de nous la dire ….

 

2° Persuasion et conviction.

Dans la mesure où elle est irréfléchie et ne se pose pas la question de son bien fondé, l’opinion est manipulable. Faire adopter une opinion à quelqu’un, c’est flatter ses désirs et ses passions, c’est être complaisant avec ceux-ci. On dira également qu’il s’agit de parler aux affects d’une personne plus qu’à sa raison- ce qui est d’autant plus facile que celle-ci est moins exercée. Bref, il s’agit de PERSUADER plus que de CONVAINCRE (convaincre = argumenter, donner des raisons valables, justifier, etc.). Dans cette optique, ce que nous disent les autres n’est pas la vérité mais avant tout ce qui sert leurs intérêts particuliers.

Dans le Gorgias de Platon, Socrate montre bien comment l’art du discours, la rhétorique, peut être utilisée à des fins indifférentes à la vérité, et mis au service des ambitions d’un individu ou d’un groupe d’individu. La parole est aussi une arme.

Remarque : Ceci se vérifierait particulièrement lorsqu’un orateur s’adresse à une assemblée nombreuse : les savants y sont les plus rares, et la persuasion a toutes les chances d’opérer efficacement. Le démagogue, l’orateur, le leader charismatique savent user d’une telle persuasion, et exercer leur emprise sur les foules. Cette foule que l’on peut flatter, enthousiasmer avec des promesses, dont on peut exacerber la fierté, Platon la comparait à une bête – ce qui est une façon de dire que la raison n’a plus droit de cité lorsque ce type de phénomène se produit.   

 

3° Penser par soi-même.

Ne rien admettre dont on ne puisse rendre soi-même raison : la vérité semble être à ce prix. La recherche de la vérité peut ainsi être conçue comme une expérience que l’on effectue nécessairement à la première personne. C’est cela que Socrate demandait à ses interlocuteurs dans les dialogues de Platon : il les incite en effet à accoucher d’une vérité qu’ils possèdent, même s’ils ne le soupçonnent pas et se contente d’opinions toutes faites. La maïeutique, ou l’art d’accoucher les âmes, nous dit précisément que le discours vrai est avant tout le nôtre.

Remarque : pour les amateurs et ceux qui ont étudié ce texte l’année dernière, l’ouvrage de Kant intitulé « Qu’est-ce que les Lumières ? » pouvait donner lieu à des considérations similaires – de même que le cogito cartésien, d’ailleurs.    

 

4° Transition.

Comment, cependant, la vérité pourrait-elle être celle d’un seul ? La vérité ne doit-elle pas être universelle, et ne se doit-elle pas d’être éprouvée (au sens de « mise à l’épreuve ») par les autres, et soumise à la contre-argumentation ? Si la vérité n’est pas dite par les autres, n’est-ce pas auprès d’eux que l’on s’assure de ce que l’on sait ?

 

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III. Le savoir à l’épreuve des autres.

 

1° Misère du dogmatisme…

Qu’est-ce qu’un discours qui refuse la contradiction, sinon un discours dogmatique, au pire sens du terme ? Rien de pire, pour le savoir, que l’enfermement dans la certitude et l’absence de contradiction, la première étant sans doute la conséquence de la seconde. Le mauvais dogmatisme peut ainsi tomber dans ce piège qui consiste à croire savoir, et qui définit l’ignorance au sens fort du terme. 

Celui qui se lance dans une recherche solitaire de la vérité doit sans doute apprendre, alors, à se confronter seul à la contradiction, et à douter de ce qui parait d’abord évident. La première des  Méditations métaphysiques de Descartes illustre ceci à merveille : l’auteur recherche vérité et  certitude, et entreprend pour cela une méditation - exercice solitaire par excellence. Dans un passage célèbre, il va jusqu’à faire l’hypothèse d’un Dieu trompeur (ou malin génie) qui lui ferait croire vrai ce qui en réalité est faux ![1] Il admet donc la possibilité de se tromper radicalement, et de se voir contredit. On peut donc penser que l’essence de la pensée rationnelle et de la recherche de la vérité est dialectique.

 

2° Dialogue et contre argumentation.

Est-ce vraiment la certitude qui intéresse le théoricien ou le savant ? Ne cherche t-il pas à éprouver son savoir, à le mettre à l’épreuve ? Les autres ne sont-ils pas à même de le faire ? Ici, il ne s’agit plus d’apprendre quelque chose des autres, mais au contraire de désapprendre grâce à eux, de revenir sur ce que l’on croyait acquis.

Si « un autre » a bien joué ce rôle dans l’histoire de la pensée, c’est Socrate ! Il est en effet celui qui ramène ses interlocuteurs à leur ignorance. Il est celui qui introduit le doute, torpille les opinions, ramène à l’ignorance ; mais il est aussi celui qui donne à son interlocuteur la possibilité de la pensée vraie.

 

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Conclusion.

La vérité n’est pas dite par les autres, mais leur rôle est essentiel, pour peu qu’ils fassent autre chose qu’assurer la diffusion des opinions. Ce rôle est essentiellement négatif, dans la mesure où il consiste à nous renvoyer à l’insuffisance de notre savoir, au caractère illusoire de nos certitudes, et enfin à notre ignorance.

Il est par conséquent important de voir que l’acquisition d’un  savoir ne se résume pas à l’absorption du savoir du maître. Avoir appris quelque chose, c’est savoir le refaire et le justifier sans lui…

On prendra donc bien soin de distinguer à nouveau vérité et opinion : l’opinion est ce discours que l’on ne prend pas la peine de se réapproprier. C’est un savoir amputé de ce qui le soutient, à savoir le travail de la raison d’un sujet.


[1] Cf. : http://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9ditations_m%C3%A9taphysiques/M%C3%A9ditation_premi%C3%A8re#top

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