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VERLAINE: Après trois ans

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

verlaine

   Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu'éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.    Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.    Les roses comme avant palpitent, comme avant Les grands lis orgueilleux se balancent au vent, Chaque alouette qui va et vient m'est connue.    Même, j'ai retrouvé debout la Velléda Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

Le thème du Souvenir a été souvent traité au XIXe siècle, notamment par Lamartine (Le Lac — 1820), V. Hugo (Tristesse d'Olympio — 1837), Musset (Souvenir — 1841). Reprenant ce thème dans Après trois ans (1866), Verlaine renonce à ce qu'il y a de précis dans les aventures rapportées (mort d'Elvire, trahison, ou simplement « l'ombre Des jours qui ne sont plus «) et dans les rapports entre la nature et l'homme (sympathie ou indifférence). Il renonce à ce que l'élégie de Lamartine et de Musset comporte encore de conventionnel et d'oratoire (comme le décor romantique et les adjurations du Lac). Enfin les amples méditations d'Olympio ne sont pas dans son tempérament.    Verlaine traite le thème à sa manière : il change le cadre, la qualité des sensations et des sentiments, le style (1) — (Lecture du texte).   

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« Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint. Pénétrons-nous donc de la rêverie intime qui absorbe le poète pour donner à « rien » et à « tout » l'intonation desémotions profondes. (V.

5-6) — L'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Tous les détails de ce cadre populaire sont transfigurés par le souvenir d'un passé émouvant qui rend touchante leursimplicité même.

Des points de suspension à la fin du vers : plus que les autres éléments du décor, l'humble tonnelleet les chaises de rotin accrochent la rêverie du poète.

Aucune coupe régulière effective, un rejet de prosaïsmedonnent au ton une simplicité totale. (V.

7-8) — Soulignons — très discrètement — « toujours ».

On sent quelque joie dans le déroulement heureux du v.7, régulier, et dans ses sonorités légères et douces (toujours, murmure, argentin) ; au vers 8, le vieux tremble estconsidéré comme un vieil ami dont la manie de se plaindre prête au sourire ; « sempiternelle » appartient auvocabulaire familier qu'on emploie entre personnes de connaissance.

Le vers 8 présente une succession irrégulièrede brèves et de longues, ce qui peint savamment la plainte irrégulière du vent : Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle (V.

9-10) — Soulignons discrètement le premier « comme avant » et légèrement plus le second « comme avant »,mieux mis en évidence par la coupe du vers retardée.

— La description des roses et des lys est en elle-mêmepoétique, car les fleurs sont dotées de sentiment : « orgueilleux » ou de vie : « palpiter », qui interprète le légerfrémissement des roses au souffle de la brise, s'applique ordinairement aux êtres vivants (le cœur, la chairpalpitent).

Ainsi la magie de la poésie, fondée ici sur un mystérieux animisme, s'applique aux fleurs d'un humble jardinaussi bien qu'aux « noirs sapins » de Lamartine ou au superbe magnolia de Chateaubriand. (V.

11) — Dire avec sentiment « chaque » et « m'est connue ».

Encore un vers dépourvu de coupes effectives(prosaïsme — simplicité) ; sa ligne sinueuse est en accord avec le vol capricieux de l'alouette, comme, au versprécédent, la régularité du rythme, impeccable, peignait le balancement régulier et lent des lys. (V.

12-13-14) —«Même»: expression de style populaire ; soulignée par la diction, elle fait sentir que le poète est deplus en plus ému par le caractère inchangé du décor, et parallèlement par la rêverie qui l'absorbe de plus en plus.

Ilest surprenant en effet que cette statue, si fragile, se retrouve après trois ans et que l'odeur forte du résédafinisse, à la longue, par sembler fade.

Aussi sont mis en relief « grêle », isolé par une coupe prématurée, ainsi que «debout » et « fade » par des rejets à l'hémistiche à peine sensibles, mais effectifs.

Le goût médiocre de la statuettede Velléda, d'un romantisme attardé (Velléda est la prêtresse gauloise qui aima l'Eudore des Martyrs), le réalisme dela description (« dont le plâtre s'écaille »), la fragilité de cette statue et l'odeur « fade » du réséda nous inspirentune vague tristesse qui s'accorde, de façon subtile, avec la mélan-coliejde la rêverie secrète de l'auteur.

Le fait delier le souvenir d'une odeur à celui d'un événement révèle le psychologue et l'artiste raffinés (Colette et d'autress'en souviendront).

La dernière note du poème révèle enfin le musicien délicat.

La voyelle « a » est la plus ouvertedes voyelles.

Elle sonne ordinairement très clair, surtout dans les groupes oi ou ar.

Ici, — tour de force, — le sonest éteint ; la voix doit en effet baisser volontairement et aucune, consonne subséquente ne vient prolonger lesvibrations vocaliques Le son frêle final s'accorde ainsi avec la fragilité des dernières choses évoquées.

(Mêmeremarque pour le son - u final des vers n et 13 (1). Conclusion. Ainsi la poésie de Verlaine nous touche délicatement d'une façon complexe : 1.

Par la simplicité du sujet (choix d'un cadre « humble »), du vocabulaire (« sempiternelle », « même »...), durythme (prosaïsme voulu) ; 2.

Par son mystère : Discret, le poète laisse dans l'ombre la moitié du sujet, suscitant ainsi le merveilleux travail del'imagination, ce qui est incomparablement plus poétique que les confidences excessives parfois des Romantiques.Mystère également dans certains détails du tableau (Les roses comme avant palpitent...) ; 3.

Par la beauté de certains détails pittoresques : éclairage, effets de lumière, fleurs...

rendus dans un styleimpressionniste (Pailletant chaque fleur...) ; 4.

Par sa musique qui peint les choses (rythme des v.

4, 10 et 11 par exemple ; longueur de l'expression « sa plaintesempiternelle...

») et les sentiments de l'âme (intonations subtiles : « Rien n'a changé...

comme avant » ; lesdernières rimes...) Ces divers éléments forment un ensemble ondoyant, artistement fondu, les vers réguliers jouant sur les vers quirasent la prose, de belles notations pittoresques jouant sur un fond plus « humble », des détails vaguement. »

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