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Vocation sociale des jeux.

Publié le 26/04/2011

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   Le jeu n'est pas seulement distraction individuelle. Peut-être même l'est-il beaucoup plus rarement qu'on ne pense. Certes, il existe nombre de jeux, notamment de jeux d'adresse, où se manifeste une habileté toute personnelle et où il ne saurait surprendre qu'on jouât seul. Mais les jeux d'adresse apparaissent vite comme des jeux de compétition dans l'adresse. Il en est une preuve évidente. Si individuel qu'on imagine le maniement de l'engin avec lequel on joue : cerf-volant, toupie, yoyo, diabolo, bilboquet ou cerceau, on se lasserait vite de s'en amuser, s'il n'y avait ni concurrents ni spectateurs, au moins virtuels. Un élément de rivalité apparaît dans ces divers exercices, et chacun cherche à éblouir des rivaux, peut-être invisibles ou absents, en accomplissant des prouesses inédites, en enchérissant sur la difficulté, en établissant de précaires records de durée, de vitesse, de précision, de hauteur, tirant gloire, en un mot, ne fût-ce que par devers soi, de n'importe quelle performance difficile à égaler. D'une façon générale, le possesseur d'une toupie ne se divertit guère au milieu de fervents du bilboquet, ni l'amateur de cerf-volant parmi un groupe occupé à jouer au cerceau. Les propriétaires de mêmes jouets se réunissent dans un endroit consacré par la coutume ou simplement commode : là, ils mesurent leur savoir-faire. Tel est souvent l'essentiel de leur plaisir.    La tendance à la compétition ne reste pas longtemps implicite et spontanée. Elle aboutit à préciser un règlement, adopté d'un commun accord. La Suisse connaît ainsi des concours de cerfs-volants en bonne et due forme. L'appareil qui vole le plus haut est proclamé vainqueur. En Orient, la lutte revêt l'aspect d'un tournoi caractérisé : la ficelle de l'engin, sur une certaine distance à partir de la voilure, est enduite de poix, où sont fichés des morceaux de verre aux arêtes coupantes. Il s'agit de trancher en la croisant en virtuose la corde des autres planeurs : compétition accusée, issue d'une récréation qui ne paraît pas s'y prêter en principe.    Un autre exemple frappant du passage d'un divertissement solitaire à un plaisir de compétition et même de spectacle, est fourni par le bilboquet. Celui des Esquimos représente très schématiquement un animal : ours ou poisson. Il est percé de trous multiples. Le joueur doit les enfiler tous dans un ordre déterminé, le stylet bien en main. Puis il recommence la série, le stylet tenu dans l'index replié, ensuite le stylet sortant du pli du coude, puis serré entre les dents, cependant que le corps de l'instrument décrit des figures toujours plus compliquées. Chaque coup manqué oblige le joueur maladroit à passer l'engin à un rival. Celui-ci entreprend la même progression, essaie de rattraper son retard ou de prendre de l'avance. En même temps qu'il lance et rattrape le bilboquet, le joueur mime une aventure ou analyse une action. Il raconte un voyage, une chasse, un combat, il énumère les différentes phases du dépeçage de la proie, opération qui est le monopole des femmes. [...]    A ce stade, le jeu d'adresse est évidemment phénomène de culture : support de communion et d'allégresse collective dans le froid et la longue obscurité de la nuit arctique. Ce cas extrême n'est pas exception. Mais il présente l'avantage de suggérer à quel point le jeu le plus individuel de nature ou de destination se prête aisément à toutes sortes de développements et enrichissements qui, le cas échéant, ne sont pas loin d'en faire une manière d'institution. On dirait qu'il manque quelque chose à l'activité de jeu, quand elle est réduite à un simple exercice solitaire.    Les jeux ne trouvent généralement leur plénitude qu'au moment où ils suscitent une résonance complice. Même quand, en principe, les joueurs pourraient sans inconvénient s'y adonner à l'écart chacun de son côté, les jeux deviennent vite prétextes à concours ou à spectacles, comme on vient de le constater pour le cerf-volant ou le bilboquet. La plupart d'entre eux, en effet, apparaissent demande et réponse, défi et riposte, provocation et contagion, effervescence ou tension partagée. Ils ont besoin de présences attentives et sympathiques. Il est vraisemblable qu'aucune des catégories de jeux n'échappe à cette loi. Même les jeux de hasard semblent avoir plus d'attrait dans la foule, sinon dans la cohue. Rien n'empêche les joueurs de passer leurs paris par téléphone ou de risquer leurs mises confortablement, chez l'un d'entre eux, dans un salon discret. Mais non, ils préfèrent être là, pressés par l'affluence qui encombre l'hippodrome ou le casino, tant leur plaisir et leur excitation se trouvent accrus par le frisson fraternel d'une multitude d'inconnus.    De même, il est pénible de se trouver seul dans une salle de spectacle, même au cinéma, malgré l'absence d'acteurs exposés à souffrir d'un tel vide. Il est clair, d'autre part, qu'on se déguise ou qu'on se masque pour les autres. Enfin, les jeux de vertige sont logés à la même enseigne : la balançoire, le manège, le toboggan requièrent de leur côté une effervescence, une fièvre collectives, qui soutiennent et encouragent la griserie qu'ils procurent.    Roger Caillois, Les Jeux et les Hommes, 1967.    Vous ferez d'abord de ce texte, à votre gré, un résumé (en suivant le fil du texte) ou une analyse (en reconstituant la structure logique de la pensée, c'est-à-dire en mettant en relief l'idée principale et les rapports qu'entretiennent avec elle les idées secondaires).    Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé(e). Vous en préciserez les éléments et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée, étayée sur des faits et menant à une conclusion.   

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