Vous écrirez un dialogue entre un interlocuteur qui pense que la poésie permet d'exprimer une expérience personnelle et un autre qui, au contraire, la critique, en l'accusant d'être un travestissement, voire une trahison, de cette expérience.
Publié le 04/05/2011
Extrait du document
Pierre de Ronsard est mort. Nous sommes dans une des salles du Louvre ; toute la cour est rassemblée. Hormis quelques dames assisses, tout le monde se tient debout et marche en causant. C'est un tableau plein d'éclat, de vivacité, de magnificence : les robes de soie et de brocard se froissent, les épées se heurtent, les regards tendres et haineux se croisent, on échange toutes sortes de rendez-vous de combat ou d'amour ; c'est une cohue étourdissante, un tourbillon splendide et diapré, une bigarrure prodigieuse. Toutes les corolles du gotha compose cette fleur fanée et décadente qui tombera par inanition de raison. Passe en parlant de graves affaires d'Etat et en s'arrêtant souvent en face de son locuteur comme pour donner plus de poids à sa conversation, le vieux Gondurion de Vassepailles, à qui le roi vient de donner la charge de connétable, vacante depuis la disgrâce du dernier.
«
défigurée, condamné à tourner dans une cage de vers.
La respiration individuelle de la vie et spontanée s'effacentderrière le seul poème.
Je rajouterais même que le mot seul poésie dont les racines signifient faire, fabriquer révèlentle caractère artificielle de l'écriture qui n'est qu'une fade mimesis devant le souffle de la vie.
Le poème avant mêmede s'inscrire sur la page blanche transporte ce sentiment de fruit blet, renflé, dépravé et durillonné, dont le stylepoétique pourrit la valeur de l'expérience.
Une sourde clameur nait de la foule.
Des murmures sans nom circulent et par circonlocution, la compromission deGondurion à l'égard du roi est déjà scellée.
- Oh, là, du calme ! Laissez-moi mettre un peu d'ordre dans le raout de la pensée de cette insanité horripilante.- Vous, engeance de mes rêves, vous vous sentez capables d'être le porte-parole de ce bastringue.
Ne serait-ceune gageure ?- Oui est la tâche est grande.- Commencez, je vous laisse la main.- A première vue, vous ne connaissez rien à la poésie et considérez l'écriture de l'expérience personnelle commequelque chose de profane et corruptrice.
La poésie est pourtant le meilleur moyen de l'exprimer comme aucun genrene peut le faire.- Gambit ! Mais continuez…- Les procédés stylistiques permettent…- Stop ! Je vous arrête tout de suite.
Vous ne seriez pas en train de parler des contraintes poétiques, celles quiexacerbent la transformation de l'expérience plus que l'écriture ?- Si.
Vous me voyiez l'amabilité de vous faire un cours.
Je suis un poète.
J'ai éprouvé un ensemble de sensations,d'impression, un complexe de fluctuations d'esprit suite à une expérience individuelle.
Tiens, prenons la rencontred'une femme comme exemple.- La belle affaire !- Cette émotion est violente.
Mon texte existe déjà, je sais quel est mon émotion.
Tout mon travail de poète vaconsister à rendre compte de la force de ce bouleversement.
Il faut donc que je l'écrive.- Non, s'il vous plait.- Avant de commencer.
Je me mets en condition : la poésie est plus que le « mimesis » d'Aristote, c'est la « utpictura poesis » d'Horace.- L'animadversion m'envahit, vous cherchez l'avanie.- Au même titre que la pierre ou le métal sont le matériau de la sculpture, les couleurs celui de la peinture, les sonscelui de la musique, la langue va être le matériau de mon poème.
Non seulement comme un moyen decommunication, mes outils linguistiques sont ma matière.
J'ai mon expérience personnelle.
Le travail du poète ne vapas constituer seulement à décrire, la rapporter ou l'expliquer ce dont votre vision s'arrête là.- Je bisque mais vous avez toujours la main.- Mon travail, c'est traduire l'émotion que suscite l'expérience personnelle.
Le poète ne disparaît pas derrière unrécit objectif ou subjectif, ni derrière un dialogue entre des personnages, le poète parle en son nom.
L'émotiondevant les choses entre dans la voix de celui qui écrit et met en mouvement le sens du poème.
Les imagess'exposent à lui impulsivement, tyranniquement.
L'homme devient soluble dans sa pensée.
Les analogies se dévoilentdans cette ascension comme les seuls points d'accroche de l'esprit.
Notre pensée dans la réalité souveraine de cesimages se persuade.
Elles flattent sa raison, élargissent ses connaissances, prolongent son expérience personnelle.Il se rend compte de l'amplitude et de l'ampleur de sa pensée dans lequel ses émotions fourmillent.
Les paradoxes etcontradictions, le pour et le contre s'affrontent.
Le poète s'en va battu par les flots des images.
C'est la seulemanière qu'il ait de faire tourner à son avantage l'évènement dont il est chargé.
Comme vous le disiez, pourreprésenter le son et l'image, il faut réussir autre chose que simplement nommer l'objet que l'on veut voir, car lenommer, c'est remplacer sa réalité par un mot.
Il faut pouvoir donner à voir, à écouter, à ressentir.
La métaphore,interprétation de la réalité, affirme une ressemblance, créé deux mondes différents.
Propres aux poètes, consacrentl'individualité de son expérience.
Elle fait image, elle donne à voir, elle propose une vision du monde La métonymieglisse sur la réalité, sans la quitter, elle tourne autour d'elle, cherche le bon angle, le bon cadrage, s'éloigne de lamanière convenue de la regarder, elle dégage le détail précis auquel le regard puisse s'accrocher.
Le rythme desvers, les rimes, les hiatus, les assonances et les allitérations recréent le son des sensations.
L'architecture desstrophes le mouvement des sentiments.
Les antithèses, les chiasmes qui récrée l'écheveau, la complexité despensées qui animent le poète.
Tenez, prenez le sonnet de Ronsard, ne sentez-vous pas le « de » comme un échodans le vide de la mort ? L'euphonie et le macabre ne vous procure-t-elle une saveur odoriférante à votre nez,l'odeur de la mort, froide et délétère ? Le langage poétique ne détruit pas l'expérience personnelle, mais aucontraire, la fait exister.
Les figures de style ne sont pas un simple ornement mais l'instrument d'une configurationde l'expérience humaine.- Et la ponctuation ? Ne s'oppose-t-elle pas à la continuité absolue de la coulée de l'expérience que nous vomissons?- Certes, pas.
Je vois en icelle un moyen aussi nécessaire que la distribution des n½uds sur une corde vibrante.L'amour, le temps, la nature, la mort, l'enchantement et la fugitivité de la beauté, le goût des crépuscules, desautomnes ou des rivages cessent d'être immobiles par le poème.
Le langage poétique n'exclut aucun des sens del'émotion mais les superpose par ses figures.
Les mots sont déracinés, la poésie détourne le langage de soninstrumentalité.
Les formes stylistiques et les solutions esthétiques font résonner la vivacité du monde vivant.
Lepoème est véritablement le traducteur de l'expérience personnelle en écriture.
La lecture n'est plus qu'un effort poureffacer le poème lui-même pour faire apparaître derrière lui le réel qu'il est censé traduire.- C'est contestable, vous le savez, mais vous vous êtes plutôt bien défendu.
Vous oubliez par ailleurs…- Attendez, je n'ai pas fini.
Comment-savez que l'homme vit des expériences personnelles ?.
»
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