Devoir de Philosophie

L'apologue

Publié le 30/10/2014

Extrait du document

apologue
L’apologue, bref récit imagé illustrant une morale, est pratiqué par de nombreux auteurs soucieux de convaincre leurs lecteurs en recourant à cette forme littéraire plaisante et efficace. La Fontaine y voit par exemple le moyen d’instruire sans lasser : « Une morale nue apporte de l‘ennui ; le conte fait passer le précepte avec lui », de même que Charles Perrault, qui prétend illustrer une morale à l’aide de ses contes, des « bagatelles » certes, mais qui selon lui « renferment une morale utile ». C’est donc surtout parce qu’il joint l’utile à l’agréable que l’apologue paraît efficace à ces auteurs classiques, pour lesquels il est impensable de distraire sans instruire, et l’on peut se demander s’il ne serait pas, en effet, une des formes d’argumentation les plus efficaces qui soient, en raison de sa clarté, et de sa brièveté. Mais cela doit être nuancé : parce que la morale est cachée sous le récit, l’apologue court cependant le risque de manquer son objectif, et d’obscurcir son propos. A ce défaut possible, s’ajoutent d’autres faiblesses qui apparaissent quand on le compare aux autres genres argumentatifs comme le traité, l’essai, ou le dialogue. Nous verrons ainsi en première partie les qualités de l’apologue, qui font de lui une forme d’argumentation particulièrement efficace, puis nous montrerons en seconde partie qu’il court cependant le risque d’être ambigu. Enfin dans une troisième partie nous le comparerons aux autres genres argumentatifs.   *** L’apologue peut être une forme d’argumentation efficace en raison de ses qualités intrinsèques : c’est en effet un genre plaisant, qui articule une morale à un récit vivant, bref et clair. L’apologue nécessite d’abord que le récit enrobant la morale soit aussi plaisant que possible. C’est pourquoi ce genre est volontiers humoristique ou ironique. Amuser le public permet de préparer celui- ci à accepter la morale du récit. Les fables de la Fontaine recourent fréquemment à l’humour, ainsi dans l’Ours et l’Amateur des jardins, un ours voyant son ami jardinier endormi assailli par des mouches décide de l’aider en se saisissant d’une grosse pierre, qui tue les mouches ...et le dormeur, illustrant plaisamment la morale du conteur : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ». La satire, qui dénonce les défauts des hommes et les abus auxquels leur condition les conduit, contribue elle aussi à rendre l’apologue humoristique. Chez la Fontaine, c’est le milieu hypocrite et injuste de la cour qui fournit bien souvent la cible de la satire, comme le montre la fable Les Obsèques de la lionne, qui met en scène le succès que l’on rencontre en mentant devant les rois. Les animaux malades de la peste dénonce de même les « jugements de cour », capables de condamner l’innocent au mépris de toute équité.   Mais l’apologue ne tire pas seulement sa force de sa drôlerie : celle-ci est fréquente, mais n’est pas essentielle à ce genre. Son pouvoir de persuasion lui vient tout autant de sa clarté. En effet, le récit bref ne souffre pas de grandes complexités : le nombre de personnages est souvent restreint, et l’intrigue offre le minimum de prolongements et de rebondissements : ainsi de la fable du Corbeau et du Renard, qui se contente de 2 personnages et dont la péripétie conduit à une simple inversion des positions, entre celui qui possède le fromage et celui qui ne le possède pas. C’est la parole du renard qui a opéré ce renversement, illustrant bien sûr le pouvoir de la flatterie. Dans le Loup et l’agneau, même chose : deux personnages antagonistes prennent la parole avant que le premier ne dévore le second. Encore le dialogue qui précède l’action est-il artificiel, le loup n’ayant au fond guère besoin de raisons pour dévorer sa proie naturelle, l’agneau. C’est bien une parodie de procès qui a eu lieu, pour montrer que la justice est illusoire et que seule y triomphe « la raison du plus fort ».   Drôle parfois, bref et clair toujours, l’apologue est de plus un genre argumentatif concret, qui met en situation la morale et se préserve donc d’une trop grande abstraction. Il peut ainsi prétendre à une audience universelle . Cette qualité explique par exemple le choix de genres enfantins comme la fable pour La Fontaine, ou le conte pour Perrault, et le succès de ces auteurs face à un jeune public. Le conte de Perrault, le petit Chaperon rouge, met ainsi en scène de la manière la plus concrète qui soit l’avertissement bien souvent donné aux jeunes filles par leurs parents, de ne pas faire confiance aux inconnus :       On voit ici que de jeunes enfants, Surtout de jeunes filles Belles, bien faites, et gentilles, Font très mal d’écouter toute sorte de gens, Et que ce n’est pas chose étrange,   S’il en est tant que le Loup mange.   Quand le petit Chaperon rouge se déshabille et rejoint le loup dans le lit, et que le loup lui dit que ses grands bras sont faits pour mieux l'embrasser, la tentative de séduction est évidente. Le conte présente ainsi les conséquences concrètes de la désobéissance afin de mieux inciter les jeunes filles à la prudence que par un conseil abstrait. On voit ainsi que l’apologue peut enseigner une véritable sagesse, et proposer non seulement des conseils mais des maximes de conduite accessibles à tous. Les valeurs proposées par La Fontaine sont ainsi d’ordre épicurien, comme dans le Héron et la Fille par exemple, qui nous invitent à jouir des biens de ce monde au moment où ils se présentent, avant qu’ils ne nous fassent défaut. Jésus lui-même dans les Evangiles, recourt volontiers aux paraboles, afin de transmettre des valeurs universelles et accessible à tout public. La parabole du fils prodigue dans l’Evangile selon St Luc donne ainsi un exemple clair des vertus du pardon que tout chrétien est appelé à pratiquer. L’allégorie de la caverne, développée par Platon dans la République livre VII, délivre une vérité philosophique à prétention elle aussi universelle : le monde n’est qu’un théâtre d’ombres dont se désintéressent ceux qui ont aperçu le soleil de la vraie justice, du vrai Bien.       [transition ] Drôle, simple et concret, d’un côté, capable d’enseigner des valeurs universelles de l’autre, l’apologue a donc toutes les qualités pour séduire le public le plus large. Cependant, l’articulation du récit à la morale y est délicate, et là réside sans doute son point faible : que cette articulation manque de perfection, et le texte devient obscur.   En effet l’apologue recourt au fond à une vérité cachée (au moins provisoirement) que le lecteur doit découvrir. La morale n’en est pas nécessairement explicite, elle peut être diffuse dans le récit, ou être séparée de ce dernier, demandant alors au lecteur de chercher le lien de l’une à l’autre. Ainsi, le texte de Baudelaire, le Joujou du pauvre, paru dans le spleen de Paris, ne présente pas de morale explicite. C’est au lecteur de conclure que malgré les « barreaux » qui séparent l’enfant riche et l’enfant pauvre, tous deux parviennent à une forme d’égalité dans le jeu, l’enfant riche se montrant fasciné par le jouet de l’enfant pauvre, un rat vivant. Il peut arriver que la morale paraisse en décalage avec le récit, comme Marmontel croit l’observer parfois chez La Fontaine : La Fontaine s'est plus négligé que lui [La Motte] sur le choix de la moralité. il semble quelquefois la chercher après avoir composé sa fable, soit qu'il affecte cette incertitude pour cacher jusqu'au bout le dessein qu'il avait d'instruire ; soit qu'en effet il se soit livré d'abord à l'attrait d'un tableau favorable à peindre, bien sûr que d'un sujet moral, il est facile de tirer une réflexion morale. Cependant sa conclusion n'est pas toujours également heureuse ; le plus souvent profonde, lumineuse, intéressante, et amenée par un chemin de fleurs, mais quelquefois aussi commune, fausse ou mal déduite.   Il peut encore arriver que la fable ne soit pas correctement décodée par le lecteur. Ainsi la fable de Jean Anouilh le Chêne et le roseau, parodie celle de la Fontaine, qu’il faut connaître pour déceler l’ironie de la réécriture. Anouilh montre surtout comment une même histoire peut finalement illustrer deux morales différentes : là où La Fontaine fait l’éloge de l’humble roseau, à qui son habileté permet de résister à la tempête quand le chêne orgueilleux est déraciné, Anouilh inverse la situation : c’est désormais le roseau qui est arrogant, tirant vanité de sa survie par temps d’orage. Le chêne est de nouveau déraciné mais c’est sa grandeur, son héroïsme face à la mort qui en sont magnifiées, tandis que la survie mesquine du roseau évoque la soumission lâche des hommes, et fait penser par exemple à la collaboration pendant la 2nde guerre mondiale. Dans le Loup, la Louve et les louveteaux, les derniers vers sont allusifs : « Pour Monsieur Lazareff, Rien à mettre à la une Dans son journal ». Il faut chercher ailleurs la vraie leçon, dans le corps même du récit, qui met en parallèle la cruauté des hommes et celle des loups.   [Transition] Ainsi l’apologue, en raison de sa structure allégorique et du décodage dont il doit faire l’objet, se révèle moins simple et parfois moins clair qu’il n’y paraissait. Qu’en est-il alors de sa supériorité sur les autres genres argumentatifs ?       Malgré ses avantages, l’apologue n’est pas nécessairement la forme d’argumentation la plus claire et la plus efficace. Tout dépend en réalité de la teneur de la vérité dont on souhaite instruire le lecteur. L’apologue ne peut démontrer n’importe quoi, et certaines vérités trouveront mieux à s’exprimer dans d’autres genres argumentatifs comme le dialogue, le traité ou l’essai.   Le dialogue permet en effet d’opposer deux points de vue distincts, ce que l’apologue fait plus difficilement, et conserve un caractère vivant grâce à l’incarnation par des personnages de ces points de vue. Ainsi dans le Misanthrope, Molière oppose Alceste, qui condamne toute forme d’hypocrisie dans les rapports humains, et Philinte, qui se fait le défenseur des convenances, de la politesse et de la mondanité. Il est aisé de constater que le discours d’Alceste est véhément, et que c’est un discours d’intolérance, face auquel celui de Philinte paraît plus mesuré. L’ami et l’ennemi du genre humain s’affrontent ainsi dès le début d’une pièce qui permet à cette opposition de se nuancer, et de progresser. De même dans les Femmes savantes, les femmes de la maison ne veulent d’autres loisirs qu’intellectuels, et le mari, Chrysale, essaie de faire valoir les besoins du corps. Mais la pièce permet là encore de nuancer cette opposition trop frontale, et propose à travers le couple central d’Henriette et Clitandre un modèle d’équilibre entre besoins du corps et besoins de l’esprit. On sait enfin l’usage que fait Socrate du dialogue pour mener ses interlocuteurs à la vérité, en les poussant peu à peu à reconnaître la fausseté de ce qu’ils tenaient pour vrai. Socrate joue ainsi dans les dialogues de Platon un rôle maïeutique : il permet à ses interlocuteurs d’accoucher de la vérité qu’ils portent en eux. Dans ce cas, la participation du lecteur, qui souscrit d’abord aux thèses fausses, est tout aussi active que dans l’apologue. Ainsi le dialogue permet de confronter des points de vue opposés ou divergents qu’une progression permet en général de concilier, tandis que l’apologue n’illustre comme la maxime qu’une vérité statique et monologique.   Le traité et l’essai ont quant à eux pour point commun de permettre le développement d’une argumentation longue, complexe et parfois abstraite, dont l’apologue serait bien incapable. Bien qu’ils puissent paraître plus ennuyeux, ces genres traitent un sujet de façon beaucoup plus approfondie. Le traité de manière canonique et rigoureuse, l’essai de manière plus subjective et selon une méthodologie plus libre, recourent à une argumentation qui peut sembler infiniment plus rigoureuse et convaincante que l’apologue, qui ne repose en dernière analyse que sur un raisonnement analogique, sur une comparaison entre récit et morale. L’essai tel que le pratique à sa manière Montaigne ne recourt pas seulement aux récits, mais également aux citations. Ces ajouts se trouvent parfois en contradiction les uns avec les autres, Montaigne n’hésitant pas parfois à produire des anecdotes ou des raisonnements opposés. Ainsi au chapitre I,1, il montre que « par divers moyens on arrive à pareilles fins », et qu’un général vainqueur peut se laisser émouvoir aussi bien par les supplications pathétiques que par le courage héroïque de ses ennemis, et leur faire grâce. Il s’agit pour lui d’épouser la complexité du réel, défini comme mouvant et instable, et justifiant le choix d’un genre peu ou pas codifié, celui de l‘essai, qu’il invente pour l’occasion, et d’une langue elle aussi instable à son époque : le français. Là encore, l’apologue, genre simplificateur, serait bien en peine de rendre compte d’une vérité si fuyante et si variable.   ***   Ainsi les indéniables qualités de l’apologue que sont sa clarté, son caractère concret et universel, ne doivent pas faire oublier l’effort d’interprétation qu’il exige de son lecteur, ni les limites qu’il impose au discours par sa brièveté, son monologisme, et par la fixité de sa morale.
apologue

« les mouches ...et le dormeur, illustrant plaisamment la morale du conteur : « Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ».

La satire, qui dénonce les défauts des hommes et les abus auxquels leur condition les conduit, contribue elle aussi à rendre l'apologue humoristique.

Chez la Fontaine, c'est le milieu hypocrite et injuste de la cour qui fournit bien souvent la cible de la satire, comme le montre la fable Les Obsèques de la lionne, qui met en scène le succès que l'on rencontre en mentant devant les rois.

Les animaux malades de la peste dénonce de même les « jugements de cour », capables de condamner l'innocent au mépris de toute équité.   Mais l'apologue ne tire pas seulement sa force de sa drôlerie : celle-ci est fréquente, mais n'est pas essentielle à ce genre.

Son pouvoir de persuasion lui vient tout autant de sa clarté.

En effet, le récit bref ne souffre pas de grandes complexités : le nombre de personnages est souvent restreint, et l'intrigue offre le minimum de prolongements et de rebondissements : ainsi de la fable du Corbeau et du Renard, qui se contente de 2 personnages et dont la péripétie conduit à une simple inversion des positions, entre celui qui possède le fromage et celui qui ne le possède pas.

C'est la parole du renard qui a opéré ce renversement, illustrant bien sûr le pouvoir de la flatterie.

Dans le Loup et l'agneau, même chose : deux personnages antagonistes prennent la parole avant que le premier ne dévore le second.

Encore le dialogue qui précède l'action est-il artificiel, le loup n'ayant au fond guère besoin de raisons pour dévorer sa proie naturelle, l'agneau.

C'est bien une parodie de procès qui a eu lieu, pour montrer que la justice est illusoire et que seule y triomphe « la raison du plus fort ».   Drôle parfois, bref et clair toujours, l'apologue est de plus un genre argumentatif concret, qui met en situation la morale et se préserve donc d'une trop grande abstraction.

Il peut ainsi prétendre à une audience universelle .

Cette qualité explique par exemple le choix de genres enfantins comme la fable pour La Fontaine, ou le conte pour Perrault, et le succès de ces auteurs face à un jeune public.

Le conte de Perrault, le petit Chaperon rouge, met ainsi en scène de la manière la plus concrète qui soit l'avertissement bien souvent donné aux jeunes filles par leurs parents, de ne pas faire confiance aux inconnus :  . »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles