Devoir de Philosophie

Fiche de lecture de Bel Ami de Maupassant

Publié le 22/10/2016

Extrait du document

lecture
Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Université Paris IX Dauphine Master 2 Comptabilité, Management, Audit Séminaire : Philosophie, éthique, comptabilité, contrôle Responsable : Yvon Pesqueux Fiche de Lecture : Bel-Ami, de G. de Maupassant Bel-Ami, G. de Maupassant, Ed. Livre de Poche, 1983, n°619 1 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Table des matières L’auteur : Guy de Maupassant (1850-1893) .............................................................................. 3 Postulats ..................................................................................................................................... 5 Résumé ....................................................................................................................................... 9 Discussion critique ................................................................................................................... 12 Bibliographie complémentaire ................................................................................................. 19 2 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 L’auteur : Guy de Maupassant (1850-1893) Après une enfance libre et heureuse en Normandie, il assista à la débâcle de 1870, puis accepta un emploi de fonctionnaire à Paris. Le jeune Maupassant passa dix années comme commis d’abord au Ministère de la Marine puis au Ministère de l’Instruction Publique où il fut transféré en 1878. Parallèlement à une vie sportive et joyeuse (canotage sur la Seine le week end et pendant les vacances en galante compagnie), il fit son « apprentissage » littéraire sous la direction de Flaubert, ami de la famille, qui lui imposa les exigences de l’esthétique réaliste et lui fit connaître Huysmans, Daudet, Zola, Tourgueniev. Il fournit des articles à d’importants journaux de son temps comme Le Figaro, Gil Blas, Le Gaulois et L’Écho de Paris, tout en persévérant dans l’écriture de romans et de nouvelles. Boule de suif (1880), une des nouvelles du recueil collectif des écrivains naturalistes Les Soirées de Médan, détermina sa vocation de conteur et lui assura le succès. Vivant désormais de ses livres, il écrivit quelques trois cents nouvelles en dix ans, publiées dans les journaux puis dans des recueils dont les principaux sont La Maison Tellier (1881), Les Contes de la bécasse (1883), Les Sœurs Rondoli (1884), Les Contes du jour et de la nuit (1885), La Main gauche (1889) et L’Inutile Beauté (1890). Evoquant tour à tour la Normandie, la guerre de 1870, le cynisme des milieux parisiens, ces contes reflètent tous les tons, de la sobriété la plus classique au comique le plus scabreux en passant par le réalisme ou le fantastique. Etre débordant de sensuelle vitalité, souvent fêté (comme son personnage Bel-Ami), voyageant sur son yacht personnel, 3 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 nommé Bel-Ami aussi en référence à son roman de 1885, la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Afrique du Nord, il fut progressivement assombri par des troubles nerveux et la hantise de la mort. L’évolution de la maladie est perceptible dans ses six romans, de Une Vie (1883) à Fort comme la mort (1889). Aux hallucinations (Le Horla, 1887) succéda le délire, et il mourut après 18 mois d’internement. Sa personnalité tant puissante qu’inquiète et sombre transparaît dans ses œuvres. Qu’il parle le savoureux patois normand de ses paysans ou décrive la montée de l’angoisse, Maupassant est bien le maître de la nouvelle. Il a appris à l’école de Flaubert à rechercher « la réalité choisie et expressive ». S’écartant de l’esthétique naturaliste, il veut donner de la vie « une vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même » (Préface de Pierre et Jean, 1888) ; d’où un style savamment simple, des notations brèves et aiguës sur le décor et sur les personnages. 4 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Postulats Appartenance littéraire de l’œuvre Maupassant se situe entre le courant réaliste et le courant naturaliste. Il se méfie des étiquettes et des écoles, c’est pour cela qu’il est difficile de le classer absolument dans l’un ou l’autre de ces courants littéraires. Le réalisme (1850-1865) s’est développé contre le romantisme. Les membres de ce courant refusent l’idéalisme, recherchent la modernité et préconisent l’objectivité. Représentants : Stendhal, Balzac, Flaubert. Le naturalisme (1865-1893) se situe dans le prolongement du réalisme,mais il manifeste une ambition scientifique et une volonté expérimentale, exprimant le tempérament du personnage et visant les manifestations de l’hérédité. Représentants : Frères Goncourt, Zola. Bel-Ami se rapproche davantage du courant naturaliste par la description sobre des faits et des gestes en même temps qu’une observation politique, sociale et morale minutieuse, une réalité sordide, et une absence d’explication psychologique (cette dernière caractéristique est expliquée par Maupassant considérant que dans la réalité cette psychologie est cachée et qu’il faut être au plus près du réel). De plus, le caractère naturaliste du roman transparaît dans le fait que le destin du héros est en grande partie conditionné par son tempérament et ses origines sociales. Enfin, Bel-Ami est un roman à la fois classique et moderne, classique dans sa facture et son organisation, moderne dans son accent et ses résonances. Contexte historique du roman Dans le courant de sa vie, Maupassant a connu trois régimes politiques différents : tout d’abord, la IIème République qui n’a duré que 4 ans (1848-1852), ensuite le Second Empire inauguré par le coup d’Etat de Napoléon III en 1852 qui prit fin avec, finalement, le retour de la république avec la IIIème République (1870-1940). Le contexte politique du roman Bel-Ami est celui du régime de la IIIème République (18701940), première République à s’inscrire dans la durée depuis 1789, elle a été marquée par de nombreux événements : - La guerre franco-prussienne de 1870-1871 : ce conflit opposa la France et les états d'Allemagne sous la domination de la Prusse. Elle fut courte, à peine six mois, de la 5 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 mi-juillet 1870 jusqu'à la fin janvier 1871. La période impériale de la guerre d'une durée d'un mois et demi environ vit la perte de l'Alsace, l'invasion de la Lorraine, et le siège de la ville de Metz. La désastreuse bataille de Sedan, tournant de la guerre, amena la chute de l'empire et la proclamation de la République. - La Commune (18 mars-28 mai 1871) : révolte populaire contre le gouvernement issu de l’Assemblée Nationale qui venait d’être élu au suffrage universel. La révolte fut réprimée dans le sang. - Adolphe Thiers : deuxième président de la République en France, il commande l’assaut militaire contre les révoltés de la Commune. Il aura du mal à concilier les aspirations républicaines et monarchistes. - Jules Ferry (1879-1885) : il met en place l’école primaire publique et obligatoire (1881-1882), la liberté de la presse (1881), la légalisation des syndicats (1884) et mène une politique colonialiste très offensive. - Le boulangisme : en 1889, Clemenceau fait entrer sur la scène politique un général fort populaire, Georges Boulanger. Ce dernier finira par décevoir à cause d’idées radicales et dangereuses pour la République. - L’expansion coloniale, le second empire colonial français : la présence française va progresser en Tunisie, au Congo, dans le Sud-Algérien, en Afrique occidentale, à Madagascar, en Indochine et à Tahiti. - L’alliance franco-russe : il s’agit d’un accord de coopération militaire entre la France et la Russie qui fut en vigueur de 1892 à 1917, pour faire front commun contre la Triple Alliance (Empire allemand, Autriche-Hongrie, Royaume d’Italie). - L’affaire Dreyfus (1894-1906) : elle a pour origine une erreur judiciaire, sur fonds d’espionnage et d’antisémitisme. Le capitaine Alfred Dreyfus est accusé d’avoir livré des plans secrets aux Allemands, il est condamné et envoyé au bagne. Il reçoit le soutien de Zola à travers son fameux article « J’Accuse » en 1898. Mais son innocence ne sera officiellement établie qu’en 1906. - Séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 : L’Eglise devient totalement indépendante de l’Etat et doit désormais subvenir à ses besoins financiers. - Première guerre mondiale en 1914. - Crise de 1929. Dans le roman, Maupassant mentionne à de nombreuses reprises l’« affaire du Maroc » (p.120, p.239, p.260, p.291) qui a permis à de nombreux hommes influents du journalisme et 6 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 de la politique de faire fortune. Cette affaire fait en réalité référence à l’« affaire de la dette tunisienne ». Celle-ci débute en 1879 lorsque les obligations de la dette contractée par la Tunisie envers la France sont en baisse car la France semble se désintéresser de la Tunisie. Des épargnants vendent donc leurs titres à bas prix à des souscripteurs mieux avisés. Jules Ferry, prenant prétexte d’exactions commises par les Kroumirs sur la frontière algérienne, ordonne l’invasion du territoire tunisien. La Tunisie est alors sous protectorat et sa dette est garantie par l’Etat français. Les obligations remontent d’un seul coup au-dessus du pair, faisant la fortune des mieux renseignés donc des mieux placés dans la société. Contexte de parution du roman Bel-Ami a été publié en feuilleton dans Gil Blas entre le 6 avril et le 30 mai 1885. Les réactions des critiques furent vives et partagées. Maupassant était en voyage en Italie lors de la publication et prit connaissance des critiques avec retard. Il adressa une réponse au rédacteur en chef de Gil Blas qui fut publiée dans le journal le 7 juin 1885. Néanmoins, Bel-Ami rencontra le succès auprès du public : 27 éditions furent épuisées en quatre mois. Cet engouement est dû en partie au genre auquel il est rattaché, le naturalisme, très en vogue à cette époque. Les lecteurs étaient également avides de connaître les accusations portées par Maupassant au monde du journalisme, et de comprendre ce qui faisait polémique. Contexte d’écriture : Maupassant se laisse deviner derrière la fiction Maupassant dira en riant : « Bel-Ami, c’est moi ». Maupassant sait de quoi il parle : le roman de la presse et de l’arrivisme est un roman vécu par son auteur. Maupassant, à l’époque du roman, est un homme arrivé, il est connu et apprécié par un public de plus en plus vaste. Maupassant a, comme son héros, gravit rapidement les échelons de son métier, écrivain. C’est également le journalisme qui a permis à l’auteur de sortir de la vie médiocre (p.67). Il a connu la vie étroite du jeune provincial épris d’indépendance, puis de l’écrivain néophyte apprenant durement son métier. Bel-Ami sera le miroir où Maupassant pourra contempler les bons côtés de son ascension. 7 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Maupassant connaissait parfaitement l’univers de la presse, ayant été lui même journaliste. Il n’a donc pas besoin de faire des recherches sur ce milieu mais pour l’auteur, la fiction est le moyen le plus apte à exprimer la vérité. Maupassant connaît toutes les habitudes, tous les travers, la galerie de personnages au sein du journalisme, il y a travaillé et peut donc en parler en connaissance de cause. Lire Bel-Ami, c’est connaître Maupassant dans l’intimité de sa solitude, dans l’outrance de ses angoisses et de son pessimisme et décerner les signes d’une déchéance brutale, (Maupassant est en effet atteint de la syphilis dès 1877), c’est donc l’idée de la mort et de la violence de la société aveuglée par l’argent et l’envie qui transparaît de façon récurrente dans le roman. Maupassant laisse percevoir ses thèmes de prédilection à travers des personnages interposés : amour de la Normandie, peur de la mort, vicissitudes de Paris, angoisse de la solitude, entre autres. 8 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Résumé Le roman relate l’ascension phénoménale d’un jeune homme de vingt-cinq ans, Georges Duroy, dans le monde professionnel et social, aspirant à la conquête de Paris. Il apparaît dans une situation plutôt critique : sans le sou, affamé, il exerce un travail laborieux et sans grand avenir, néanmoins il plaît déjà aux femmes. Un soir d’été, il fait la rencontre sur le boulevard d’un ancien camarade hussard, Charles Forestier, qui a mieux réussi que lui puisqu’il a un bon poste dans le milieu du journalisme. Forestier, bon camarade, va lui en ouvrir les portes et permettre ainsi son ascension sociale en gravissant tous les échelons du métier : besognes secondaires, reporter, chef des échos, chroniqueur politique, rédacteur politique, et enfin rédacteur en chef. Plus tard, après la mort précoce de Forestier, Duroy épousera sa femme, Madeleine, qui est à l’origine des articles écrits par les deux hommes pour le journal, La vie française. Cependant, Duroy est mal à l’aise avec cette femme froide et rangée. Il entretient donc, en parallèle, des relations adultérines avec les femmes du cercle des journalistes, comme avec Mme de Marelle, une amie des Forestier, ou bien aussi la femme de son patron, Mme Walter. Cette dernière est très amoureuse de Duroy, surnommé Bel-Ami par la fille de sa maîtresse favorite, Mme de Marelle. Mais Duroy se fatigue vite de Mme Walter qui le lasse par sa naïveté. Il profite cependant d’elle pour se faire ouvrir les portes de sa demeure et rencontrer la fille du couple Walter, Suzanne qui est une agréable jeune fille, charmée elle aussi par Duroy. M. Walter, dirigeant de La Vie Française, devient millionnaire, par des transactions politiques habiles. Cela aiguise le désir de Duroy de prendre pour épouse Suzanne. Pour ce faire, il va être obligé de se débarrasser de sa femme, Madeleine Forestier. Il fait alors constater une situation d’adultère, piégeant à la fois sa femme et le ministre Laroche-Mathieu. Puis, il enlève Suzanne pour que ses parents soient placés devant le fait accompli et ne puissent qu’accepter leur mariage. Il devient alors le rédacteur en chef de La Vie Française et épouse Suzanne à l’église de La Madeleine devant un public très nombreux qui l’envie. Cet instant marque son apothéose mais il ne peut s’empêcher de laisser flotter son regard du côté de Mme de Marelle qui demeure sa favorite et du côté de l’Assemblée nationale, prochaine étape à conquérir. Les personnages importants du roman, par ordre d’apparition : 9 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Charles Forestier : ancien camarade hussard de Duroy, il lui ouvre les portes du journalisme où il s’est fait une place après son service militaire. L’homme est faible physiquement et dépend pour beaucoup de sa femme (elle lui écrit ses articles et crée des liens avec des hommes utiles pour la carrière de son mari). Il meurt au milieu du roman et Duroy reprend son rôle au sein du journal mais aussi son rôle de mari, dans son propre appartement. Jacques Rival : chroniqueur duelliste au journal, il a acquis une certaine célébrité. Il donne chez lui une réception en faveur des orphelins du sixième arrondissement de Paris où le ridicule le dispute au grotesque. Norbert de Varenne : poète du journal, il permet à Maupassant de formuler sa pensée sur l’omniprésence et la domination de la mort, rendant futile les ambitions et les désirs d’argent (p.134-138). Maupassant montre ainsi qu’il est travaillé par la hantise de la mort. Rachel : prostituée des Folies-Bergères, elle est tellement séduite par Duroy qu’elle lui offre ses services gratuitement. Avec sa partenaire blonde, elle forme le reflet de Mme de Marelle et Madeleine Forestier, elles aussi blonde et brune. Madeleine Forestier : femme de son ami Forestier, il la trouve dès le premier regard très séduisante (« taille souple », « poitrine grasse », « gentillesse », « malice »…). Madeleine est une femme ambitieuse, attirée par la puissance et l’argent. Elle écrit les articles de son mari et aidera également Duroy à produire les siens. Elle conseille à Duroy d’aller rendre visite à Mme Walter pour l’aider dans son ascension (cela porte ses fruits puisque peu de temps après, Duroy est nommé chef des Echos, p.122). Clotilde de Marelle : amie des Forestier, elle deviendra la maîtresse favorite de Duroy. Elle ne se cache pas d’avoir fait un mariage de raison où elle n’est pas heureuse. Duroy est séduit par son côté bohême. Laurine : fille de Mme de Marelle, elle donne à Duroy son surnom de Bel-Ami (p.93) qui se répandra ensuite très vite dans la communauté de connaissances, jusqu’au chef de Duroy qui l’appellera aussi ainsi, créant une certaine proximité déjà. 10 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 M. Walter : directeur du journal, il n’est pas présenté sous son meilleur aspect dans les premières lignes : « un petit gros monsieur, court et rond », la description se fait ensuite plus précise : « député, financier, homme d’argent et d’affaires ; juif et méridional ». Il étale volontiers sa réussite conquise par des manipulations financières, il est fort habile en affaires. Il reconnaît en Duroy un homme ambitieux et capable, et se résignera à lui laisser sa fille. Mme Virginie Walter : femme du directeur de la vie française, on apprend peu de choses sur elle à part qu’elle est plus grande et plus jeune que son mari et qu’elle est fille de banquier. Elle révèlera son amour éperdu pour Duroy et le servira dans son ascension. Elle ne peut supporter le mariage de sa fille avec ce dernier, s’enfermant dans le mutisme et le deuil de sa propre vie à la fin du roman. Saint-Potin : reporter à La Vie Française, il montre les ficelles du métier à Duroy. Ainsi, au lieu d’interviewer les chefs d’Etat comme Forestier le lui demande, il reprend le contenu de ses précédents articles et interroge les concierges des hôtels. (p.71-72) Laroche-Mathieu : député, rédacteur anonyme de La Vie Française, il est appelé à devenir Ministre des Affaires Etrangères mais sa carrière sera brisée par Duroy. Il entretient une liaison avec Madeleine, qui servira de cause au divorce de Duroy d’avec cette dernière et de la chute du député. Suzanne Walter : fille des Walter, elle attire l’œil de Duroy par sa fraîcheur et ils deviennent de proches amis, de telle sorte qu’elle lui fait confiance et accepte de l’épouser contre l’avis de ses parents. Les parents de Duroy : paysans normands, ils ne sont pas contents du mariage de leur fils avec Madeleine. Ce sont les seules personnes dont Duroy parle avec respect. 11 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Discussion critique Symbolique du roman L’incipit du roman (p.15-16) constitue un début programmatique. Alors que nous faisons la connaissance du personnage principal, de nombreux détails de la suite du roman nous sont annoncés. On y trouve de les principaux thèmes de l’œuvre : le portrait en mouvement de Duroy (tout au long du roman, Duroy est souvent présenté en action, pour illustrer son ambition), très en appétit (désir d’argent, ambition sociale, désir de conquêtes féminines) et très envieux des autres ; l’importance de l’argent (« il lui restait juste en poche trois francs quarante ») ; la symbolique du lieu (les environs de Notre-Dame-de-Lorette sont un haut lieu de prostitution au XIXème siècle ; Duroy commence le roman dans l’ouest parisien qu’il ne quittera pas, passant d’un immeuble miteux du 9ème arrondissement à des immeubles de plus en plus luxueux dans des rues de plus en plus majestueuses du 7ème, 8ème et 17ème arrondissements). Le roman peut être lu comme un roman de formation, ou roman initiatique. Ainsi, Duroy, peu à peu, se métamorphose au contact de la société parisienne, devenant un pur produit de cette société. Il acquiert ainsi une identité nouvelle, qui se lit notamment dans ses changements successifs de nom de famille : Duroy, puis Du Roy, et enfin Du Roy de Cantel élaboré avec Madeleine. Il symbolise la nouvelle ère et concentre à lui seul tous les vices de la jeune République : impatient, désorganisé, manipulable mais aussi attrayant, vif et déterminé. D’où son triomphe et sa reconnaissance unanime. Chacun le voit comme l’incarnation de l’homme nouveau, le fils légitime de la crapulerie et de l’arrivisme. Maupassant va jusqu’à rapprocher, très sarcastiquement, Duroy et Jésus-Christ dans une scène chez les Walter (p.309). La figure de Jésus marchant sur les flots de Marcowitch présente en effet, aux yeux de tous les spectateurs, un air de famille plus que troublant avec Bel-Ami. De même, dans les prières de Mme Walter : le nom de Georges se substitue à celui de Jésus (p.334). Dans la scène finale, à la Madeleine, Bel-Ami finit par se prendre pour une sorte de messie royal, acclamé par tous. Au-delà de l’homme nouveau, prototype représentatif de sa génération, il se veut personnage éternel. Maupassant ne se contente pas d’un récit simplement mimétique du réel, le roman abonde de métaphores, de symboles, de jeux de symétrie et d’opposition. 12 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Ainsi, les noms propres ont une vraie symbolique : Forestier est un nom de personnage déjà utilisé dans le conte La Parure, le vrai nom de Saint-Potin est Thomas, incrédule dans la Bible, cela semble s’appliquer au personnage qui a fait du mensonge une déformation professionnelle. Mais on trouve aussi une symbolique des miroirs, des escaliers, des lieux , un jeu d’opposition entre les blondes et les brunes (Mme de Marelle est brune, Madeleine Forestier est blonde, les deux prostituées des Folies-Bergères sont elles-mêmes l’une blonde, l’autre brune), les mères et les filles (Mme de Marelle et sa fille, Mme Walter et Suzanne), la ville et la campagne, les quartiers riches et les quartiers pauvres, les forts et les faibles, l’ombre et la lumière, la vie et la mort, une symétrie des chapitres (le premier et le dernier se répondent). Par ces jeux littéraires, Maupassant amène du romanesque à l’histoire de Georges Duroy, la rendant plus brillante encore. Le thème de l’amour est abordé de façon pessimiste par l’auteur, la jeunesse de Maupassant ayant été marquée par le mauvais mariage de ses parents et leur déchirement. Ainsi, dans le roman, les couples sont souvent malheureux, Maupassant ne pouvant feindre de croire à l’amour parfait. Mme Walter est effacée derrière son ogre de mari tandis que Madeleine Forestier choisit ses maris selon l’opportunité qu’ils lui offrent dans son parcours dans le journalisme et en politique, et que Mme de Marelle se moque bien de son mari et mène des relations adultères avec Duroy. Maupassant est volontiers misogyne dans son roman, se méfiant et décriant les femmes qu’il décrit comme volages. Les femmes amoureuses dans le roman, Mme Walter ou Mme de Marelle, ne seront pas aimées en retour et seront même maltraitées par le héros. L’union que propose Madeleine Forestier à Duroy est la plus proche des conceptions de Maupassant sur le couple : vivre libre et avoir la possibilité de rompre très vite toutes les chaînes. Madeleine Forestier aborde le mariage comme une union de raison où chacun doit y trouver son compte. Caractéristiques du personnage principal, emblème de son temps Duroy est un personnage à la fois séduisant et haïssable, il allie des traits de caractère donnant toute l’étoffe de son personnage. Il est bien fait de sa personne, rusé, il apprend vite et sait se sortir d’affaires, mais ces qualités n’auraient pu suffire à sa réussite. Il a fallu pour l’atteindre qu’il fasse preuve de ressources hautement plus controversées : arriviste cupide (arrivé au faîte de sa carrière journalistique, il compte sur l’argent de Suzanne pour se lancer dans la politique), tricheur sans scrupule, menteur consommé, égoïste invétéré (tout le monde doit 13 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 s’intéresser à lui, l’envier, le jalouser). Il apprend avec sa confrontation au monde du journalisme que la manipulation est un bon moyen de parvenir à ses fins et se sert de ce précepte à son compte personnel pour parvenir à divorcer de Madeleine et à épouser Suzanne. Des hommes l’aident dans son ascension sociale : Forestier lui ouvre les portes de La Vie Française, le reporter Saint-Potin lui apprend les ficelles du métier et M. Walter perçoit les qualités de Duroy et lui donne toutes ses chances. Mais ce sont surtout les femmes qui participent à sa réussite. Le parcours de Duroy illustre pleinement ce que Forestier dit des femmes au chapitre I : « C’est encore par elles qu’on arrive le plus vite ». (p.30). Dès le début, il est conscient du pouvoir qu’il exerce sur les femmes (« il savait d’ailleurs, par expérience, qu’elles éprouvaient pour lui, toutes, mondaines ou cabotines, un entraînement singulier, une sympathie instantanée et il ressentait, de ne point connaître celles dont pourrait dépendre son avenir, une impatience de cheval entravé. », p.79) et attend celle(s) qui l’aidera durablement à mener à bien ses ambitions. Le pouvoir de séduction de Duroy n’agit pas que sur les autres, le héros se plaît aussi beaucoup à lui-même, jusqu’à un certain narcissisme (« Puis il se regarda longuement, émerveillé d’être vraiment aussi joli garçon ; puis il se sourit avec complaisance ; puis, prenant congé de son image, il se salua très bas, avec cérémonie, comme on salue les grands personnages. » p.45). Il a fait de son physique l’atout majeur de sa réussite. Il se croit audessus des lois humaines, il croise de nombreuses fois la mort dans le roman (par exemple avec le duel, le monologue de Norbert de Varenne sur l’imminence de la mort, ou la mort de Forestier) mais souvent seul le parfum d’une femme parvient à le détourner de ses noires pensées. Cette prétention de Duroy à nier sa condition d’homme mortel n’est sanctionnée par aucun retour à l’ordre. La catastrophe, juste remise à niveau des prétentions humaines, à laquelle on pourrait s’attendre à la fin, n’a pas lieu, bien au contraire. Le roman s’achève sur le triomphe, en grandes pompes et avec bénédiction de l’Eglise, du baron Du Roy de Cantel. Cette triste ironie est le reflet de la vision particulièrement pessimiste que Maupassant porte sur la société. Bel-Ami est emblématique de tous les arrivistes de son temps et d’autres temps, d’ailleurs le romancier l’exprime clairement : « J’ai voulu simplement raconter la vie d’un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris » (Gil Blas, 7 juin 1885, 14 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 réponse aux critiques de Bel-Ami). Les origines de Duroy sont modestes : il est fils de paysans normands, doté de ruse. Il sait ce qu’il veut et se donne les moyens d’y parvenir sans manifester de scrupules : il veut être riche, il a soif d’aisance et de facilité. Néanmoins tout n’est pas aussi facile, il devra pendant un temps demeurer dans une rage impuissante faute de connaissances professionnelles et freiné par sa lâcheté naturelle. Critiques adressées à la société qu’il côtoie : satire radicale d’une humanité immorale et médiocre Ce qu’il dénonce du journalisme : Les principales accusations de Maupassant à l’encontre du journalisme portent sur les escroqueries (voir l’ « affaire du Maroc »), les interviews truquées (voir Saint-Potin, qui initie Duroy aux règles du journalisme, recueille le fonds de ses articles auprès des concierges et des valets), et le mélange entre argent, politique et journalisme. Ce qu’apprend Duroy dans son apprentissage du métier de journaliste, c’est de faire bon usage du mensonge et de la délation. Maupassant donne un éclairage tout particulier de l’affaire du Maroc, utilisant cette péripétie pour illustrer les manipulations et les connivences qu’exerce le monde du journalisme avec celui de la politique (p.271). Cette affaire a eu une existence presque semblable dans la réalité, Bel-Ami retrace presque trait pour trait ce qui s’est réellement déroulé et l’impact qu’elle a eu dans les journaux. Maupassant est anti-colonialiste et le laisse percevoir dans son roman, il nous fait aussi pressentir les dangers de cette politique menée par le goût des affaires. La presse est omniprésente dans le roman, elle exerce sur les personnages et sur la société qui les entoure un pouvoir immense. Maupassant nous fait ressentir la tout-puissance d’une presse qui s’achète et se vend. Le journal vit et prospère de tous les trafics et de toutes le compromissions que tolère et rend possible une étroite inféodation à l’argent et à la politique. Les Echos de La Vie Française sont la véritable essence du journal, usine à chantages divers, ils polarisent toutes les curiosités et alimentent les conversations. Les pratiques courantes du journal sont peu louables : injures et diffamations qui se règlent en duel (chapitre 7), utilisation d’indicateurs toujours en quête du dernier scandale ou du fait à la mode, jusqu’à de fausses campagnes qui vont faire de La Vie Française l’extension de la sphère politicienne. 15 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Les députés travaillent au journal (« Les inspirateurs et véritables rédacteurs de La Vie Française étaient une demi-douzaine de députés intéressés dans toutes les spéculations que lançait ou que soutenait le directeur. On les nommait à la Chambre, « la bande à Walter », p.123) et le journal fait et défait les ministères (p.291). Les locaux du journal de La Vie Française sont le théâtre du mensonge et de la duperie avec le clinquant des décors sur scène et la déception face à ce qui se cachent en coulisses. Quand Duroy arrive au journal pour la première fois, il est impressionné par l’escalier monumental, la salle d’attente, l’air sérieux des garçons de bureau. Mais il découvre ensuite l’envers du décor : les journalistes jouent au bilboquet, la conférence qui accapare Walter consiste en une partie d’écarté (p.61-64). Il n’est pas étonnant alors que de fausses interviews, des échos tronqués, des informations erronées (un même article peut être servi plusieurs fois, p.256) puissent avoir libre cours dans cette mise en scène. Peu importe la vérité pourvu que tout cela soit vraisemblable. Critique du monde politique : Le pouvoir réel est aux mains des financiers qui corrompent députés et ministres. Le politique est vidé de toute autorité, réduisant par exemple Laroche-Mathieu à un simple pion du journal. Ce sont également les financiers qui possèdent les capitaux des journaux qui, à chaque campagne, font et défont les gouvernements. Le portrait de Laroche-Mathieu – « associé en beaucoup d’affaires de finance » avec Walter – témoigne largement de la collusion du monde de l’argent, de la presse et de la politique. Il est dépeint comme un pantin sans consistance (« Il agitait sa main droite, levant en l’air tantôt sa fourchette, tantôt son couteau, tantôt une bouchée de pain, et sans regarder personne, s’adressant à l’Assemblée invisible, il expectorait son éloquence liquoreuse de beau garçon bien coiffé », p. 263). Le comportement des hommes politiques dans l’«affaire du Maroc » est assez emblématique de ce que pense Maupassant de leur manque de scrupules et de leur soif d’argent. Le texte constitue une critique assez radicale de la démocratie (presse et élections libres) qui exacerbe les conflits d’influence et ouvre la voie au populisme. Critique du monde capitaliste : 16 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Maupassant dénonce ce que le capitalisme a apporté avec lui : abondance de l’argent, goût de la spéculation, hégémonie d’une dynastie de lanceurs d’affaires et de chevaliers d’industrie qui usent politique et presse pour parvenir à leur fin. M. Walter est l’incarnation de l’homme capitaliste. Il remplit son rôle sans faillir et n’a pas son pareil pour tromper et s’imposer afin d’arrondir une fortune déjà considérable. Tout lui est bon : le journal et ses immenses possibilités, la conjoncture économique dont il sait se rendre maître par le biais de toutes les manipulations et spéculations, le tape-à-l’œil de son bureau de La Vie Française, l’achat du dernier tableau à la mode qu’il fait voir au Tout-Paris de l’arrivisme après l’achat en vingt-quatre heures de l’hôtel du Prince de Carlsbourg (p.292). Il sera le maître de Duroy avant que ce dernier ne prenne sa revanche en épousant Suzanne Walter. Maupassant a peu d’estime pour le banquier Walter et dénonce à travers ses aventures, les scandales financiers de son temps. Les hommes et les femmes de Bel-Ami se caractérisent tous par leur degré de fortune et leur rapport plus ou moins malsain à l’argent : tricheurs au jeu, hommes entretenus par leur femme ou leur maîtresse, demi-mondaines, financiers véreux…mais ça ne les empêche pas de parader en société. En plus du goût du gain, règne également la luxure (débauche, prostituées, spectacle ambigu de femmes qui se battent dans la cave de Jacques Rival p.237…) et la gourmandise (le buffet de l’œuvre de bienfaisance de Rival est dévoré avant même que la quête ait eu lieu, p.239). Les grands salons sont le lieu de rencontre de cette société pour jouir et paraître, mais ces occasions sont raillées par Maupassant qui affuble leurs participants de mauvais goût et de snobisme artistique, notamment avec la tournée des œuvres du salon de M. Walter. L’impression qui domine ces réunions mondaines est la solitude et l’ennui, on se rencontre sans se connaître jamais, on discute pour ne rien dire (p.142 « et il se mit à parler au hasard, sans trop songer à ce qu’il disait, débitant toutes les banalités en usage entre gens qui ne se connaissent point »). Critique du monde judiciaire : Le pouvoir judiciaire est lui aussi victime de la satire de Maupassant, se montrant incapable de sanctionner efficacement. Les malversations, auxquelles s’adonnent Walter et ses amis, ne sont jamais punies. Quant au flagrant délit d’adultère, la justice est incapable de faire la part 17 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 des choses : Madeleine a fauté, mais George n’est-il pas coupable d’une faute analogue ? Pourtant, seule Madeleine paie le prix de son infidélité. Critique de la religion : Plus aucune loi morale ne semble avoir d’emprise sur les esprits. Aucun personnage, hormis Mme Walter, n’éprouve la moindre mauvaise conscience ni le moindre repentir. Elle est la seule à finir le roman dans le chagrin. Les églises, d’ailleurs, sont désertées. La Trinité, presque vide, est dépeinte avec ironie comme un havre de fraîcheur pour badauds incommodés par le soleil. Pire, elle sert de lieu de rendez-vous amoureux à Mme Walter et Bel-Ami. Quant au sermon du curé de la Madeleine sur la fidélité conjugale, il est de bien peu d’effet sur Duroy qui, au même moment, songe à reprendre son ancienne maîtresse. Tout frein institutionnel, tout garde-fou moral semblent donc avoir sauté. Seul compte alors la loi du plus fort. Profitant de cela, chacun pense donc avant tout à lui-même dans un égoïsme triomphant qui laisse peu de place aux autres. Dans la lutte, Walter apparaît le plus fort : « député muet », manipulateur de l’ombre, il n’en est pas moins un « conquérant » comparé à Bonaparte. (p.291 « Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde »). Et si Walter ne rechigne pas trop à accorder la main de Suzanne à Duroy, c’est qu’il a reconnu en lui un prédateur de son espèce. (p.332 « C’est un homme d’avenir. Il sera député et ministre. »). L’homme nouveau serait donc un homme sans scrupules, préoccupé avant tout par son propre succès. Maupassant se rapproche des moralistes puisqu’il stigmatise l’inanité des fausses valeurs : la gloire, l’argent, le pouvoir… qui ne sont que des leurres en regard de la mort. Mais l’auteur dénonce à travers ses personnages de fiction et se refuse à une dénonciation directe et unilatérale, il préfère employer l’ironie et laisser à ses lecteurs le travail de critique. 18 Marion Claës Master CMA Année 2008/2009 Bibliographie complémentaire Marie-Claire Bancquart, « Maupassant journaliste », in Flaubert et Maupassant écrivains normands, Publications de l’université de Rouen, PUF, 1981. Pierre Cogny, Maupassant, l’homme sans Dieu, La Renaissance du livre, 1968. Balzac s’effraie également dans son roman de la toute-puissance de la presse après y avoir travaillé lui-même. Balzac décrit les journalistes sans tendresse : il les voit méchants, paresseux, sans scrupules, exploitant le plus vite possible l’instant qui les comble de richesse et qui demain les jettera dans la misère. Ambitieux, cupides, prodigues, intéressés. Balzac est le modèle incontesté de Maupassant pour son roman : les Dauriat, magnats d’une presse où l’on vend même les consciences, les Lousteau qui enseignent que le meilleur travail est d’exploiter celui d’autrui, les Nathan qui deviennent par leur volonté d’arriver des « princes de la presse ». Les personnages de Bel-Ami sont les répliques de ceux des Illusions perdues. Illusions perdues, de H. Balzac : le héros est également confronté au monde littéraire. Mais il ne réussit pas son ascension sociale au contraire de Duroy. Duroy est plus proche de Rastignac, le héros du Père Goriot, stéréotype de l’ambitieux. Il conquiert le journalisme et lance un défi à la ville de Paris à la fin du roman. Le Rouge et le noir, de Stendhal : avec les mêmes armes que Bel-Ami (hypocrisie, puissance de séduction, totale absence de scrupules), Julien Sorel affirme son ambition de se dessiner un destin hors du commun. Renée Mauperin, de E. et J. Goncourt : Henri Mauperin, héros de ce roman, considère que le meilleur moyen d’arriver à ses fins, avoir de l’argent, est de se marier. Belle-Amie, Michaël Darmon et Yves Derai : les auteurs ont voulu voir en Rachida Dati l’homologue féminin de Georges Duroy, donnant une résonance actuelle au roman de Maupassant. 19

Liens utiles