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sexuation

Publié le 07/04/2015

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sexuation n.f. (angl. Sexuation, allem. Geschlechtlichkeit). Dans la théorie psychanalytique, façon dont hommes et femmes se rapportent à leur sexe propre, ainsi qu'aux ques­tions de la castration et de la diffé­rence de sexes.

L'apport révolutionnaire de la pen­sée freudienne a d'abord été situé du côté de la sexualité : reconnaissance d'une sexualité infantile, ainsi que du sens sexuel inconscient de nombre de nos actes et représentations. On peut y ajouter une dimension «perverse «, liée à la fois à la description de l'enfant comme pervers polymorphe et à celle du fantasme inconscient, qui a souvent une coloration sadique ou masochiste, voyeuriste ou exhibitionniste, voisine, en un mot, de ces mises en acte que décrivait un Krafft-Ebing par exemple.

Il est cependant aisé de s'apercevoir que l'importance donnée par S. Freud à la sexualité va de pair avec une modifi­cation de sa définition. Si la sexualité ne se limite pas à la génitalité, si, surtout, les pulsions sexuelles produisent de manière indirecte notre amour de la beauté ou nos principes moraux, il faut soit élargir considérablement la défini­tion de la sexualité, soit introduire dans le langage de nouveaux termes plus adéquats. Le terme « sexuation «, utilisé par Lacan, est de ceux-là. Au-delà de la sexualité biologique, il désigne la façon dont, dans l'inconscient, les deux sexes se reconnaissent et se différencient.

Chez Freud, d'ailleurs, la nécessité de forger des catégories nouvelles se fait déjà sentir, notamment du fait qu'il attribue un rôle central au phallus, et cela pour les deux sexes. Si dans la phase phallique, moment déterminant pour le sujet, «un seul organe génital, l'organe mâle, joue un rôle« (l'Orga­nisation génitale infantile, 1923), cet « organe « n'est pas à situer au niveau de la réalité anatomique, niveau où cha­que sexe a le sien. D'emblée, le phallus est situé comme symbole.

Il est vrai que tout cela engage la psychanalyse dans une théorisation délicate. D'un côté, Freud se trouve amené à soutenir que ce qu'il dit du phallus vaut pour les deux sexes. Mais, en même temps, il reconnaît ne pou­voir le décrire de manière satisfaisante qu'en ce qui concerne les hommes. Un universel donc, en droit. Mais, en fait, descriptible pour « pas-tous «. Dans l'article sur les Théories sexuelles infan­tiles, 1908, de même, Freud présente les hypothèses forgées par l'enfant pour s'expliquer les mystères de la sexualité et de la naissance. Mais, prévient-il d'emblée, «des circonstances externes et internes défavorables font que les informations dont je vais faire état portent principalement sur l'évolution sexuelle d'un seul sexe, à savoir le sexe masculin «.

LA DIFFÉRENCE DES SEXES

Si la difficulté à situer les choses côté féminin est ici présentée comme cir­constancielle, l'histoire devait la faire apparaître comme un des problèmes majeurs de la psychanalyse.

Si, en effet, la sexualité humaine se définit comme d'emblée subvertie par le langage, le terme qui en désigne les effets ne prendra pas par lui-même une valeur masculine ou féminine. Il sera plutôt constitué par un signifiant repré­sentant les effets du signifiant sur le sujet, c'est-à-dire l'orientation d'un désir réglé par l'interdit. Ce sera le signifiant phallique, dont l'organe mâle ne constitue qu'une forme particulière de l'imaginaire. Le symbole phallique, dans une perspective lacanienne, ne représente pas le pénis. C'est plutôt celui-ci qui, du fait de ses propriétés érectiles et détumescentes, peut repré­senter la façon dont le désir s'ordonne à partir de la castration.

Or, si le phallus comme signifiant symbolise le prélèvement opéré sur tout sujet par la loi qui nous régit, il devient tout à fait problématique d'introduire à

l'intérieur de l'espèce humaine une dis­tinction qui en séparerait une moitié. Si on en reste là, rien ne permet de régler, dans l'inconscient, la question de la différence des sexes, rien ne permet de saisir ce qui peut distinguer un sexe de l'autre.

L'expérience clinique, sur ce point, relance les questions. Ce qu'elle nous montre, en effet, c'est à quel point la question du sexe insiste dans l'incons­cient: non pas tant la question de l'acti­vité sexuelle; celle surtout de ce qui peut différencier les sexes, dès lors qu'un même signifiant les homogé­néise, et par là, particulièrement, la question de ce que c'est qu'être une femme.

Cette question, c'est celle que pose avec force l'hystérique. Si Dora («Frag­ments d'une analyse d'hystérie«, 1905; trad. fr. in Cinq Psychanalyses, 1954) attache une telle importance à Mn' K, ce n'est pas essentiellement qu'elle la désire. C'est qu'elle peut interroger en elle le mystère de sa propre féminité. Identifiée à Mm` K, Dora peut reprendre la question de ce que c'est qu'être femme.

Lacan consacra une grande partie de son travail à élaborer ces questions, ne serait-ce d'abord qu'en précisant la description freudienne, celle du garçon qui doit pouvoir renoncer à être le phal­lus maternel s'il veut pouvoir se préva­loir de l'insigne de la virilité, hérité du père ; et celle de la fille, qui doit renon­cer à un tel héritage, mais trouve du même coup un accès plus facile à s'identifier elle-même à l'objet du désir. D'où ces raccourcis saisissants: «l'homme n'est pas sans l'avoir «, «la femme est sans l'avoir «.

Lorsque le psychanalyste, cepen­dant, parle de sexuation, il se réfère surtout à un état plus élaboré, plus for­malisé de la théorie de Lacan, et plus précisément aux «formules de la sexuation «.

LES FORMULES DE LA SEXUA11ON

Les formules de la sexuation supposent au moins comme préalable une redéfi­nition du phallus, ou de la fonction phallique, et une interrogation sur sa dimension d'universel.

Si le phallus, depuis Freud, vaut comme signifiant du désir, il est en même temps signifiant de la castration, en tant que celle-ci n'est rien d'autre que la loi qui régit le désir humain, qui le maintient dans des limites précises. Lacan peut donc nommer fonction phallique la fonction de la castration.

À partir de ces définitions, la ques­tion décisive va porter sur le point de l'universel. Dans la perspective freu­dienne, le symbole phallique autour duquel s'organise la sexualité humaine vaut en droit pour tous. Mais qu'en est-il précisément de ce tous ? Il faut là-dessus reprendre, avec Lacan, la question de ce qui constitue comme tel un universel. A quelle condition peut-on poser l'existence d'un «tous« soumis à la castration (écrit Vx (Dx)? A cette condition, apparemment para­doxale, qu'il y en ait au moins un qui n'y soit pas soumis (3x-7x). C'est en effet, rappelle Lacan, le propre de toute constitution d'universel. Pour consti­tuer une classe, le zoologiste doit déterminer la possibilité de l'absence du trait qui la distingue ; c'est à partir de là qu'il pourra ensuite poser une classe où ce trait ne peut manquer.

Au-delà de cette articulation logi­que, à quoi correspondent les formules

3x             et Vx trix? Elles organisent la façon dont les sujets mâles se rap­portent à la castration: posant l'exis­tence d'un Père qui n'y serait pas soumis (on peut l'illustrer du mythe du père de la horde primitive), elles éta­blissent à partir de là le statut de ceux qui se réclament de ce père, fût-il mort. Parce qu'ils se prévalent de posséder les insignes du Père, parce qu'ils acceptent sa loi, ceux-là peuvent se grouper en Églises ou en armées, en syndicats, en

partis, en groupes de toutes sortes. C'est leur façon ordinaire de faire uni­vers, de faire «tous«.

Il est d'ailleurs notable que pour désigner l'espèce humaine dans son ensemble (hommes et femmes) notre langue parle de «l'Homme «. La fem­me, dit Lacan, n'existe pas. Entendons simplement ici que les femmes n'ont pas vocation à faire univers. Et, de fait, la clinique montre que la question de ce que c'est qu'une femme ne se résout pas pour chacune d'entre elles dans une généralisation immédiate, qu'elle est à reprendre cas par cas. On écrira V7 (1)x, ce qui peut se lire ainsi: du côté fémi­nin, pas-toutes sont soumises à la cas­tration, elles ne se reconnaissent pas toutes soumises à une même loi. Ce qu'on reliera alors à la formule sui­vante, 3 tex, il n'y a pas d'exception à la castration, désignant par là le fait que les femmes ne se réfèrent pas aussi volontiers que les hommes à un Père par qui elles se sentent moins reconnues.

 

Ces formules, qui, présentées briè­vement, peuvent sembler abstraites, sont à présent opérantes dans tout un secteur des recherches psychanaly­tiques. Elles ont déjà, entre autres, servi à situer le rapport spécifique de l'homme avec les objets partiels détachés par l'opération de la castration [objets a (— objet a)], de même que celui des femmes avec le point énigmatique qui, dans l'inconscient, désignerait une Jouissance* Autre que celle que règle la castration, point cernable par le lan­gage, même si le langage ne peut le décrire, point dont les romans de Duras, par exemple, donnent une idée.

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