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l'alternance codique

Publié le 19/05/2017

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Chapitre premier : Cadre général I. Introduction : Le climat sociolinguistique marocain, marqué par la présence de plusieurs langues (et variétés de langues), favorise des pratiques langagières diversifiées et donne lieu à plusieurs phénomènes sociolinguistiques dont, pour ne citer que les principaux, le biplurilinguisme, la diglossie, le mélange des langues, etc. Il s’agit bien entendu d’une situation sociolinguistique qui n’est pas exclusivement marocaine, mais fortement présente, à des degrés variables, dans les paysages sociolinguistiques multilingues, le cas de certains pays du Maghreb (l'Algérie et la Tunisie), les pays de l'Afrique subsaharienne et, d'une manière plus générale, les pays anciennement colonisés. Parmi les manifestations du contact des langues en présence au Maroc, l’alternance codique (ou code switching) demeure la plus remarquable et la plus répandue dans la pratique langagière des marocains. Ce phénomène, appelé aussi “alternance de codes”, qualifié de “discours mélangé” (NISSABOURY, 1999), de “rencontre d’habitudes linguistiques” (CHARNET, 1999), concerne particulièrement « les conversations relevant de différents domaines d’emploi et impliquant des locuteurs ayant en partage, à des degrés très variés, le maniement de deux codes ou plus, en l’occurrence l’arabe (marocain et standard) et le français considéré comme langue « étrangère », « seconde » ou « privilégiée » que dans d’autres situations de communication, au sens large du terme » (Mabrour, 2007). Cette situation est le produit naturel de la diversité culturelle du Maroc, mais aussi, et à la fois, de son histoire longuement traversée par plusieurs civilisations et les traces de la colonisation. Elle a, de ce fait, contribué au développement d’une compétence bilingue chez une bonne partie de la population, chose qu’on peut souvent remarquer, sous différentes formes, dans une conversation, un discours ou une phrase où on passe de manière « moins consciente et plus automatique » (Pénélope, 1983) d’une langue à l’autre. L’école, par ailleurs, n’échappe pas à la règle. Structure sociale par excellence, elle ne peut contrôler sa perméabilité aux phénomènes sociaux et sociolinguistiques 7 dominants dans la société. Ainsi le discours pédagogique est également marqué, d’une manière ou d’une autre, par l’alternance codique, désormais (AC). Or, si les usages et les effets de l’alternance codique ont fait l’objet d’études de plusieurs recherches portant essentiellement sur les apprentissages scolaires de type cognitif et linguistique, tels que les Mathématiques ou le Français (Chaudenson, 1989, 1996 ; Damoiseau, 1990 ; Dorville, 1994 ; Durizot Jno-Baptiste, 1991, 1996 ; Romani, 1994 ; Vernet, 1990), peu de travaux portaient sur les apprentissages de type non linguistique. C’est pourquoi nous avons choisi l’étude de l’AC dans une discipline non linguistique (désormais DNL), en l’occurrence l’éducation physique et sportive, ne seraitce que pour essayer de saisir les éléments du phénomène dans tous ses aspects, et contribuer par la suite, pour reprendre la formule de Castellotti (Castellotti, 1997), à « didactiser l’alternance ». C’est-à-dire, non seulement expliquer ses formes et ses fonctions pédagogiques, mais aussi aller vers sa pleine intégration à des modèles méthodologiques de l’enseignement / apprentissage. 8 II. Problématique : Dans le contexte éducatif marocain actuel, le débat autour de la langue d’enseignement occupe une position importante dans le grand chantier de la réforme. Parmi tant de problèmes de natures différentes : pédagogiques, matérielles, administratives, etc., une bonne partie du débat est réservée, dans la dernière version de la réforme1 , à la question de l’enseignement des langues et celle de la langue d’enseignement. Vu le rôle déterminant de la maîtrise des langues dans l’amélioration de la qualité des apprentissages, dans la réussite scolaire et par conséquent dans le rendement interne et externe de l’École, le Conseil considère que les langues, en tant que langues enseignées et langues d’enseignement, représentent un levier principal de la qualité de l’éducation et de la formation. Cependant, le statut de chaque langue présente à l’École doit être déterminé clairement.2 Cependant, la langue d’enseignement est le plus souvent liée à deux problèmes essentiels, d’une part, l’enseignement des disciplines scientifiques et techniques (espace 3, levier 9 de la CNEF3 ) jugé en décadence depuis la mise en œuvre du projet de l’arabisation des programmes et, d’autre part, le problème que pose le passage d’une langue d’enseignement à une autre entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Parallèlement, un nouveau débat s’est déclenché concernant la langue d’enseignement au niveau du préscolaire et des premières années de l’enseignement primaire (deux ou trois premières années). Il porte, cette fois-ci, sur la possibilité d’intégration de l’arabe dialectal (darija) comme langue d’enseignement pour faire face à l’abandon scolaire, très remarquable surtout dans le milieu rural. Cette proposition a pris une grande envergure une fois vulgarisée par les médias (le débat entre Noureddine Ayouch et Abdellah Laroui diffusé le 27/11/2013 dans l’émission \"Moubachara maâkoum\" sur 2M) provocant ainsi des réactions tantôt convergentes, tantôt divergentes. 1 Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS). La vision stratégique de la réforme 2015-2030 : pour une école de l’équité, de la qualité et de la promotion (résumé). Disponible sur le site du CSEFRS ; URL : http://www.csefrs.ma/pdf/Vision_VF_Fr_%20Resume.pdf (consulté le 21/12/2015) 2 Ibid., p. 16. 3 Commission Spéciale éducation-formation (COSEF). Charte Nationale d’Education et de Formation. COSEF. Janv. 2000. Disponible sur : http://www.men.gov.ma/sites/AdministrationCentrale/DAJC/DocLib1/charte/charte_fr.pdf 9 Etant animé par ces débats, une question s’impose, nous semble-t-il, comme un préalable permettant de pousser le débat plus loin : ne serait-il pas plus judicieux de traiter la question de la langue d’enseignement dans son cadre générale ? Cette question renvoie à trois considérations essentielles dont l’articulation permet au débat sur la langue d’enseignement d’appréhender la question dans sa totalité et, par conséquent, d’atteindre sa plénitude. Il s’agit tout d’abord de partir d’une analyse des données socio et psycholinguistiques respectivement relatives aux statuts des langues en contact au sein de l’école, et à la nature du rapport qu’entretiennent les enseignants et les apprenants avec chacune de ces langues. Ensuite, engager une réflexion profonde sur les possibilités de mise en corrélation du niveau d’accessibilité de la langue d’enseignement et celui d’apprentissage tout au long du cursus scolaire. Enfin, dépasser la vision réductionniste qui limite exclusivement le débat sur la langue d’enseignement à certaines disciplines, en l’occurrence les disciplines scientifiques et techniques, ou certains niveaux scolaires, notamment le préscolaire et le primaire, sans pour autant évoquer les autres. En tout état de cause, le recours aux pratiques pédagogiques sur le terrain doit constituer le point de départ pour rendre lucide notre vision du « problème ». En effet, la réalité pratique de l’enseignement, telle qu’elle a été décrite par certaines recherches sociolinguistiques (Cambrone4 2004 ; Causa 19965 , 20026 , 2007 7 ; Cicurel 20028 ), révèle un usage fréquent de l’alternance codique dans le discours des enseignants ; notamment dans l’enseignement des disciplines linguistiques (désormais DL), ce qui rend légitime notre question de départ : qu’en est-il des disciplines non linguistiques (DNL) ? Force est de signaler ici qu’autrefois l’usage de l’alternance codique était généralement considéré comme le résultat d’une compétence incomplète dans deux ou plusieurs langues (Hamers J. , 1997), générant des comportements dépréciatifs envers les locuteurs qui les produisent (Matthey & De Pietro, 1997). Par conséquent, le recours à cette pratique à l’école était perçu comme négatif «et son emploi comme très nuisible à 4 S. Cambrone. (2004). Contact de langues en milieu scolaire, l’alternance codique en situation de classe : quelles stratégies ? Actes des Ateliers de recherche sur l’enseignement du créole et du français dans l’espace américanocaraïbe. Fort-de-France, décembre. 2004. 5 M. Causa. L’alternance codique dans le discours de l’enseignant. Entre transmission de connaissance et interaction. Les cahiers du Cédiscor. 4. 1996. pp. 111-129. 6 M. Causa. L’alternance codique dans l’enseignement d’une langue étrangère : Stratégies d’enseignement bilingues et transmission de savoir en langue étrangère. Bern : Peter Lang. 2002. 7 M. Causa. Enseignement bilingue, l’indispensable alternance codique. Le français dans le monde. 2007. p. 351 8 F. Cicurel. La classe de langue un lieu ordinaire, une interaction complexe. AILE. 2002. p. 16. 10 la bonne marche de l’apprentissage chez l’élève. Actuellement, les chercheurs sont d’accord pour la qualifier de tout à fait utile suivant les circonstances. » (Ehrhart, 2002, pp. 2-3) Maria Causa (2002) l’affirme explicitement : La réalité montre que l‘alternance codique employée par l‘enseignant est une pratique naturelle conforme à toute situation de communication de contact de langues. Cette pratique langagière ne va pas non plus à l‘encontre des processus d‘apprentissage : elle constitue au contraire un procédé de facilitation parmi d‘autres. L‘alternance codique doit donc être considérée comme une stratégie à part parmi les stratégies d‘enseignement. (Causa, L’alternance codique dans l‘enseignement d‘une langue étrangère – Stratégies d‘enseignement bilingues et transmission de savoirs en langue étrangère, 2002) S’inscrivant dans cette perspective, cette recherche vise à explorer les manifestations de l’AC dans le discours des enseignants d’une DNL, en l’occurrence l’éducation physique et sportive (désormais EPS). Et ce, aux niveaux de ses propriétés linguistiques, ses formes par rapport à ses fonctions et ses significations sociodidactiques et/ou psychopédagogiques. Le choix de l’EPS, parmi les autres DNL enseignées à l’enseignement secondaire qualifiant au Maroc, se justifie par certaines raisons spécifiques qui, s’ajoutant aux facteurs communs motivant le recours à l’AC, nous offriraient suffisamment de chances pour mettre en évidence les manifestations des alternances. Les principales raisons spécifiques (relatives à la discipline même) sont : - la langue de la formation initiale des enseignants, pour la quasi-totalité des modules de formation, est le français ; - la crise de l’enseignement du français, officiellement attestée, rend difficile la communication avec les élèves en cette langue ; - l’EPS est fortement liée au domaine sportif où elle puise ses contenus d’enseignement, ce qui rend difficile de se passer du technolecte sportif en français, voire même en anglais. III.Objectifs de la recherche : En situant la problématique de l’alternance codique dans la perspective de la didactique du plurilinguisme, cette recherche a pour ambition de : • mettre en évidence les propriétés linguistiques de l’alternance codique telle qu’elle se manifeste dans le discours pédagogique des enseignants d’EPS. 11 • Dégager les formes et les fonctions de l’alternance codique et analyser leurs différentes combinaisons dans le discours des enseignants enquêtés. IV. Questions de la recherche : Pour ce faire, l’enquête sera orientée vers les questions suivantes : 1. Quelles sont les propriétés linguistiques de l’alternance codique chez les enseignants d’EPS ? 2. Quelles en sont les formes et les fonctions ? 3. Comment s’articulent-elles (les formes et les fonctions) dans le discours pédagogique des enseignants enquêtés ? V. Hypothèses : A partir d’un schéma explicatif qui intègre l’ensemble de connaissances relatives au contexte socio-éducatif où se déroule l’enseignement-apprentissage de l’EPS au Maroc, et ce, aussi bien au niveau des pratiques du terrain, étant nous même un ex enseignant d’EPS, qu’au niveau des recherches ayant traité du phénomène de l’AC au Maroc et ailleurs ; nous formulons, dans les points qui suivent, trois hypothèses qui seront bien évidemment confirmées ou infirmées selon les résultats de l’analyse des données de notre corpus : 1. Le discours pédagogique des enseignants d’EPS au Maroc est fortement marqué par un mélange de codes (arabe marocain, arabe classique, français) et/ou (arabe marocain, français). En effet, il ne s’agit pas d’un choix parmi autres, mais d’un choix unique imposé par une situation dilemmatique : d’une part, rappelons-le, la formation initiale des enseignants est, pour la quasi-totalité des modules, disposée en français et, de surcroit, la nature de la discipline, vu son rapport étroit au domaine sportif, impose un contenu d’enseignement trop chargé en technolecte français. D’autre part, le niveau de communication des élèves en langue française est généralement insuffisant, ce qui rendrait difficile la compréhension d’un discours entièrement formulé et communiqué en cette langue. 2. L’AC se manifeste dans toutes ses formes : insertion, alternat et lexicalisation congruente (Muysken, Bilingual speech: A typology of code mixing, 2000), avec des degrés différents selon des facteurs relatifs aux variables sexe et expérience professionnelle. S’appuyant sur les modèles typologiques de Poplack Shana 12 (Conséquences linguistiques du contact de langues : un modèle d’analyse variationniste, 1988a), Myers-Scotton Carol (Duelling langages: Grammatical structure in codeswitching, 1993) et Pieter Muysken (Bilingual speech. A typology of code mixing, 2000), qui seront développés en détails par la suite, la forme dominante de l’AC est l’insertion d’un ou plusieurs mot (s) en français (langue enchâssée) dans une structure phrastique en arabe marocain (langue matrice). Le recours à cette forme est essentiellement motivé par son utilité catachrétique (Onysko & Esme, 2011), l’AC étant produite parce qu'aucune expression arabe sémantiquement équivalente n'est adéquate. D’autres fonctions sont aussi visées, il s’agit, d’une part, de la fonction contextuelle (Blom & Gumperz, 1972) qui permet aux enseignants de construire une langue adéquatement adaptée aux spécificités de leur contexte d’enseignement-apprentissage, d’autre part, de la fonction référentielle leur permettant une certaine aisance langagière dans les sujets techniques de spécialité. Nous développerons par la suite chacune des formes et des fonctions selon les modèles théoriques adoptés dans cette recherche. 3. L’élaboration du discours pédagogique des enseignants d’EPS se soumet à des structures combinées des formes et des fonctions de l’alternance codique arabe marocain/français qui, vue les contraintes et conditions semblables de l’enseignement d’EPS, présentent des éléments cohérents et régulièrement récurrents. . Ainsi, l’analyse des données recueillies dans notre corpus pourrait révéler le bienfondé de nos hypothèses.

« « Dans la conversation la plus relâchée, nous moulons notre parole dans des formes précises de genres, parfois standardisés et stéréotypés, parfois plus souples, plus plastiques et plus créatifs.

L'échange verbal dans la vie cour ante n'est pas sans disposer de genres créatifs.

Ces genres du discours nous sont donnés autant que nous est donnée la langue maternelle dont nous avons une maîtrise aisée avant même que nous en ayons étudié la grammaire. » M.

Bakhtine. »

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