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Autres conteurs

Publié le 12/02/2018

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Autres conteurs

Le goût de raconter des histoires, d'en entendre, de les commenter, de se réunir pour discuter d'un peu de tout, fut général dans la société française du xvre siècle; L' Heptaméron donne une image des conversations entre grands seigneurs, Le Printemps de Jacques Yver montre celles des gentilshommes de province, L'Esté de Bénigne Poissenot celles des étudiants, les Serées de Guillaume Bouchet nous conduisent chez les bourgeois, et les Propos Rustiques de Noël du Fail parmi les paysans; ces mêmes ouvrages, et tous leurs semblables, montrent de plus que ces divers milieux n'étaient pas hermétiquement séparés, bien que les différences de ton s'accentuent quand on avance dans le siècle. Jacques Tahureau, dans ses Dialogues non moins profitables que facétieux, se moque des dames de la bourgeoisie dont les propos ne roulent que sur des futilités, et l'auteur anonyme des Esguillons d'amour, cité par G. Reynier 1, méprise les commérages mondains .et les questions de toilette qui occupent les petits esprits. En revanche, les conversations aristo¬cratiques devenaient de plus en plus pédantes et artificielles, si l'on en juge d'après les livres.

Les guerres de religion n'interrompirent pas le succès des recueils de nouvelles et de devis : au contraire, comme les réunions dont ils étaient le reflet, ils appor-taient une diversion à l'anxiété dans les périodes troublées et contribuaient à la joie au moment des trêves. Déjà pendant la guerre entre François 1er et Charles Quint, l'auteur des Nouvelles Récréations et joyeux devis voulait « donner moyen de tromper le temps » en c< meslant des resjouissances (aux) fascheries » (Première Nouvelle); Jacques Yver, qui rédige son Printemps en 1570 après la paix de Saint-Germain, montre les habitants du Poitou revenus « en leurs désolées

>. Le Roman sentimental avant L'Astrée, P. 250.

 

maisons » et pressés de « s'entrevoir les uns les autres » p_our « se consoler par la pratique d'un devoir d'amitié en leur commune misère»; c est dans ces circonstances que se réunissent les interlocuteurs de son recueil. Castiglione, dont les préceptes de civilité furent très lus en France, définit les « facéties » qu'on peut placer dans la conversation; ce sont soit des << mots d'esprit », soit des << bourdes» (fausses naïvetés), soit de << joyeuses narrations » dont il dit : << il semble quasi que l'on raconte une nouvelle », et sa phrase fait bien apparaître la réalité du lien entre le conte oral et le conte écrit; si le littérateur vise à conserver la spontanéité de la parole, le devisant qui parle dans une réunion d'amis n'est pas tout à fait un improvisateur, il a présent à l'esprit un certain tour à attraper, et il obéit à ce qu'il convient d'appeler l'esthé-tique d'un genre '•

Le premier point de cette esthétique est que le manque d'originalité est sans importance : le conteur n'invente pas ce qu'il dit, il reprend un sujet traditionnel ou il raconte un événement réel; il ne distingue même pas l'un de l'autre, soit qu'il fasse confiance à celui de qui il tient le fond de son récit et qui le lui a présenté comme vrai, soit qu'il ne se soucie pas du fond pourvu qu'il intéresse ou amuse par la manière dont il conte. Le second point, corrélatif du premier, est que le narrateur ne doit jamais s'effacer derrière ce qu'il dit, mais créer au contraire une connivence entre lui et ses auditeurs, en faisant appel à leur jugement, en inter¬venant dans le récit par des commentaires ironiques ou passionnés. Tous les conteurs du xke siècle n'ont pas le talent de Rabelais, mais tous se font de leur rôle la même conception que lui. Un conte n'existe pas sans un conteur et une assistance. Tantôt la verve du conteur crée elle-même cette assistance dans laquelle le lecteur de gré ou de force se trouve confondu; tantôt l'auteur décrit un groupe de personnages et reconstitue les conditions d'un conte vivant, cette fiction lui servant d'intermé¬diaire pour atteindre son lecteur. La première formule est celle de Rabel.ais, de Des Périers (si c'est bien lui l'auteur des Nouvelles Récréations et joyeux devis); la seconde, celle de Marguerite de Navarre, de Noël du Fail; des formules inter¬médiaires ont été adoptées par Nicolas de Troyes, par l'auteur des Comptes du monde adventureux, etc. Enfin, un troisième point est que le conte doit être riche de détails colorés et précis> peindre les gestes, les attitudes, les physionomies, faire entendre les dialogues comme s'ils sortaient directement de la bouche des personnages : c'était déjà le mérite des fabliaux, puis des Cent Nouvelles nouvelles. Eutrapel, dans les Baliverneries de Noël du Fail, est en train de raconter avec une verve pittoresque la fable de la Goutte et de l'Araignée : << Saincte Marie (dit Polygame) que tu fais trouver le compte bon. - Un potage (dist Eutrapel) ne vault rien sans sel ». Et Des Périers, jouant sur les mots, explique pourquoi il a placé en été l'action de sa Nouvelle XXVII : c'est qu'<< un compte froid n'est pas trouvé si bon »,

« maisons »et pressés de« s'entrevoir les uns les autres » p_our «se consoler par la pratique d'un devoir d'amitié en leur commune misère»; c est dans ces circonstances que se réunissent les interlocuteurs de son recueil.

Castiglione, dont les préceptes de civilité furent très lus en France, définit les « fa céties » qu'on peut placer dans la conversa tion; ce sont soit des. »

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