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dissertation

Publié le 30/12/2014

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Le théâtre est-il une représentation fidèle ou une vision déformée du monde ? Vous répondrez à la question de manière organisée et vos arguments seront illustrés par des exemples précis. Il est difficile de s'interroger sur l'art sans poser la question de son rapport au monde. Dès le IVe siècle avant Jésus-Christ, Platon, puis Aristote, se sont demandé quels sont le fonctionnement de l'imitation en art et le fondement de sa légitimité. Platon condamne l'art, parce qu'il n'est qu'une copie du réel, et par là un mensonge qui éloigne l'homme du vrai. Aristote le défend au contraire, parce que l'imitation, dans l'art, plus que reproduction du réel, est révélation sur le monde, et permet ainsi la guérison de l'homme. Ce n'est sans doute pas un hasard si la réflexion sur l'art d'Aristote porte tout particulièrement sur le théâtre, auquel il a consacré un ouvrage, La Poétique. Le théâtre pose en effet de manière particulièrement cruciale la question de son rapport au monde : le théâtre est-il une représentation fidèle ou une vision déformée du monde ? Cet art a en effet, au sein de la littérature, la particularité de « représenter », c'est-à-dire de  « rendre présent » par l'intermédiaire d'un « spectacle », qui place quelque chose sous un « regard », et propose de ce fait une « vision ». Les questions sont alors multiples : quelle est cette chose qui est rendue présente, montrée lors de la représentation ? Qui sont celui qui montre, celui qui regarde ? Quelle est en définitive la nature de ce regard, sa fonction, son effet ? Le théâtre entretient sans aucun doute un rapport privilégié avec le réel, qui est ce qui est représenté sur la scène. Mais cette représentation ne saurait avoir lieu sans le filtre que constitue le double regard de celui qui crée le spectacle et de celui qui y assiste. Ainsi l'art théâtral passe-t-il par une nécessaire déformation du réel, qui n'est peut-être que la tentative pour donner forme au monde, envisagé non comme objet mais comme devenir. Le théâtre est en quelque sorte, plus encore que le roman où la poésie, le miroir du réel. En effet, parmi les différents genres littéraires, et même parmi les différents arts, il est le seul à atteindre l'épaisseur physique, vivante du réel. Le roman est un objet, fait de pages reliées, destiné à la lecture silencieuse et individuelle : l'histoire ne s'y peut représenter que dans l'imagination, la rêverie du lecteur. La poésie est une voix, une musique, qui s'élève seule sans être mise en acte. Elle ne représente que de manière indirecte, elle figure le monde, et par là le transforme. Le théâtre au contraire n'existe que dans la représentation physique, dans l'incarnation des voix dans des corps en mouvement. Mieux encore : ces corps évoluent dans un décor, ils ont des vêtements, tiennent des objets, s'assoient sur des sièges, habitent un espace. Les dramaturges et metteurs en scène ont toujours prêté beaucoup d'attention au décor, aux accessoires, aux costumes, toutes choses réelles qui ancrent le spectacle dans le monde. Pour représenter le dernier acte du Songe d'une Nuit d'Eté de Shakespeare, il faut un « palais », celui de Thésée. On imagine également des sièges, dignes d'un roi et d'une r...

« bien réelle des personnages qu’il contemple. La représentation fidèle du réel est donc un enjeu majeur du théâtre.

C’est même une condition nécessaire de sa réussite.

Le public a besoin, pour jouir du spectacle, de croire en ce qui lui est montré.

Il faut également qu’il reconnaisse le réel sur la scène, et ce, dès les premières minutes de la représentation.

Sans cet effet de reconnaissance, il ne peut se laisser prendre par l’action et ressentir de réelles émotions.

C’est bien l’un des problèmes qui se posent à la troupe de Bottom, lorsqu’elle cherche à mettre en scène la tragique histoire de Pyrame et Thisbé dans Le Songe d’une Nuit d’Eté : les spectateurs pourront-ils croire en l’amour des deux jeunes gens, s’il n’est pas de mur pour les séparer, et de faille dans ce mur pour qu’ils s’entretiennent ? pourront-ils croire à la réalité de leurs rendez-vous nocturnes, s’il n’est pas de clair de lune pour les baigner de leur lumière ? Malgré toute leur maladresse et leur ignorance, les apprentis comédiens retrouvent ici une expérience essentielle du spectateur de théâtre : le spectateur, de la salle, attend que lui soit présentée sur la scène une histoire à laquelle il puisse croire, qui ait toute l’apparence du vrai, du réel, pour qu’il puisse éprouver des émotions véritables, rire, pitié, colère, terreur, et participer ainsi à l’émotion théâtrale. Le théâtre rend présent le réel, parce qu’il est un art incarné, parce que les auteurs se donnent bien souvent une visée réaliste, parce que le spectateur a besoin de croire en la réalité de ce qui lui est présenté.

Néanmoins, s’il y a bien une « représentation » du monde au théâtre, celle-ci ne peut se faire qu’à travers un double filtre, celui des regards que posent, d’une part l’auteur et le metteur en scène, d’autre part le spectateur, sur le spectacle. La scène de théâtre est un lieu d’art, c’est-à-dire un espace artificiel : certes, les acteurs sont des êtres de chair, et le décor constitué d’objets réels, mais la foi qu’accorde le spectateur à ce qu’il voit repose sur un pacte nécessaire ; il accepte de prendre volontairement pour vrai ce qu’il sait être faux.

Le théâtre est une illusion.

Chaque acteur feint d’être un personnage, des cartons feignent d’être un palais ou une forêt.

Chaque élément de la représentation se désigne sans cesse avec ostentation.

Cet aspect du théâtre est parfaitement illustré par le passage du Songe d’une Nuit d’Eté que nous évoquions plus haut.

Les comédiens ont peur du pouvoir que l’illusion donne au théâtre, aussi décident-ils de mettre en évidence lors de leur représentation ce qui doit par nature resté caché, sous-entendu, implicite.

En affirmant « moi, dont le nom est Groin, je représente un mur », ou au contraire « sachez donc que je suis Etriqué le menuisier, un lion terrible, non, pas plus qu’un lionne », ils mettent en évidence le mécanisme du théâtre, et par là même détruisent son effet.

Les spectateurs savent que le mur n’est pas un mur, pas plus que le lion n’est lion ; mais ils doivent pouvoir y croire, sans cela, point de spectacle.

Le théâtre repose donc sur une double feinte : le spectacle feint de représenter le monde, et le spectateur feint de croire que le spectacle représente le monde. Le monde représenté sur scène est un monde fictif.

L’auteur, lorsqu’il crée un spectacle, opère des choix, des découpages dans le réel, en fonction des effets qu’il cherche à produire.

Cela est vrai de tous les genres dramatiques : le héros tragique n’existe pas comme tel dans le monde, il est créé par le dramaturge pour provoquer crainte et pitié chez le spectateur.

Il en va de même du personnage de comédie.

Bien sûr le « soldat fanfaron » de Plaute emprunte beaucoup de ses traits à des êtres réels, mais le comique n’est obtenu que par l’hyperbole qui le caractérise.

Le nom forgé par Plaute, « Pyrgopolinice », est à cet égard révélateur.

Ce nom n’existe pas dans le monde grec, c’est un néologisme de l’auteur.

Mais cette création verbale est hautement signifiante, puisque le terme est constitué de trois mots grecs identifiables pour le spectateur de l’époque, « tour » ( pyrgo ), « ville » ( poli ) et « vaincre » ( nice ).

Le soldat fanfaron est le héros de l’hyperbole, celui qui fait tomber les tours et soumet les villes ; il est tout entier désigné dans ce nom.

Ainsi Plaute a-t-il volontairement déformé le réel, créant de toutes pièces un personnage dans le seul but de faire rire les spectateurs.

C’est du regard distancié que l’auteur porte sur le monde de son temps que naît la comédie, reflet déformant du réel. L’auteur et le metteur en scène ne sont pas seulement les ordonnateurs du réel sur scène, ils en sont proprement les « démiurges », pour reprendre ici une expression de Georges Forestier.. »

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