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Le Premier Homme de Camus, étude

Publié le 04/12/2013

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Dossier Mustapha Trabelsi Le premier homme d'Albert Camus ou le retour au ,,style" algérien A la mémoire de Charles Bérenguer La poésie est au commencement et à la fin de l'oeuvre de Camus. Elle inspire ses premiers essais [...] et demeure ensuite dans le théâtre, dans le roman, quelquefois même dans l'écrit théorique, toile de fond immuable et vivante [...]. Elle est ,,l'éternel retour" dans la vie de Camus.1 OEuvre posthume, Le premier homme nous convierait à un retour au lyrisme des premiers écrits. Jacqueline Lévi-Valensi et Agnès Spiquel, dans leur avant-propos du colloque ,,Camus et le lyrisme" soutiennent que ,,Le premier homme, dans son inachèvement même, témoigne de la présence continue et féconde, même si elle s'est voulue parfois contenue et secrète, d'un lyrisme du coeur et de l'esprit, reconnu comme mode de compréhension et d'expression de l'histoire d'un homme et de toute une communauté".2 Camus note déjà dans son carnet à spirale dans lequel il consigne ses notes et ses projets de plan: ,,En somme, je vais parler de ceux que j'aimais. Et de cela seulement. Joie profonde."3 Lors du colloque de Cerisy-la-Salle, en juin 1982, Paul Viallaneix situe le style du Premier homme par rapport à l'oeuvre entière et surtout par rapport à La Chute: ,,Une chute, La Chute, sépare à jamais le lyrisme de l'ironie, le Royaume de l'Exil. Le lyrisme était la langue du Royaume, l'ironie celle de l'Exil". La Chute marque en effet, avec les nouvelles de L'Exil et le Royaume, un brusque changement de direction dans l'esprit et l'oeuvre de Camus; mais Le premier homme ne continue pas dans cette veine cynique et semble au contraire revenir vers l'image du Royaume. Selon Viallaneix, Clamence est le dernier homme; avec Le premier homme, Camus ,,réapprend peut-être la langue du Royaume",4 c'est-à-dire le lyrisme. C'est à cette même écriture que Taleb Ibrahimi, dans sa lettre ouverte, le 26 août 1959, de la prison de Fresnes, rendait hommage: ,,Si vous n'étiez pas certes notre maître à penser, du moins représentiez-vous notre modèle d'écriture. La beauté de la langue nous émouvait d'autant plus que nous vous considérions comme l'un des nôtres. Nous étions, de surcroît, fiers que ce fils de l'Algérie eût atteint, solitaire, le rocher du succès. Pour la première fois, nous disions-nous, un écrivain algérien non musulman prend conscience que son pays, ce n'est pas seulement la lumière éclatante, la magie des couleurs, le mirage des déserts, le mystère des casbah, la féerie des souks, bref tout ce qui a donné naissance à cette littérature exotique que nous exécrions - mais que l'Algérie, c'est aussi et avant tout une communauté d'hommes 157 Dossier capables de sentir, de penser et d'agir."5 Nous nous proposons de qualifier cette écriture qui magnifie le pays et ce ,,peuple grouillant et fraternel"6 de ,,style algérien" qui répond en écho aux premiers textes d'Albert Camus. Jean Grenier écrit que ,,Camus est le poète de l'aurore [...] parce que tous les commencements sont beaux pour celui qui aime la vie".7 En effet, de Noces au Premier homme, Camus chante la mémoire des origines, les premiers pas de l'homme et du monde: Des millions d'yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage et, pour moi, il était comme le premier sourire du ciel (,,Le Désert", 67). [...] Il avait grandi [...] dans la pauvreté, sur un rivage heureux et sous la lumière des premiers matins du monde (Le premier homme, 182). Camus construit son oeuvre à partir de l'aurore du monde, à partir du ,,premier soleil sur le premier matin".8 Le premier homme est l'illustration la plus évidente de cette volonté de décrire les commencements, puisque tout le récit gravite autour de l'aube d'une existence, de la naissance aux premières expériences, aux premières sensations algériennes. Ce dernier roman est le roman des premières fois: jusqu'ici, Camus n'avait jamais décrit la naissance d'un enfant, ni même le monde de l'enfance. Le seul petit garçon de son oeuvre est le fils du juge Othon, martyr de la peste, physiquement absent mais présent par la réflexion qu'engendre son combat contre le fléau. Le premier homme décrit enfin cet univers, l'enfance, l'aurore de la vie d'un homme, à l'aide d'une écriture ample et large qui dit la communion; ainsi, dès l'incipit du roman, qui met en scène la naissance, le premier regard d'un enfant sur son premier jour, la phrase calque les événements; la nature, les personnages et l'écriture se caractérisent par une certaine lenteur: à l'image des nuages, dont elles reproduisent sur le papier la course dans le ciel, les phrases du premier paragraphe sont à la fois allongées par l'enchâssement des propositions, les parallélismes entre les participes: ,,gonflés" [...] attendu [...] ébranlés [...]survolé [...] effilochés [...] reformés [...] (PH, 11), et ralenties par l'emploi du plus-que-parfait ,,avaient attendu", et des expressions telles que ,,lentement", ,,une course de milliers de kilomètres", ,,pendant des millénaires" (PH, 11). Le texte et la nature fonctionnent de concert, c'est-à-dire lentement, comme si le temps était suspendu, en attente de la naissance, de l'avènement de Jacques. Le premier homme se présente donc comme un chant de l'aurore, puisqu'il met en scène dans l'oeuvre de Camus les premiers balbutiements d'un homme. L'adjectif ,,premier" traverse tout le texte: ,,première fois" (PH, 18, 160, 253); la tombe d'Henri est ,,une pierre dans la première rangée" (PH, 29); les ,,premières [parades impossibles]" (PH, 47); ,,premières allée transversales" (PH, 51); ,,premiers champs" (PH, 103); ,,premières pentes" (PH, 104), ,,premier jour" (PH, 131); ,,première obscurité" (PH, 172); ,,premier départ vers le lycée" (PH, 185); les ,,premières recréations" (PH, 205); ,,la première année" (PH, 232); ,,la première pluie de septembre" (PH, 238). 158 Dossier Le premier homme décrit les commencements, les premières fois de Jacques, mais aussi l'aube d'une nouvelle vie pour tout un peuple: Affrontés à ... dans l'histoire la plus vieille du monde nous sommes les premiers hommes - non pas ceux du déclin comme on le crie dans [un mot illisible] journaux mais ceux d'une aurore indécise et différente" (note, 321) Ce ,,nous" semble représenter le peuple algérien qui, ayant vécu toutes races mêlées jusqu'alors, doit affronter les bouleversements de l'Histoire, les divisions, et aborder une nouvelle ère: le choix de l'indépendance ouvre sur une autre existence, imprécise encore, pleine de doutes et d'interrogations. Camus mêle dans la même écriture l'aube d'un homme nouveau et l'aube d'un peuple nouveau. Avec Le premier homme, Camus choisit à nouveau de chanter le ,,premier sourire du ciel", ,,le soleil du premier matin", comme il l'a fait dans Noces. Mais si l'aurore n'a guère changé depuis ces premiers essais, le lyrisme est-il toujours le même? La prose de Noces n'est pas spontanée mais freinée et travaillée, à la fois ,,sensuelle, frémissante et comme désincarnée pourtant à force de maîtrise".9 Les phrases sont tendues, ,,étranglées", comme le suggère l'épigraphe qui résume pertinemment l'esprit des nouvelles: Le bourreau étrangla le cardinal Carrafa avec un cordon de soi qui se rompit: il fallut y revenir deux fois. Le cardinal regarda le bourreau sans daigner prononcer un mot. Stendhal, La Duchesse de Palliano (Noces, 9) Tout l'art de Camus consiste à privilégier la mesure et à vaincre son tempérament méditerranéen qui le porte vers l'excès, le lyrisme; le vocabulaire choisi pour rédiger la préface...
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« 158 Dossier DossierDossier Dossier capables de sentir, de penser et d’agir.“ 5 Nous nous proposons de qualifier cette écriture qui magnifie le pays et ce „peuple grouillant et fraternel“ 6 de „style algé- rien“ qui répond en écho aux premiers textes d’Albert Camus.

Jean Grenier écrit que „Camus est le poète de l’aurore […] parce que tous les commencements sont beaux pour celui qui aime la vie“. 7 En effet, de Noces au Premier homme, Camus chante la mémoire des origines, les premiers pas de l’homme et du monde: Des millions d’yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage et, pour moi, il était comme le premier sourire du ciel („Le Désert“, 67).

[…] Il avait grandi […] dans la pauvreté, sur un rivage heureux et sous la lumière des premiers matins du monde (Le premier homme, 182).

Camus construit son œuvre à partir de l’aurore du monde, à partir du „premier so- leil sur le premier matin“. 8Le premier homme est l’illustration la plus évidente de cette volonté de décrire les commencements, puisque tout le récit gravite autour de l’aube d’une existence, de la naissance aux premières expériences, aux pre- mières sensations algériennes.

Ce dernier roman est le roman des premières fois: jusqu’ici, Camus n’avait ja- mais décrit la naissance d’un enfant, ni même le monde de l’enfance.

Le seul petit garçon de son œuvre est le fils du juge Othon, martyr de la peste, physiquement absent mais présent par la réflexion qu’engendre son combat contre le fléau.

Le premier homme décrit enfin cet univers, l’enfance, l’aurore de la vie d’un homme, à l’aide d’une écriture ample et large qui dit la communion; ainsi, dès l’incipit du ro- man, qui met en scène la naissance, le premier regard d’un enfant sur son premier jour, la phrase calque les événements; la nature, les personnages et l’écriture se caractérisent par une certaine lenteur: à l’image des nuages, dont elles reprodui- sent sur le papier la course dans le ciel, les phrases du premier paragraphe sont à la fois allongées par l’enchâssement des propositions, les parallélismes entre les participes: „gonflés“ […] attendu […] ébranlés […]survolé […] effilochés […] refor- més […] (PH, 11), et ralenties par l’emploi du plus-que-parfait „avaient attendu“, et des expressions telles que „lentement“, „une course de milliers de kilomètres“, „pendant des millénaires“ (PH, 11).

Le texte et la nature fonctionnent de concert, c’est-à-dire lentement, comme si le temps était suspendu, en attente de la nais- sance, de l’avènement de Jacques.

Le premier homme se présente donc comme un chant de l’aurore, puisqu’il met en scène dans l’œuvre de Camus les premiers balbutiements d’un homme.

L’adjectif „premier“ traverse tout le texte: „première fois“ (PH, 18, 160, 253); la tombe d’Henri est „une pierre dans la première rangée“ (PH, 29); les „premières [parades impossi- bles]“ (PH, 47); „premières allée transversales“ (PH, 51); „premiers champs“ (PH, 103); „premières pentes“ (PH, 104), „premier jour“ (PH, 131); „première obscurité“ (PH, 172); „premier départ vers le lycée“ (PH, 185); les „premières recréations“ (PH, 205); „la première année“ (PH, 232); „la première pluie de septembre“ (PH, 238).. »

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