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LE ROMAN DE L'AGE BAROQUE

Publié le 12/02/2018

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LE ROMAN DE L'AGE BAROQUE

La notion si discutée de baroque présente un avantage hors de discussion : elle permet de considérer comme une époque originale de l'histoire et de l'histoire de l'art le demi-siècle environ qui précède le classicisme en France, et qui était le plus souvent appelé pré-classicisme comme s'il n'avait eu de sens que par ce qui l'a suivi. Cette époque s'étendra pour nous de l'entrée d'Henri IV à Paris (1594) à la mort de Mazarin (1661) : dates indicatives, cela va de soi, et non limites infran­chissables. L'esthétique baroque a été jusqu'à présent définie surtout d'après l'architecture, la peinture, le théâtre et la poésie lyrique : l'application de ses critères au genre romanesque amènerait sans doute une réévaluation d'œuvres très mal connues de nos jours, et que les livres si attentifs de G. Reynier et de

M. Magendie 1 n'ont pas rendues plus accessibles, parce qu'ils les ont jugées selon les méthodes qui traditionnellement aboutissaient à consacrer la suprématie des chefs-d'œuvre. M. Magendie a substitué au tableau tracé par Brunetière $, « construction factice % puisqu'elle ne tenait compte que de L' Astrée, de Cassandre et du Grand Cyrus, un inventaire très riche, mais où l'esprit se perd malgré sa classification rationnelle : a il y a dans le roman, au début du aune siècle, beaucoup de confusion et d'enchevêtrement ,, dit-il; mais avant que les notions récemment

1. G. REYNIER, Le Roman sentimental avant L' Astrée, Paris, 1908. M. MAGENDŒ, Le Roman français au XVII• siècle, de L'Astrée au Grand Cyrus, Paris, 1932.

2. Études critiques, 4, série.


introduites dans la critique littéraire puissent débrouiller ce chaos dont la pers­picacité et l'exceptionnelle érudition de M. Magendie n'ont pas triomphé, il faudrait d'une part un catalogue complet des thèmes et des situations, d'autre part des études particulières de chaque œuvre considérée comme ayant sa loi et son but en elle-même, et de chaque romancier comme créateur indépendant : sinon l'impatience et l'ironie que laissait percer M. Magendie devant un système d'idées générales « sans aucun rapport avec la complexité des choses » seraient encore plus justifiées devant l'arbitraire d'une esthétique transcendante. Qu'il nous suffise de suggérer ici l'utilité que peuvent avoir les catégories énoncées par Wœlffi, de présentation en profondeur, de forme ouverte, d'unité globale, de clarté moindre - en n'oubliant pas que le baroque tel que l'entend Wœlffin succède à un classicisme alors que dans notre littérature le classicisme vient après le baroque -, et encore plus les critères établis par J. Rousset d'instabilité, de mobilité, de métamorphose, de domination du décor. Les intrigues embrouillées, le brassage du présent et du passé, la violence, le sang, les travestis, les identités dissimulées, les outrances d'expression et de sentiment, l'exotisme, les descriptions luxuriantes, les événements inattendus qui caractérisent les romans de cette époque seraient expliqués, dans la mesure du possible, par un même principe, comme l'ont été les traits souvent similaires de la tragi-comédie ou de l'opéra : d'ailleurs les divers genres font des échanges entre eux; plusieurs romans sont tirés de l'Arioste et du Tasse; beaucoup à leur tour fournissent des sujets de tragi-comédies ou de tragédies. La notion de baroque, appliquée à ces œuvres, en deviendrait probablement elle-même encore plus complexe et nuancée, sinon encore plus obscure.

 

Presque tous les romans de cette époque ont un trait commun : ce sont des romans de la parole apprêtée; au xvxe siècle le récit était parlé, la rédaction écrite avait soin de conserver le rythme et l'accent de la voix, la spontanéité de la verve; pendant l'âge baroque la verve du conteur disparaît; au contact direct entre l'esprit et le réel se substitue la mise en forme du réel par l'esprit; au mot et à l'image succèdent la phrase et la métaphore, à l'exubérance-, l'incantation. On peut sourire du mauvais goût délirant qui a rendu proverbial le style de Nervèze, et il serait injuste et absurde de confondre avec l'amphigouri de ses contemporains ce qui sera plus tard la vraie préciosité; comme le fait remarquer A. Adam, << Made­leine de Scudéry eût été bien étonnée d'apprendre que les historiens ne feraient pas de différence entre son œuvre et celle de Nervèze ou de La Serre 1 >> : mais au fond le même idéalisme inspire les outrances ridicules et les délicatesses de l'expres­sion; extravagants ou sensés, les romanciers veulent voir au-delà des apparences immédiates; ils transfigurent la réalité grossière ou l'écartent par le style pour exalter le sublime des âmes; les sentiments intransigeants et purs, la volonté qui dirige le cœur s'expriment dans un langage élevé, aux tournures recherchées, qui offre à la parodie une cible facile, mais qui n'est pas mensonge pur et simple. Le roman pour ces écrivains est en effet un poème, et sa vérité une vérité poétique. Si le romanesque exagéré se caractérise par son emphase et son invraisemblance, le romanesque juste lui-même ne saurait se passer d'une certaine mise en scène

« introduites dans la critique littéraire puissent débrouiller ce chaos dont la pers­ picacité et l'exceptionnelle érudition de M.

Magendie n'ont pas triomphé, il fa udrait d'une part un catalogue complet des thèmes et des situations, d'autre part des études particulières de chaque œuvre considérée comme ayant sa loi et son but en elle-même, et de chaque romancier comme créateur indépendant : sinon l'impatience et l'ironie que laissait percer M.

Magendie devant un système d'idées générales « sans aucun rapport avec la complexité des choses » seraient encore plus justifiées devant l'arbitraire d'une esthétique transcendante.

Qu'il nous suffise de suggérer ici l'utilité que peuvent avoir les catégories énoncées par Wœl ffi, de présentation en profondeur, de forme ouverte, d'unité globale, de clarté moindre -en n'ou bliant pas que le baroque tel que l'entend Wœlffin succède à un classicisme alors que dans notre littérature le classicisme vient après le baroque -, et encore plus les critères établis par J.

Rousset d'instabilité, de mobilité, de métamorphose, de domination du décor.

Les intrigues embrouillées, le brassage du présent et du passé, la violence, le sang, les travestis, les identités dissimulées, les outrances d'expression et de sentiment, l'exotisme, les descriptions luxuriantes, les événements inattendus qui caractérisent les romans de cette époque seraient expliqués, dans la mesure du possible, par un même principe, comme l'ont été les traits souvent similaires de la tragi-comédie ou de l'opéra : d'ailleurs les divers genres font des échanges entre eux; plusieurs romans sont tirés de l'Arioste et du Tasse ; beaucoup à leur tour fournissent des sujets de tragi-comédies ou de tragédi es.

La notion de baroque, appliquée à ces œuvres, en deviendrait probablement elle-même encore plus complexe et nuancée, sinon encore plus obscure.

Presque tous les romans de cette époque ont un trait commun : ce sont des romans de la parole apprêtée; au xvxe siècle le récit était parlé, la rédaction écrite avait soin de conserver le rythme et l'accent de la voix, la spontanéité de la verve ; pendant l'âge baroque la verve du conteur disparaît; au contact direct entre l'esprit et le réel se substitue la mise en forme du réel par l'esprit ; au mot et à l'image succèdent la phrase et la métaphore, à l'exubérance-, l'incantation.

On peut sourire du mauvais goût délirant qui a rendu proverbial le style de Nervèze, et il serait injuste et absurde de confondre avec l'amphigouri de ses contemporains ce qui sera plus tard la vraie préciosité ; comme le fait remarquer A.

Adam,. »

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