La technique dramatique dans Oedipe roi

« E X P 0 S É S F C H E S Il -LA TECHNIQUE DRAMATIQUE DE SOPHOCLE L'originalité du schéma dramatique Elle réside dans la forme de l'enquête.

Pour un public qui, familiarisé avec le mythe, connaissait déjà le dénouement, ce qui comptait c'était la manière dont le dramaturge allait amener la révélation finale.

L'enquête offrait un schéma efficace qui permettait de ménager l'attente du public tout en dramatisant le matériau du mythe.

La pièce progresse par recoupements successifs d'indices qui vont opérer le rapprochement entre des faits disjoints : le carrefour où Œdipe a tué et celui où a été tué Laïos, le moment où se sont déroulés ces deux crimes qui n'en font qu'un, les témoignages du messager et du serviteur, les deux oracles faits à Œdipe et son père.

Originale encore, la trajectoire de l'enquête.

Ici, c'est l'enquêteur qui est le cou­ pable, schéma qu'exploitera ultérieurement le roman policier : on peut penser au Meurtre de Roger Ackroyd d'Agatha Christie ou aux Gommes d' A.

Robbe-Grillet.

Enfin, !'enquête se présente comme une lente remontée dans le temps, le dévoile­ ment progressif d'un passé enfoui qui débouche sur la découverte par le héros de ses origines.

L'enquête se fait ici quête intérieure de soi et de sa propre identité.

La technique du coup de théâtre La pièce multiplie les coups de théâtre qui tiennent en haleine le spectateur.

Aristote définit ainsi ce procédé:« le renversement qui inverse l'effet des actions ( ...

).Par exemple, dans l'Œdipe, quelqu'un vient pour réconforter Œdipe et le déli­ vrer de ses craintes au sujet de sa mère ; mais, en lui révélant son identité, il fait l'inverse ».

Autre coup de théâtre : la confidence de Jocaste qui, pour rassurer Œdipe dans le deuxième épisode et prouver le caractère incertain des oracles, lui raconte la mort de Laïos tué par des brigands.

Récit qui va déclencher l'angoisse d'Œdipe et l'aveu du meurtre qu'il a commis.

Pareillement, l'entrevue avec Tiré­ sias produit l'effet inverse de celui escompté par Œdipe.

Dernier coup de théâtre, la scène avec le serviteur de Laïos qui, loin de disculper Œdipe en confirmant sa naissance obscure, lui apprend qu'il est le fils de Laïos.

La multiplication des coups de théâtre est plus qu'un artifice théâtral.

Elle exprime l'opacité d'un monde que les hommes ne comprennent pas et ne parviennent pas à maîtriser.

Une tragédie du renversement Toute la pièce n'est au fond qu'un coup de théâtre au sens d'Aristote, débouchant sur le renversement de la situation initiale.

Le turannos devient la souillure qu'il faut expulser, le sauveur la cause de la perte de la cité, le souverain qui s'est égalé aux dieux le dernier des hommes, l'enquêteur arrogant le coupable, l'étranger venu de Corinthe un enfant de Thèbes, etc.

« Œdipe roi est d'un bout à l'autre un ren­ versement à grande échelle, étendu aux dimensions de tout un drame », écrit K.

Reinhardt dans son Sophocle (Minuit, p.

137).

Conclusion : Une esthétique qui traduit une éthique.

Comme lécrit J.-P.

Vernant dans Mythe et tragédie (p.131, Maspéro):« Quand il veut, à la façon d'Œdipe, mener jusqu'au bout l'enquête sur ce qu'il est, l'homme se découvre énigmatique, sans consistance ni domaine qui lui soit propre, sans point d'attache fixe, sans essence définie, oscillant entre l'égal à dieu et l'égal à rien.

Sa vraie grandeur consiste dans cela même qui exprime sa nature d'énigme: l'interrogation.». »