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La vie devant soi

Publié le 02/05/2015

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REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE UNIVERSITE MENTOURI : CONSTANTINE FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES DEPARTEMENT DE LANGUE ET LITTERATURE FRANçAISES N° d'ordre: N° de série: Mémoire de Magister Option: Littératures de langue française et interculturalité Intitulé Romain Gary ou la multiplicité de soi Du roman autobiographique au roman autofictionnel dans La promesse de l'aube et La vie devant soi Présenté par: Belguechi Mounia Sous la direction du Docteur Nedjma Benachour, Maitre de conférences à l'Université Mentouri, Constantine Devant le jury: -Président: Kamel Abdou, Maitre de conférences,Université de Constantine. -Rapporteur: Nedjma Benachour, Maitre de conférences,Université de Constantine. -Examinateur: Ahmed Cheniki, Maitre de conférences,Université d'Annaba. -Examinateur: Jamel Ali-Khodja, Maitre de conférences,Université de Constantine. Novembre 2006 Remerciements: Ce travail n'aurait pu être accompli sans l'aide généreuse de ma directrice de recherche, le Docteur Nedjma Benachour. Je la remercie pour tout le temps qu'elle m'a accordée ainsi que pour l'aide morale et scientifique qu'elle a apportée tout au long d'une recherche semée d'embûches. Je demande à l'honorable jury son indulgence pour le modeste travail que je présente et les remercie des efforts qu'ils auront fourni à le lire. Je remercie aussi vivement tous les professeurs et enseignants qui m'ont suivie tout au long de ma formation en graduation, puis, en post-graduation au sein de l'Université Mentouri. J'ai pour les enseignants Nedjma Benachour, Djamel Ali khoudja et Kamel Abdou une gratitude particulière, car c'est à travers leurs cours et leurs motivations dans le dur métier de l'enseignement que j'ai décidé de suivre le parcours qui m'a mené jusqu'ici. Je remercie également ma famille, en particulier ma mère, mon frère, mes grands parents, mes oncles, mes tantes et mes cousins d'ici et d'ailleurs, qui ont malgré eux aidé à l'élaboration de ce mémoire de Magister. Enfin, un grand merci à mes amis qui ont su me pousser, m'encourager souvent même m'aider à continuer lorsque le courage me manquait. A tous ceux-là, sans oublier feu mon père, je dédie, mon mémoire de Magister et ma modeste collaboration dans la recherche scientifique. Sommaire Introduction générale ................................................................04 Première partie: Aspects théoriques:.......................................................11 I-1 L'Autobiographie...................................................................13 I-2 L'Autofiction........................................................................19 I-2-a- L'histoire ré-ecrite................................................................25 I-3 Le pseudonymat selon G.Genette..................................................27 I-4 L'intertextualité.....................................................................32 I-5 Le personnage selon P.Hamon....................................................34 Deuxième partie: II- Découverte de l'auteur:.............................................37 II-1 rencontre avec Romain Gary....................................................38 II-2 La recherche du Pseudonyme.....................................................46 II-3 "La défense Ajar".................................................................49 II-4 La révélation.......................................................................53 Troisième partie: III- Analyses des deux romans:.....................................58 III-1 Analyse de l'autofiction dans La Promesse de l'Aube......................59 III -2 De La promesse de l'aube à La vie devant soi..............................63 -Du roman autobiographique à l'autofiction III -3-1 Portrait des personnages de La promesse de l'aube........................65 III -3-1-a Le Narrateur .........................................................66 Romain (Roman) La naissance d'Ajar.................................................72 Le père...............................................................74 Nice, où le rêve matérialisé.......................................75 La mort de Mina....................................................81 III -3-1-b La mère (Mina)......................................................82 Un destin prévu......................................................83 Mina et la France...................................................85 Victor Hugo, un modèle à suivre.................................87 III -3-2- Portrait des personnages de La vie devant soi Aspects intertextuels......................................................89 III -3-2'- Le langage de La vie devant soi...................................92 III -3-2-a Le narrateur (Momo)...............................................93 La peur de la solitude..............................................96 La référence à la ville de Nice....................................99 Brassage culturel et alternance codique........................101 La peur de la mort.................................................102 Similitudes entre Mina et Rosa................................. 104 Le compagnon fidèle..............................................105 L'influence de Victor Hugo sur l'auteur.........................109 Rencontre avec Nadine, substitut maternel, ou le pouvoir de remonter le temps................................................112 Le père..............................................................115 "Le nez Juif", signe d'appartenance ethnique .................118 La fin de Madame Rosa...........................................120 III -3-2-b Le personnage de Madame Rosa De la fiction à l'autobiographie.................................122 Le "trou juif".......................................................124 Conclusion générale..............................................................130 Bibliographie........................................................................134 Annexes:..............................................................................138 Entretien posthume avec Romain Gary...........................................138 Gary, la promesse de l'éternité (article, journal "Le monde")..................143 Fièvre sensuelle, (article, journal "Le monde")...................................145 Il y a trente ans, le coup d'éclat d'Emile Ajar(article, "La République des Lettres")................................................................................147 Entretien avec Serge Doubrovsky...................................................149 Romain Gary-Emile Ajar, lui est l'autre, La vie devant soi, par Aîcha Kassoul, journal "El Watan", le 15 septembre 2005.........................................160 Résumé "Il y avait une fois un caméléon, on l'a mis sur du vert et il' est devenu vert, on l'a mis sur du bleu et il' est devenu bleu, on l'a mis sur du chocolat et il' est devenu chocolat et puis on l'a mis sur un plaid écossais et le caméléon a éclaté." 1 "La vérité est que j'ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l'homme: celle de la multiplicité (...) Je me suis toujours été un autre. (...) c'était une nouvelle naissance. Je recommençais. Tout m'était donné encore une fois. J'avais l'illusion parfaite d'une nouvelle création de moi-même par moi même."2 1 Romain Gary, La nuit sera calme, Récit, Gallimard, 1974(folio n° 719), La citation est reprise avec quelques transformations dans La promesse de L'aube, édition Gallimard, Paris 1960. p. 121. 2 Vie et mort d'Emile Ajar, Gallimard, 1981, p. 29, 30. Introduction générale: Il est des auteurs qui ont plus marqué leur temps que d'autres. Romain Gary, l'écrivain sur lequel porte notre travail n'a pas eu le succès qu'il mérite de son vivant. Il fut biensûr remarqué, même récompensé par plusieurs prix littéraires, dont deux prix Goncourt, mais jamais ne fut considéré comme faisant partie de ces auteurs qui ont fait la littérature. Voulant prouver son génie aux professionnels, dans les institutions culturelles mais aussi au monde entier, il usera du pseudonyme d'Emile Ajar, qui sera plus tard qualifié de supercherie littéraire. Grâce à cette deuxième identité, il pourra se repositionner sur les devants de la scène littéraire en tant que jeune auteur qui a tout à prouver. Aujourd'hui, et depuis quelques années déjà, Romain Gary fait parler de lui. Enfin, il suscite de l'intérêt. Des livres, des articles3, des émissions culturelles4, des biographies5 et des colloques6 lui sont consacrés, comme pour reconnaître finalement, la virtuosité et le génie qui le caractérisent. Au cours de cette recherche axée sur la quête identitaire, nous nous penchons sur la présence de l'auteur dans ses oeuvres. En effet, nous avons remarqué que Gary fait souvent partie des personnages qu'il met en scène, jouant sur la perception qu'il veut donner au lecteur. 3 Voir annexes. 4 Des reportages ont été consacrés à l'auteur dans Campus, programme littéraire sur France2 en 2003, l'émission sera rediffusée en 2004. Pour les 25 ans du décès de l'auteur, plusieurs programmes ont repris la vie de Romain Gary, son parcours littérairen mais aussi amical et familial. Nous citons un documentaire diffusée par France5 le 04 décembre 2005 et intitulé "En quête de Romain Gary". Documentaire d'Olivier Mille et André Asséo (1997), coproduit par France 3 et Artline Films. 5 Myriam Anissimov, Romain Gary le caméléon, Editions Denoel, Paris 2004. Les actes du premier colloque international consacré à Romain Gary, organisé en Sorbonne les 26 et 27 mai 2000, par l'Université de Paris III -Sorbonne- Nouvelle et l'association "Les Mille Gary" sont repris sous la direction de Mireille Sacotte dans Romain Gary et la pluralité des mondes, Editions Presses Universitaires de France, Paris 2002. 6 A travers deux de ses oeuvres, La promesse de l'Aube7 - récit considéré comme autobiographique- et La vie devant soi 8- roman publié sous la plume d'Emile Ajar-, nous allons tenter de démontrer que ce dernier roman n'est en fait qu'une mise en fiction de la vie de Gary. Ainsi, la problématique que s'assigne ce travail est de démontrer que La promesse de l'Aube est un roman autobiographique à partir duquel fut inspirée l'autofiction de La vie devant soi. Mais aussi que cette charge autofictionnelle représente l'extériorisation de toutes les angoisses personnelles de l'auteur, qui, pour les exprimer, eut recours au dédoublement. Ce travail comporte trois parties. La première est théorique et convoque les outils nécessaires à l'analyse. Ainsi, nous avons dans un premier temps fait référence à l'autobiographie selon Philippe Lejeune, puisque notre objectif pour La promesse de l'Aube est de démontrer qu'elle n'est pas une autobiographie mais un roman autobiographique qui fait appel à la fiction. Par la suite, la référence à l'autofiction selon Doubrovsky, Ph.Lejeune et Ph.Gasparini fut nécessaire. En effet, il s'agissait de démontrer par l'analyse intratextuelle des deux textes que l'auteur s'est inspiré de ses propres expériences pour réaliser cette fiction. Nous tenterons de prouver que le dit roman n'est en réalité qu'une évacuation des craintes profondes de l'auteur, qu'il tente d'exorciser à travers une écriture autofictionnelle. Pour mener cette analyse comparative, l'appel à la théorie concernant l'intertextualité s'impose. Pour ce faire, la référence aux travaux de Riffaterre et ceux de G.Genette démontre que La vie devant soi peut être perçue comme l'hypertexte de La promesse de l'Aube. L'étude des personnages impose un autre choix théorique: les travaux de Ph.Hamon. A partir de cette étude, nous avons pu comparer les 7 8 Récit, édition Gallimard, Paris 1960. Édition définitive en 1980. "Folio", n° 373. Roman, Mercure de France, 1975. Repris dans "Folio", n° 1362. similitudes entre les deux couples, mère/enfant, auxquels nous nous sommes intéressée. Aux termes de cette première partie, nous avons recouru à l'explication du besoin de pseudonymat selon G.Genette. En effet, l'analyste démontre que les oeuvres signées du pseudonyme sont plus avouées, plus reconnues parce que l'auteur s'y reconnaîtrait lui-même davantage. Dans la deuxième partie de ce travail, nous avons jugé utile de présenter l'auteur. D'abord, parce qu'il ne bénéficie pas de la renommée qu'il mérite, ensuite, pour démontrer le besoin qu'il éprouve de se représenter dans les oeuvres citées. En effet, à partir de cette étude, nous avons remarqué que l'auteur éprouvait le besoin quasi obsessionnel de se mettre en scène, mais aussi de prouver au monde sa qualité d'auteur. Romain Gary peut en effet être qualifié de narcissique, par ce besoin vital qu'il ressent de se multiplier, mais aussi pour montrer qu'il est toujours capable de génie et de créativité. Il se dévoile enfin dans Vie et mort d'Emile Ajar 9: " (...). On m'avait fait une gueule; peut-être m'y prêtais-je inconsciemment. C'était plus facile: l'image était toute faite, il n'y avait qu'a prendre place. Cela m'évitait de me livrer (...). Recommencer, revivre, être un autre fut la grande tentation de mon existence (...). La vérité est que j'ai été très profondément atteint par la plus vieille tentation protéenne de l'homme: celle de la multiplicité (...) Je me suis toujours été un autre. Dans un tel contexte psychologique, la venue au monde, la courte vie et la mort d'Emile Ajar sont peut-être plus faciles à expliquer que je ne l'ai d'abord pensé moi-même: c'était une nouvelle naissance. Je recommençais. 9 Vie et mort d'Emile Ajar, Gallimard, 1981 Tout m'était donné encore une fois. J'avais l'illusion parfaite d'une nouvelle création de moi-même par moi même."10 La révélation quant à la supercherie requiert sa part dans notre travail. Pourtant, l'auteur dévoile ne jamais s'être caché. Tout ce qu'a écrit Ajar est présent dans l'oeuvre de Gary. L'auteur ne comprenait pas et n'admettait pas le manque de clairvoyance des lecteurs et des professionnels. Il dira à propos de Pseudo11, récit qui fut qualifié par les critiques d'oeuvre vomie: "Bonne mère! S'il est un livre de vieux professionnels, c'est bien Pseudo: la rouerie consistait à ne pas la laisser sentir. Car il se trouve que ce roman de l'angoisse, de la panique d'un jeune face à la vie devant lui, je l'écrivais depuis l'âge de vingt ans, l'abandonnant et le recommençant sans cesse, traînant les pages avec moi à travers guerres, vents, marées et continents, de la toute jeunesse à l'âge mûr, tant et si bien que mes amis d'adolescence, François Bondy et René Agid, reconnurent dans Pseudo, à quarante ans de distance, deux passages que j'avais gardés de mon Vin des morts12, celui des flics-insectes froufroutants dans le bordel, et celui du Christ, de l'enfant et de l'allumette, que je leur avais lu dans ma chambre d'étudiant, rue Rollin, en 1936."13 La troisième partie enfin, est consacrée à l'analyse des couples: Roman/Mina et Rosa/Momo. Cette analyse constitue le coeur même de notre travail. En effet, c'est à partir de là que nous pouvons vérifier l'authenticité de notre théorie, selon laquelle, Romain Gary- éprouvant l'éternel besoin de plaire, mais aussi de se dire- fait de son autobiographie, un roman, et d'un roman, une autofiction. La vie devant soi étant l'hypertexte de La promesse de l'aube. 10 Ibid., p. 28, 29. Récit, Mercure de France, 1976. 12 Roman, 1937. (OEuvre de jeunesse inédite). 13 Vie et mort d'Emile Ajar, p.20. 11 La supercherie dont il a usé n'est pourtant pas bien voilée, il ponctuera le texte de La vie devant soi d'indices, qui permettent d'identifier le véritable auteur du récit. La révélation, sera même quasi avouée dans Pseudo. Mais comme l'avait dit Gary lui-même " qui donc avait lu parmi les professionnels": "Je ne me suis pas trompé: aucun des critiques n'avait reconnu ma voix dans Gros câlin14. Pas un, dans La vie devant soi15. C'était, pourtant, exactement la même sensibilité que dans Education européenne16, Le grand vestiaire17, La promesse de l'aube18, et souvent les mêmes phrases, les mêmes tournures, les mêmes humains. Il eut suffit de lire La danse de Gengis Cohn19 pour identifier immédiatement l'auteur de La vie devant soi. Les jeunes gens amis du jeune héros de L'angoisse du roi Salomon20 sont tous sortis d'Adieu Gary Cooper21 : le personnage de Lenny dans ce dernier roman parle et pense exactement comme Jeannot dans Le Roi Salomon: c'est ce qu'avait fait remarquer a mon fils Hugues Moret alors âgé de 17 ans et élève au Lycée Victor Duruy. Tout Ajar est déjà dans Tulipe22. Mais qui donc l'avait lu, parmi les "Professionnels"?"23 Pour finir Vie et mort d'Emile Ajar il dira : " Les échos qui me parvenaient des dîners dans le monde où l'on plaignait ce pauvre Romain Gary qui devait se sentir bien triste, un peu jaloux de la montée météorique de son cousin Emile Ajar au firmament littéraire, alors que lui-même avait avoué son déclin dans Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable... 14 Roman, Mercure de France, 1974 (Folio n° 906). Roman, , Mercure de France, 1975, (Folio n° 1362). 16 Roman, Calmann Lévy, 1945. Nouvelle 2dition, Gallimard, 1961(Folio n° 203). 17 Roman, Gallimard, 1949 (Folio n° 1678). 18 Roman, Gallimard, 1960. Édition définitive, Gallimard, 1980 (Folio n° 373). 19 (Frères Océan II), roman, Gallimard, 1967 (Folio n° 2730). 20 Roman, Mercure de France, 1979 (Folio n° 1797). 21 Roman, Gallimard, 1969 (Folio n° 2328). 22 Récit, Calmann lévy, 1946. Édition définitive, Gallimard, 1970 (Folio n°3197). 23 Vie et mort d'Emile Ajar, op-cité, p. 18. 15 Je me suis bien amusé. Au revoir et merci."24 Quelque mois après cette déclaration, las du personnage qu'il s'est inventé et de la vie qu'il ne supportait plus, l'auteur se donnera la mort le 2 décembre 1980 en se tirant une balle dans la bouche. L'homme n'a pas résisté au suicide de son ancienne épouse, l'actrice américaine Jean Seberg. Une mort, en somme, spectaculaire dans la forme comme dans la violence. 24 Ibid, p. 43. Première Partie: Aspects théoriques: Le travail que nous tentons d'accomplir s'intéresse à deux oeuvres majeures de Romain Gary, à savoir La promesse de l'aube parue sous le nom de Romain Gary et La vie devant soi, éditée sous le pseudonyme d'Emile Ajar. La première oeuvre est une autobiographie qui a la particularité d'être truffée de mythes. La seconde, parue en 1975 comme roman, avec sur la couverture le nom énigmatique d'Emile Ajar est quant à elle sujette à interrogations. Elle est en fait chargée d'éléments qui poussent à penser que le dit récit n'est en réalité qu'une unième fictionnalisation de la vie de Romain Gary. Ainsi, nous définirons dans un premier temps l'autobiographie en tant qu'élément majeur de notre étude. Puis, nous nous intéresserons à la théorie de l'autofiction; genre initié par Serge Doubrovsky et qui s'intéresse à la fictionnalisation de l'autobiographie. Nous ferons appel à d'autres théories prônées par P.Hamon où encore G.Genette qui concernent à la fois l'étude du personnage et la quête du pseudonymat. Enfin, nous nous intéresserons à l'intratextualité, qui est un élément principal dans cette étude consacrée à Romain Gary. I-1- L'Autobiographie: Selon Le pacte autobiographie25 de Philippe Lejeune, la définition sommaire de l'autobiographie est: "Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité."26 Cette définition établie par Lejeune met en jeu des éléments appartenants a quatre catégories différentes: 1. forme du langage: a)récit. b) en prose. 2. Sujet traité: vie individuelle, histoire d'une personnalité. 3. Situation de l'auteur: identité de l'auteur (dont le nom renvoie à une personne réelle) et du narrateur. 4. Position du narrateur: a) Identité du narrateur et du personnage principal. b) Perspective rétrospective du récit. "Est une autobiographie toute oeuvre qui remplit à la fois les conditions indiquées dans chacune des catégories. Les genres voisins de l'autobiographie ne remplissent pas toutes ces conditions."27 Ainsi, le sujet de l'autobiographie doit être principalement la vie individuelle, la genèse de la personnalité. 25 Le pacte autobiographique .Nouvelle édition augmentée, Philippe Lejeune, éditions du Seuil, Paris,1975, 1996. 26 Ibid., p. 14. 27 Ibid., p. 14. Dans La promesse de l'aube, l'identité du narrateur, personnage principal, se marque par l'emploi de la première personne. Dans ce récit, Roman est l'auteur, le narrateur et le personnage principal. C'est ce que Lejeune, s'inspirant de Figures III28 de Gérard Genette appelle, la narration "autodiégétique". Ainsi le "Je" employé de manière privilégiée dans l'oeuvre constitue la " personne grammaticale". Nous sommes face a ce que Lejeune appelle "l'Autobiographie classique", dite autodiégétique. S'interrogeant sur la différence entre l'autobiographie et le roman autobiographique, Lejeune fait remarquer que sur le plan de l'analyse interne, il n'y a pas de différence: " Tous les procédés que l'autobiographie emploie pour nous convaincre de l'authenticité de son récit, le roman peut les imiter, et les a souvent imités." 29 La différence, selon lui, réside dans "Le pacte autobiographique", où l'identité du personnage principal renvoie à celle de l'auteur/narrateur, et dont le nom figure sur la couverture de l'oeuvre. Pourtant, des auteurs s'amusent à brouiller les pistes entre le genre autobiographique et l'autobiographie déguisée en fiction, ce que nous remarquons dans La promesse de l'aube. A ce propos, André Gide, soutient dans Si le grain ne meurt30: " Les mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères, (...) même approche-t-on de plus près de la vérité dans le roman." Se référant à G. Genette et en définissant le statut du narrateur à la fois par son niveau narratif et par sa relation à l'histoire, nous serions face 28 Figures III, Gérard Genette, éditions du Seuil, Paris, 1972. Le pacte autobiographique, p. 26. 30 Si le grain ne meurt, André Gide, Gallimard, Folio, Paris 1972. p. 278. 29 à un statut extradiégétique-homodiégétique; où, comme dans La promesse de l'aube, le narrateur au premier degré raconte sa propre histoire. L'acte extradiégétique étant selon Genette : " Tout événement raconté par un récit est à un niveau diégétique immédiatement supérieur à celui où se situe l'acte narratif producteur de ce récit. (...) un acte accompli à un premier niveau, que l'on dira extradiégétique."31 Le terme homodiégétique est le nom donné par G. Genette au type de récit où le narrateur est présent comme personnage dans l'histoire qu'il raconte.32 Pourtant, Myriam Anissimov33 apporte les preuves que l'auteur insère dans le récit de La promesse de l'aube une grande part de mystifications. Cette assimilation de la fiction dans une autobiographie peut être qualifiée d'autofictionnalisation ou de roman autobiographique qui mélange la réalité à la fiction. Pour sa part, Lejeune introduit le terme d'"autofictionneur" dans Signes de vie34, Le Pacte Biographique 2. Il répond à ses détracteurs, persuadés que l'engagement de dire la vérité n'a aucun sens. Ces derniers se lancent soit du côté de la psychologie (critique de la mémoire, illusions de l'introspection), soit du côté de la narratologie (tout récit est une fabrication). Lejeune se demande alors: comment peut-on, au siècle de la psychanalyse, croire que le sujet peut dire la vérité sur lui-même? L'autobiographie perd sur tous les plans : elle ne peut qu'accumuler les handicaps. C'est une fiction qui s'ignore, une fiction naïve ou hypocrite, qui n'a pas conscience ou n'accepte pas d'être fiction, et qui, d'autre part, par les restrictions absurdes qu'elle 31 32 33 34 Figures III, Gérard Genette, éditions du Seuil, Paris,1972, p. 238. ibid, p. 252. Myriam Anissimov, Romain Gary le caméléon, Editions Denoel, Paris 2004. Signes de vie, Le Pacte Autobiographique 2 , Philippe Lejeune. Editions du Seuil, Paris, Mars 2005. s'impose, se prive des ressources créatrices qui seules peuvent mener, sur un autre plan, à une forme de vérité. C'est une fiction de seconde zone, pauvre, honteuse et paralysée. L'idée même du pacte autobiographique leur semble une chimère, puisqu'il suppose l'existence d'une vérité extérieure, antérieure au texte, que celui-ci pourrait copier. Il répond ainsi à ses détracteurs (qu'il ne nommera pas): "L'autobiographie s'inscrit dans le champ de la connaissance historique (désir de savoir et de comprendre) et dans le champ de l'action (promesse d'offrir cette vérité aux autres) autant que dans le champ de la création artistique. C'est un acte, qui a des conséquences réelles (...). Il y a des menteurs que l'on stigmatise. Il y a des méchants et des indiscrets, que l'on craint et que l'on punit. Il y a des vérités qui font mal. Quand au fait que l'identité individuelle, dans l'écriture comme dans la vie, passe par le récit, cela ne veut nullement dire qu'elle soit une fiction." 35 Il cite l'exemple de l'attitude "fictionnante" à partir d'une lettre que lui a envoyée un homme qui tente d'écrire son autobiographie. Dans cette lettre l'homme raconte comment, voulant écrire son autobiographie, se retrouve dans l'impossibilité de le faire : " Il m'a toujours été impossible d'écrire une véritable autobiographie; j'ai toujours écrit des histoires à partir de ma vie mais sans cesse "modifiées"; ce n'était pas la vérité toute plate, mais plutôt une vérité "transfigurée", ma vérité essentielle, plus vraie que les anecdotes strictes. A diverses reprises, j'ai tenté d'écrire, depuis cinquante ans, une autobiographie "authentique"...rien à faire, (...). Par contre je ne fais qu'écrire une autobiographie "rêvée", que j'estime plus exacte, plus vraie psychologiquement. A huit ans, je m'identifiais à Rémi de Sans Famille. J'écrivais donc l'histoire d'un troisième petit garçon qui n'était ni Rémi ni moi mais notre frère jumeau. J'ai parlé de ce problème, jadis, avec François Mauriac et Henri Bosco. Ces illustres écrivains m'ont déclaré rencontrer les mêmes difficultés et m'ont conforté dans la conviction que certains écrivains 35 Ibid, p. 37, 38. ne peuvent écrire qu'une autobiographie transfigurée, plus "vraie" que nature. J'estime que cette autobiographie "essentielle" (au sens philosophique du terme) est plus exacte. J'estime aussi qu'une telle autobiographie, présentée sous forme de " roman", touche plus les lecteurs dans la mesure où elle est "essentielle", détachée des contingences anecdotiques particulières de la vie de l'auteur. Cet aspect "essentiel" permet aux lecteurs de rêver à leur propre tour leur propre histoire non plus dans son individualité stricte, anecdotique, mais dans son "essentialité"." 36 Lejeune répond à cette lettre, ajoutant qu'il existe deux attitudes diamétralement opposées face à la mémoire. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle est une construction imaginaire, ne serait-ce que par les choix qu'elle effectue, sans parler de tout ce qu'elle invente. Cette construction, certains décident de l'observer (d'en fixer les traits avec précision, de réfléchir à son histoire, de la confronter à d'autres sources...). D'autres décident de la continuer. Certains freinent, d'autres accélèrent, et tous voient au bout de leur geste le fantôme de la vérité. Et chacun est persuadé que l'autre se trompe. Pour lui, ce correspondant, décrit la fonction constante de la littérature et du mythe. Mais rien ne dit qu'une autobiographie "authentique" doit se réduire à l'anecdote et à la contingence.37 La confusion existe. Lejeune cite le problème de classification. Comment classer un roman où le narrateur ou le héros portent un autre nom que celui de l'auteur? "Imaginons la situation désespérante d'un "autofictionneur" refusé par les éditeurs parce qu'il fait de l'autobiographie, puis par les archives autobiographiques, son dernier recours, parce qu'il fait de la 36 37 Ibid, p. 39, 40. Ibid, p. 40. fiction....La discussion est actuellement ouverte au sein de l'association. Elle passionne, elle embarrasse...."38 Il développe ses idées en ces termes: "L'hostilité et l'agacement qui entourent l'autobiographie "authentique" sont d'autant plus grands en France qu'un certain nombre d'écrivains campent, si je puis dire, "illégalement" sur son territoire. Ils mobilisent en le faisant savoir, leur expérience personnelle, parfois sous leur propre nom, et jouent ainsi avec la curiosité et la crédulité du lecteur, mais baptisent "roman" ces textes ou ils s'arrangent comme ils veulent avec la vérité. Cette zone "mixte" est très fréquentée, très vivante, et sans doute, comme tous les lieux de métissage, très propice à la création (...)."39 C'est précisément à cette catégorie d'auteurs que nous nous intéressons. Romain Gary, fait sans aucun doute partie des "autofictionneurs" dont parle Lejeune. Pour conclure ce chapitre, il s'avère que l'autobiographie postmoderne, qui intègre fiction et autobiographie, constitue à elle seule un genre nouveau. Il s'agit a présent de s'intéresser à une toute autre forme de biographie, qui, elle aussi, est sur le point de devenir un genre à part entière. Il s'agit d'autofiction. A partir d'une analyse comparative entre La promesse de l'aube et La vie devant soi, nous allons tenter de souligner les aspects et points autofictionnels reliant les deux oeuvres. Il s'agira également de souligner la part de productivité mythologique dans le récit de La promesse de l'aube, faisant de l'oeuvre nom pas une autobiographie mais un roman autobiographique. 38 39 Ibid, p. 43. Ibid, p. 44. I-2- L'Autofiction: "L'autofiction, c'est la fiction que j'ai décidé, en tant qu'écrivain, de me donner à moi-même et par moi-même, en y incorporant, au sens plein du terme, l'expérience de l'analyse, non point seulement dans la thématique, mais dans la production du texte."40 Le terme "autofiction" a été créé par Serge Doubrovsky. Il apparaît pour la première fois en 1977, dans son roman, Fils. Le terme en lui même a été forgé sur celui d' " autobiographie", mais s'oppose au genre autobiographique. A l'instar de l'autobiographie, l'autofiction implique l'identité de trois instances: Celle du romancier dont le nom apparaît sur la couverture du livre, celle du narrateur qui dit "je" et celle du personnage dont nous lisons les aventures et mésaventures. Mais à la différence de l'autobiographie, dont les évènements sont sensés être réels; l'autofiction présente d'entrée de jeu les faits relatés comme fictifs. L'auteur/narrateur se retrouve au même niveau qu'un romancier qui écrit une fiction. " L'homme quelconque qu'il est doit, pour capter le lecteur rétif, lui refiler sa vie réelle sous les espèces les plus prestigieuses d'une existence imaginaire ". C'est ainsi que Doubrovsky explique le glissement de l'autobiographie à l'autofiction. Ce terme s'applique donc à une catégorie d'autobiographie qui aurait dévié de son sens. La vérité se situerait entre le roman et l'autobiographie, entre une vie réelle et une autre imaginaire. 40 S.Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977. Dans un entretien accordé à Alex Hughes de l'Université de Birmingham41, Doubrovsky déclare vouloir créer un nouveau type d'autobiographie qui serait une sous-catégorie de l'originale, et dont il n'a fait qu'en inventer le nom; puisque, selon lui, il n'a pas été le premier au vingtième siècle à rompre avec l'autobiographie traditionnelle de Gide. Il donne plusieurs exemples d'auteurs dont celui de Colette, dans un livre intitulé La naissance du jour, paru en 1928 où on découvre le personnage d'une femme âgée nommée Colette. Colette se met en scène également dans les différents romans intitulés Claudine, comme le personnage d'un roman écrit par Colette sur Colette. Afin qu'il y ait autofiction : " Il faut qu'il y ait comme pour l'autobiographie selon la catégorisation de Philippe Lejeune, identité nominale entre le personnage, le narrateur et l'auteur."42 Pour Doubrovsky, il y a aussi dans l'autofiction un travail de séduction du lecteur. Mais d'où vient ce désir de séduction? Pourquoi l'auteur veut-il séduire son lecteur plutôt que de l'éduquer43 ? Il ajoute quant à cette relation écrivain/lecteur: "(...) Il y a donc, aussi, un aspect sadique de l'écriture, de mon écriture, parce que mes ennuis, mes angoisses et ma persécution, mes histoires, je te les refile. Il y a une certaine agressivité et, en même temps un certain masochisme. Il y a les deux à la fois parce que les coups que l'on donne d'une part, on les reçoit aussi. (...) alors le rapport écrivain/lecteur mon rapport au lecteur- est un rapport très complexe, c'est un rapport sadomasochiste. Il faut offrir beaucoup de soi-même et s'exposer à des réactions hostiles, mais en même temps c'est une sorte d'emprise que d'avoir une écriture qui joue sur les mots et tend donc à capter l'esprit de qui veut 41 Voir annexes. Op-cité. 43 L'écriture ayant parmi ses fonctions le rôle d'apprentissage, de formation du lecteur ( les oeuvres de J.J Rousseau au XVIII eme siècle). 42 bien se mettre en route dans cette écriture. Il n'y a pas de distance. Mon écriture n'est pas une écriture qui laisse au lecteur une distance par rapport au texte. Si c'est réussi, le lecteur doit se laisser emporter. (...)" Cette citation peut s'appliquer à bien des égards aux oeuvres de Romain Gary, leur auteur éprouve également, selon ses lectures, un besoin de séduction: Cela se traduit par ses différentes présences dans ses propres romans. Gary semble tester le public, voir si ce dernier est capable de le reconnaître à travers un personnage, un roman ou même un nom. Analysant La promesse de l'aube et La vie devant soi dans leur contexte autofictionnel, les oeuvre seraient plus tournée vers l'"auto" que vers la "fiction". Elles interpellent pourtant ce nouveau genre qui nous intéresse. Dans "Analyse et concept d'Autofiction" 44d'Ariane Kouroupakis et Laurence Werli, nous pouvons lire que ce qui caractérise l'analyse de l'autofiction propre à Doubrovsky dans son ensemble: c'est d'avoir élaboré une réflexion sur le statut théorique de son entreprise d'écriture de soi et à fortiori de recherche de soi sous le prisme de la psychanalyse. Pour Doubrovsky, il s'agit de mettre en pièce l'autobiographie, tout en gardant certains Topoi courants, pour se retrouver, se glorifier même, saisir à tâtons "sa" quintessence en utilisant les ressources de la fiction. Il s'agit de troquer sa vie pour des phrases et par là même, se rendre intéressant, peut-être aussi de se réhabiliter. L'écriture auto analytique de Doubrovsky serait un moyen de caractériser l'autofiction comme: " La mise en fonction d'un auto témoignage sur la fictivité de l'auteur." 44 Analyse du concept d'Autofiction. Par Ariane Kouroupakis et Laurence Werli. Université de Rennes II. Document Internet Sur la base de ces analyses, il s'avère que les romans de Gary auxquels nous faisons allusion ne fournissent ni les caractéristiques d'une autobiographie, ni celles de l'autofiction. Aussi, face a ce problème, comment réussir à classer une oeuvre comme La promesse de l'aube qui est présentée comme autobiographie, mais concentre sa part de fiction? Ou encore La vie devant soi, roman qui n'est pas présenté comme autobiographique mais qui est pourtant perçu comme autofictionnel? A ce sujet, Lejeune dira: " Pour que le lecteur envisage une narration apparemment autobiographique comme une fiction, comme une "autofiction", il faut qu'il perçoive l'histoire comme impossible ou incompatible avec une information qu'il possède déjà." 45 Et s'il faut, comme l'indique Doubrovsky ( reprenant les termes de Lejeune),qu'il y ait la même identité nominale entre le personnage, le narrateur et l'auteur; comment démontrer que La promesse de l'aube et La vie devant soi sont un roman autobiographique pour l'un et une autofiction pour l'autre? La première oeuvre est parsemée de fiction mais est pourtant présentée comme autobiographique. La seconde quant à elle, remplit toutes les conditions de l'autofiction mais ignore les indications nominales proposées par Doubrovsky et Lejeune. Dans son livre, intitulé Est-il je? Roman autobiographique et autofiction46 Philippe Gasparini rompt avec cette théorie de l'identité nominale qui unit l'auteur, le narrateur et le héros: "Pourquoi ne pas admette qu'il existe, outre les nom et prénom, toute une série d'opérateurs d'identification du héros avec l'auteur: leur âge, 45 Ph.Lejeune, Moi aussi, Seuil, coll "Poétique". Passage cité par Ph.Gasparini, Est-il je? Roman autobiographique et autofiction. P. 25. 46 Est-il je? Roman autobiographique et autofiction, Ph.Gasparini, Seuil, 2004. leur milieu socioculturel, leur profession, leurs aspirations, etc.? dans l'autofiction, comme dans le roman autobiographique, ces opérateurs sont utilisés à discrétion par l'auteur pour jouer la disjonction ou les confusions des instances narratives. (...)"47 Quand à la définition du propre de l'autofiction, il cite G.Genette: "(...) le pacte délibérément contradictoire propre à l'autofiction: " Moi, auteur, je vais vous raconter une histoire dont je suis le héros mais qui ne m'est jamais arrivée.""48 A partir de cette définition, Gasparini donne l'exemple du premier auteur à avoir, selon lui, véritablement utilisé le terme d'autofiction49: " Cette définition rejoint l'intuition initiale du véritable inventeur du terme, Jerzy Kosinski. Dans L'oiseau bariolé50, paru en 1965 aux EtatsUnis, celui-ci racontait, à la première personne, l'errance d'un gamin juif dans l'Europe orientale en guerre. Ce texte fut d'abord salué (...) comme un témoignage autobiographique de grande valeur. Kosinski s'empressa d'apporter un démenti à cette interprétation: il avait bien souffert, enfant, des persécutions antisémiques, mais cette histoire était imaginaire. Il nomma alors "autofiction" le travail littéraire qui lui avait permis de représenter, à partir de son expérience, l'itinéraire d'une victime anonyme de la sauvagerie humaine. L'erreur de réception, (...), provenait d'une insuffisance des marques de fiction. (...). Il a donc fallu que l'auteur rétablisse le texte dans son statut d'autobiographie fictive. "51 Cet exemple s'identifie au texte de La promesse de l'aube, où les indices fictionnels n'ont été remarqués que longtemps après le décès de l'auteur. Pour autant, la question se pose: Cette oeuvre est-elle une autofiction, une autobiographie fictive ou un roman autobiographique? 47 Ibid, p. 25. Ibid, p. 26. in Fiction et diction, G.Genette. 49 ce que refute Doubrovsky dans son interview en annexe du mémoire de Magister. 50 Jerzy Kosinski, Flammarion, 1966. 51 Est-il je? Op-cité, p. 26. 48 Même question pour La vie devant soi, récit problématique, d'autant que le nom de l'auteur ne correspond ni au nom de l'écrivain, ni à celui du héros. Ce ne sont que les indices référentiels à la vie du véritable auteur du roman (R.Gary) qui ont fait que nous croyons à la réalisation de l'autofiction. Le tableau52, réalisé par Gasparini, nous sert à démontrer que La promesse de l'aube est un roman autobiographique, tandis que La vie devant soi est une autofiction: Identité onomastique auteur narrateur héros Identité contractuelle ou fictionnelle (vraisemblanc e) Autobiographie (confessions) nécessaire nécessaire contractuelle Autobiographie fictive disjonction disjonction disjonction Autofiction (d'après Kosinski) (La vie devant soi) Facultative (pseudonyme: Emile Ajar) Nécessaire (l'âge, absence du père, Victor Hugo, Nice terre promise au bonheur) Fictionnelle (la non parenté entre Momo et Rosa) Roman autobiographiq ue (La promesse de l'aube) 52 Autres opérateurs d'identification Facultative (souvent partielle, parfois complète) (Roman Kacew, Romain Gary) Ibid, p. 27. Nécessaire (l'âge, Nice, Victor Hugo, absence du père) Ambiguë (indices contradictoire s) (le texte est emprunt de mythes) l-2-a- L'Histoire ré-écrite: La construction de l'histoire du sujet principal de La promesse de l'aube, à savoir Roman, correspond dans le contexte de cette oeuvre à de la productivité et non pas seulement à de la reproduction. L'auteur "ré- écrit", fait une nouvelle construction de sa biographie, en y insérant des éléments fictifs qui accentuent l'émotion. Ces éléments transformés ne vont plus correspondre à "l'image du réel" que suscite l'autobiographie telle que la définit Lejeune dans Le pacte autobiographique53. Concernant La promesse de l'aube, qui s'inscrit plus dans un courant postmoderne, nous nous intéresserons à la thèse d' Alfonso de Toro54, chercheur et analyste sur la nouvelle autobiographie postmoderne. Il se réfère à deux auteurs: Robbe-Grillet dans Le miroir qui revient 55et Serge Doubrovsky dans Le livre brisé56. Le point de départ de l'écriture de Robbe-Grillet est toujours sa conscience et son inconscient, la représentation des processus intérieurs du vécu. La restitution de perceptions est donc toujours en jeu, qu'il s'agisse de la façon dont elles se sont ancrées dans la mémoire ou de la manière dont elles se sont fixées dans l'omniprésence du langage. Pour Doubrovsky (cité par Alfonso de Toro), le langage et les actes sont totalement différents. Le souvenir, comme l'écriture n'a pas assez de puissance pour représenter le passé de façon vivante. Il effectue une différenciation subtile entre le fait, d'une Part, de "raconter", "d'écrire" une 53 Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, Editions du Seuil, Paris,1975, 1996. La nouvelle autobiographie postmoderne ou l'impossibilité d'une histoire à la première personne: Robbe-Grillet, Le miroir qui revient et de Doubrovsky, Le livre brisé. Document internet. 54 55 56 Le miroir qui revient, Alain Robbe-Grillet, Paris. Editions de Minuit, 1984. Le livre brisé, Serge Doubrovsky, Paris. Editions Grasset et Fasquelle, 1989. histoire (-d'une part-) et d'autre part, celui de (le fait de) "récrire" (d'autre part) : "Le passé, on peut le raconter, l'écrire. On ne peut pas le récrire". "Récrire" signifie dans ce cas rendre les événements passés conformes à la vérité. Doubrovsky reconnaît que l'autobiographie doit incorporer des structures excitant la curiosité, afin de retenir l'attention du lecteur. Le plot, la diégèse est donc aussi nécessaire à l'autobiographie, c'est pour cette raison que celle-ci est bien plus fictive, plus artificielle que le roman. "A cet égard, une autobiographie est encore plus truquée qu'un roman. Un roman, on peut concevoir qu'on l'invente à mesure, que l'auteur ignore ce qui va arriver au chapitre d'après. La suite au prochain numéro. Lorsqu'on relate son existence, la suite, par définition, on la connaît. Plus que du pseudo-imprévu, des attentes controuvées, des hasards fabriqués de toutes pièces. Même en voulant dire vrai, on écrit faux. On lit faux. Folie. Une vie réelle passée se présente comme une vie fictive future. Raconter sa vie, c'est toujours le monde à l'envers " 57 Selon Alfonso de Toro, La nouvelle autobiographie, devient de la sorte, un texte hybride qui ne forme plus de genre en soi, mais qui se trouve entre les genres. Cet état intermédiaire est constitué par la lutte consciente entre le "réel" et sa réalisation écrite, par l'élévation du processus d'écriture au rang de matériau constitutif de l'autobiographie. Les limites entre le "réel" et sa réalisation écrite (fiction) disparaissent, étant donné que l'écriture est une catégorie épistémologique à part entière qui ne se réfère qu'à elle-même et qui se place dans l'autoréférence du "vrai". Le récit à propos de soi-même fictionnalise le Moi, arrache le Moi au "réel". 57 Le livre brisé, p. 92. I- 3- Le Pseudonymat selon G. Genette: Dans son livre, Seuils58, paru en 1987, Gérard Genette situe le Pseudonymat parmi un ensemble plus vaste de pratiques consistant à ne pas inscrire en tête d'un livre le nom légal de son auteur. Les pratiques sont ainsi répertoriées : - L'Anonymat: absence de tout nom. - L'Apocryphe: l'attribution fallacieuse par son véritable auteur d'un texte a un autre auteur connu. Il donne l'exemple de La chasse spirituelle attribué en 1949 à Rimbaud par Nicolas Bataille et Akakia-Viala. - L'Apocryphe consenti: consiste pour un auteur qui ne souhaite pas être identifié à obtenir qu'un autre auteur veuille bien signer à sa place. - Le Plagiat: consiste a s'attribuer fallacieusement l'oeuvre d'un autre. - Le Plagiat consenti: exemple Dumas se faisant souvent aider par August Maquet un "Porte-plume". - La Supposition d'auteur: l'attribution d'une oeuvre par son auteur réel a un auteur imaginaire. - Le Pseudonymat: Variante de la supposition d'auteur; ce serait l'attribution d'une oeuvre par son auteur réel à un auteur imaginaire dont il ne produirait rigoureusement rien d'autre que le nom en l'absence de tout appareil para textuel qui sert à accréditer l'existence de l'auteur supposé. S'interrogeant sur les motifs du choix pseudonymique, Genette donne l'explication rustique qu'un auteur peut signer quelques oeuvres de son nom légal et d'autres d'un pseudonyme: Les oeuvres signées du pseudonyme seraient plus avouées, plus reconnues parce que l'auteur s'y reconnaîtrait luimême d'avantage. 58 Seuils, Gérard Genette, Grasset, Paris, 1987. Pour Genette, un auteur pourrait aussi bien reconnaître des oeuvres sérieuses et professionnelles tout en couvrant d'un pseudonyme des oeuvres romanesques et poétiques auxquelles il tient bien davantage. Il cite le cas Romain Gary/ Emile Ajar: "Ici et ailleurs, l'un des pseudonymes peut apparaître comme plus pseudo que l'autre et faire croire a l'authenticité de celui-ci; mais il commence à se savoir que "Gary" n'était pas plus authentique qu'"Ajar" ni que peut être un ou deux autres cas, car la pratique du pseudonyme est bien comme celle d'une drogue qui appelle vite a la multiplication, l'abus, voire l'overdose."59 Mais pourquoi donc Romain Gary voulait-il brouiller les pistes? C'est ce que nous tentons de développer. Gary explique, dans Vie et mort d'Emile Ajar, les raisons qui l'ont poussé à prendre le pseudonyme d'Ajar. Il y fait le réquisitoire de ses détracteurs et leur incapacité de deviner l'évidence même; que Gary est Ajar, que les textes ne le cachent pas, étant donné que les personnages proviennent dans leur majorité des romans de Romain Gary. "Je tiens a m'expliquer ne serait-ce que par gratitude envers mes lecteurs (...). Je citerai ici, tout de suite, un épisode, pour montrer_ et ce fut une des raisons de ma tentative, et aussi de ma réussite_ a quel point un écrivain peut être tenu prisonnier de "la gueule qu'on lui a faite"(...). Une gueule qui n'a aucun rapport ni avec son oeuvre, ni avec lui même."60 59 60 ibid, p.55. Vie et Mort d'Emile Ajar, op-cité, p.16. A la parution de Gros-câlin, Mme Noël, une amie, ayant vu le manuscrit en cours d'écriture au domicile de Gary, ne cessa de dire que l'écrivain en était l'auteur, en vain: "Seulement voila: Romain Gary était bien incapable d'avoir écrit cela. Ce fut ce qu'un brillant essayiste de la N.R.F déclara à Robert Gallimard. Et un autre, au même ami qui me fut cher: "Gary est un écrivain en fin de parcours. C'est impensable" J'étais un auteur classé, catalogué, acquis, ce qui dispensait les professionnels de se pencher vraiment sur mon oeuvre et de la connaître. Vous pensez bien, pour cela, il faudrait relire! Et encore quoi?" 61 Le pseudonyme est donc, un piège tendu aux critiques "professionnels" afin de tester leurs compétences et au sujet de laquelle Gary écrit avec ironie : "(...) je ne me suis pas trompé: aucun des critiques n'avait reconnu ma voix dans Gros-câlin. Pas un dans La vie devant soi. C'était pourtant, exactement la même sensibilité que dans Education Européenne, Le grand vestiaire, La promesse de l'aube, et souvent les mêmes phrases, les mêmes tournures, les mêmes humains.(...). Tout Ajar est dans Tulipe. Mais qui donc l'avait lu, parmi les "professionnels"? " 62 Gary rêvait d'un roman total et afin que le dédoublement soit parfait, il publie simultanément sous le nom de Romain Gary. "Ce rêve de roman total, personnage et auteur, dont j'ai longuement parlé dans mon essai Pour Sganarelle63, était enfin a ma portée. (...) le dédoublement était parfait. (...). Je triomphais de ma vieille horreur des limites (...)."64 Les critiques "professionnels" estimaient le style d'Ajar nouveau. L'un d'eux, du"Nouvel Observateur" désigne Raymond Queneau ou Louis 61 Vie et mort d'Emile Ajar, op-cité, p.17. Ibid., p.18. 63 Essai, Gallimard, 1965. 64 Vie et mort d'Emile Ajar,op-cité, p.30. 62 Aragon comme auteurs probables. Ce que Gary leur reprocha le plus, c'était leur aveuglement face à des oeuvres qui reprennent à plusieurs reprises des décors, des expressions et même des personnages des romans antérieurs de l'écrivain. Le lecteur de La vie devant soi et de La promesse de l'aube repère indubitablement l'intertextualité entre les deux oeuvres. Et c'est précisément ce que les critiques de l'époque n'ont pas été capables de voir. Pourtant, quelques uns ont eu plus de vivacité que d'autres. Jacqueline Piatier dans l'édition du "Monde" au 27 Septembre 1974 eut une intuition en rapprochant Ajar de Gary: "Le manuscrit est arrivé par la poste d'Amérique de Sud sous un pseudonyme: Emile Ajar. L'éditeur affirme n'avoir jamais rencontré l'auteur, qui vit hors de France et dont il sait seulement qu'il est né a Oran en 1940, (...). Cet incognito et la qualité du livre ont échauffé les cervelles dans les salles de rédaction, où l'on se plait à forger un mystère autour d'Emile Ajar. Au printemps dernier, n'y a-t-il pas eu la farce de Romain Gary signant Shatan Bogat Les têtes de Stéphanie? Le Mercure de France dément formellement ces bruits."65 Christine Arnothy y voit aussi une belle supercherie, elle y détecte même les origines russes de l'auteur et écrit avec une certaine ironie dans "Le parisien" du 29 Octobre 1974: " Ajar, ce pseudonyme qui évoque une efficace poudre à récurer, vous fera en tout cas frémir de terreur et de plaisir. Ajar, cet "Oranais" à l'humour tchèque et à l'angoisse Russe, décrit Paris, par petites touches, comme on ne l'a jamais fait. D'une manière déchirante, hallucinante. C'est peut-être l'effet de chaleur d'Amérique du Sud!" 65 Myriam Anissimov, op-cité, p.524. On se doutait bien qu'un grand auteur se cachait derrière ces romans fins et subtils. Qui à part Queneau ou Aragon, auteurs vivants, étaient capables d'autant de qualité littéraire? Evidement, personne ne pensait que Gary, auteur en fin de carrière en serait à l'origine. Une rumeur allait naître lorsque Pavlowich commença à apparaître dans des interviews données à des critiques. Une journaliste Suédoise aurait découvert qu'Ajar était en réalité Romain Gary. Gary nia en bloc, affirmant que les similitudes existant entre les livres de Pavlowich et les siens résultaient de l'influence qu'il exerçait lui-même sur son neveu. Lorsqu' Ajar obtint le prix Goncourt pour La vie devant soi, Gary, l'obtenait en réalité pour la seconde fois66. Il était interrogé par France-Soir sur ce qu'il pensait du livre récompensé: "J'avais aimé Gros Câlin, mais je n'ai pas encore lu La vie devant soi. Je ne crois pas que son auteur continuera à préserver longtemps son anonymat."67 Quatre jours après l'obtention du prix Goncourt pour La vie devant soi, Ajar allait le refuser. Ainsi, c'était la seule façon pour lui de retourner à la vie qu'il avait choisie, car en fait, il n'avait jamais demandé à être parmi les candidats du prix. M.Anissimov cite une déclaration d'Hervé Bazin, alors président de l'académie Goncourt: "L'académie vote pour un livre, non pour un candidat. Le prix Goncourt ne peut ni s'accepter ni se refuser, pas plus que la naissance ou la mort. M. Ajar reste couronné, il est tout a fait libre de ne pas utiliser la bande"Prix Goncourt"."68 66 L'auteur a obtenu un premier prix Goncourt pour Les racines du ciel en 1956. 67 Romain Gary, le Caméléon, op-cité, p.555. Ibid., p.559. 68 I-4- L'Intertextualité: Les oeuvres de Romain Gary /Emile Ajar auxquelles nous allons nous intéresser comportent une grande part d'intertextualité. Ce concept s'inscrit dans un contexte d'écriture dialogique qu'il faut définir. En nous référant aux analyses des théoriciens qui se sont intéressés au dialogisme et à la notion d'hypertextualité, nous allons tenter de définir la part d'intertexte à laquelle appartient La promesse de L'aube et La vie devant soi. "En octobre 198069 ( numéro 215 de la revue de La pensée sur le thème "Approches actuelles de la littérature"), un important article de Michel Riffaterre, " La trace de l'intertexte", fixe à l'"intertextualité" des limites et des fonctions nouvelles. " L'intertextualité est la perception par le lecteur des rapports, entre une oeuvre et d'autres, qui l'ont précédée ou suivie. Ces autres textes constituent l'intertexte de la première." En cherchant à donner " une définition plus précise de l'intertexte". Riffaterre offre le postulat suivant: " Je crois (...) que les fluctuations de l'intertexte ne relèvent pas du hasard, mais de structures (...) qui ramènent toutes à un invariant." L'intertexte manifeste au lecteur sa présence par une " constante formelle qui joue le rôle impératif de lecture... cette trace de l'intertexte peut être lexicale, syntaxique, sémantique, toujours elle est sentie comme la déformation d'une norme ou une incompatibilité par rapport au contexte." "C'est dire que, dans tel ou tel texte(...), apparaissent des "traces" qui, par leur caractère apparemment a-sémantique ou agrammatical, provoquent un arrêt de lecture sur une "énigme", dont la solution oblige à quitter le texte d'insertion pour explorer d'autres textes, ailleurs situés, qui serviront d'interprétants. 69 In Dialogisme et analyse du discours, Mikhail Bakhtine, par Jean Peytard, ed. Bertrad-Lacoste, Paris, 1995. p. 115. C'est moins l'entrecroisement dans un texte de textes variés venus d'ailleurs qu'un indice énigmatique qui constitue le jeu/travail de l'intertextualité. L'indice est le déclencheur d'une lecture exploratoir...

« Remerciements: Ce travail n'aurait pu être accompli sans l'aide généreuse de ma dire ctrice de recherche, le Docteur Nedjma Benachour.

Je la remercie pour tout le temps qu'elle m'a accordée ainsi que pour l'aide morale et scientifique qu'elle a apportée tout au long d'une recherche semée d'embûches.

Je demande à l'honorable jury son indulgence pour le modeste travail que je présente et les remercie des efforts qu'ils auront fourni à le lire. Je remercie aussi vivement tous les professeurs et enseignants qui m' ont suivie tout au long de ma formation en graduation, puis, en post- graduation au sein de l'Université Mentouri.

J'ai pour les enseignants Nedjma Benachour, Djamel Ali khoudja et Kamel Abdou une gratitude particulière, car c'est à travers leurs cours et leurs motivations dans le dur métier de l'enseignement que j'ai décidé de suivre le parcours qui m'a mené jusqu'ici. Je remercie également ma famille, en particulier ma mère, mon frè re, mes grands parents, mes oncles, mes tantes et mes cousins d'ici et d'aille urs, qui ont malgré eux aidé à l'élaboration de ce mémoire de Magister.

Enfin, un grand merci à mes amis qui ont su me pousser, m'encourager souvent même m'aider à continuer lorsque le courage me manquait.

A tous ceux-là, sans oublier feu mon père, je dédie, mon mémoire de Magister et ma modeste collaboration dans la recherche scientifique.. »

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