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La méthode dialectique

Publié le 24/03/2015

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« Il semble que ce soit la bonne méthode de commencer par le réel et le concret, qui constituent la condition préalable effective, donc en économie politique, par exemple, la population qui est la base et le sujet de l'acte social de production tout entier. Cependant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que c'est là une erreur. La population est une abstraction si l'on néglige par exemple les classes dont elle se compose. Ces classes sont à leur tour un mot creux si l'on ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital, etc. Ceux-ci supposent l'échange, la division du travail, les prix, etc. Si donc on commençait ainsi par la population, on aurait une représentation chaotique du tout et, par une détermination plus précise, par l'analyse, on aboutirait à des concepts de plus en plus simples ; du concret figuré on passerait à des abstractions de plus en plus minces, jusqu'à ce que l'on soit arrivé aux déterminations les plus simples. Partant de là il faudrait refaire le chemin à rebours jusqu'à ce qu'enfin on arrive de nouveau à la population, mais celle-ci ne serait pas, cette fois, la représentation chaotique d'un tout, mais une riche totalité de déterminations et de rapports nombreux. La première voie est celle qu'a prise historiquement l'économie politique lors de sa naissance. Les économistes du XVIle siècle commencent toujours par une totalité vivante : population, nation, État, plusieurs États ; mais ils finissent toujours par dégager par l'analyse quelques rapports généraux abstraits et déterminants tels que la division du travail, l'argent, la valeur, etc. Dès que ces facteurs isolés ont été plus ou moins fixés et abstraits, les systèmes économiques ont commencé, qui partent des notions simples telles que travail, division du travail, besoin, valeur d'échange, pour s'élever jusqu'à l'État, les échanges entre nations et le marché mondial. Cette dernière méthode est manifestement la méthode scientifique correcte. Le concret est concret parce qu'il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C'est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu'il soit le véritable point de départ, et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation. La première démarche a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite ; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. C'est pourquoi Hegel est tombé dans l'illusion de concevoir le réel comme le résultat de la pensée, qui se concentre en elle-même, s'approfondit en elle-même, se meut par elle-même, alors que la méthode qui consiste à s'élever de l'abstrait au concret n'est pour la pensée que la manière de s'approprier le concret, de le reproduire sous la forme d'un concret pensé. Mais ce n'est nullement là le procès de la genèse du concret lui-même. [...] Pour la conscience — et la conscience philosophique est ainsi faite — la pensée qui conçoit est l'homme réel et, par suite, seul le monde conçu est le

réel ; aussi le mouvement des catégories lui apparaît-il comme l'acte de production réel — qui ne reçoit malheureusement du dehors qu'une impulsion — dont le résultat est le monde ; et ceci (là encore, il s'agit d'une tautologie) est exact, dans la mesure où la totalité concrète, en tant que totalité de pensée, que concret pensé, est de fait un produit de la pensée, de l'acte de concevoir ; mais il n'est pour autant en rien un produit du concept qui s'engendrerait lui-même en dehors ou au-dessus de l'intuition et de la représentation, c'est le produit d'un traitement de l'intuition et de sa représentation au moyen de concepts. Le tout, tel qu'il apparaît dans l'esprit, est un produit du cerveau pensant qui s'approprie le monde de la seule façon qui lui soit possible, une façon qui diffère de l'appropriation de ce monde par l'art, la religion, l'esprit pratique. Après comme avant, le sujet réel subsiste dans son indépendance en dehors du cerveau, et ce aussi longtemps que ce dernier n'a qu'une activité spéculative, théorique. La méthode théorique elle aussi doit donc conserver présente à l'esprit le sujet, la société, qui est toujours le présupposé de la représentation. «

Introduction à la critique de l'économie politique (1857),

 

trad. fr., Éditions Sociales, 1972, pp. 164-1661.

« Textes commentés 51 réel ; aussi le mouvement des catégories lui apparaît-il comme l'acte de production réel -qui ne reçoit malheureusement du dehors qu'une impulsion -dont le résultat est le monde ; et ceci (là encore, il s'agit d'une tautologie) est exact, dans la mesure où la totalité concrète, en tant que totalité de pensée, que concret pensé, est de fait un produit de la pensée, de l'acte de concevoir ; mais il n'est pour autant en rien un produit du concept qui s'engendrerait lui-même en dehors ou au-dessus de l'intuition et de la représentation, c'est le produit d'un traitement de l'intuition et de sa représentation au moyen de concepts.

Le tout, tel qu'il apparaît dans l'esprit, est un produit du cerveau pensant qui s'approprie le monde de la seule façon qui lui soit possible, une façon qui diffère de l'appropriation de ce monde par l'art, la religion, l'esprit pratique.

Après comme avant, le sujet réel subsiste dans son indépendance en dehors du cerveau, et ce aussi longtemps que ce dernier n'a qu'une activité spéculative, théorique.

La méthode théorique elle aussi doit donc conserver présente à l'esprit le sujet, la société, qui est toujours le présupposé de la représentation.

» Introduction à la critique de l'économie politique ( 1857), trad.

fr.,© Éditions Sociales, 1972, pp.

164-166'.

L'introduction de 1857 associe une réflexion épistémologique critique sur l'économie politique à une clarification du rapport à Hegel.

Elle insiste sur la nécessité d'une totalisation pour la connaissance du concret.

Or, ce moment de la totalité est hérité de Hegel.

Le concret n'est pas un donné empirique qui se livrerait immédiatement à la théorie, Marx raisonne au fond comme Kant en soulignant la participation active de l'esprit à la construction du « donné » - même si par ailleurs il se distingue de Kant en n'attribuant pas à l'activité de la pensée la qualité transcendantale d'une structure intemporelle de l'esprit humain car les cadres et les catégories au moyen desquels les intuitions sensibles sont saisies et conçues se forment et évoluent eux-mêmes dans l'histoire.

L'introduction dénonce le « concret » dont prétend partir la pensée empirique comme étant une abstraction recouvrant une complexité toujours plus grande que cette pensée ne le reconnaît.

Face à cette complexité la raison classique, celle que Max Horkheimer appellera la « théorie traditionnelle2 », adopte la méthode que Descartes expose dans les quatre règles du Discours de la méthode:« Le premier [précepte] était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle.

[ ...

] Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

Le troisième, de conduire par 1 ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusque à la 1.

Traduction revue.

2.

Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard 1974, pp.

16 sq.. »

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