Raison et mystique

• Raison et mystique

L'exercice de la raison n'est pas seulement à l'origine de nos vérités : il peut être aussi à l'origine de nos erreurs, qui ne viennent pas toutes de la pré¬vention et de la précipitation. La sensibilité n'est pas en nous la seule facul¬té qui nous fasse trébucher, et elle n'est pas la seule qui nous fasse aspirer. La raison même a ses mystères que la raison ne peut dissiper. C'est ici que la religion vient la rejoindre. La religion n'est peut-être que l'effort éternel et impuissant de l'âme pour éclaircir en elle une obscurité immanente et pour se convertir en pure lumière. Cet effort, dans la religion, est• esprit, et c'est ce que nous appelons son esprit. Qu'il y ait une pensée inhérente à la mys¬tique, même la plus élémentaire, c'est ce qu'on comprendrait sans doute plus facilement, si l'on savait d'abord apercevoir qu'il y a une mystique inhérente à toute raison, même la plus savante ou la plus technique [...]. La raison est natu¬rellement mystique, ou plutôt — ce qui est l'expression de ce caractère dans cette faculté — mythogénique [...]. Le développement progressif de l'esprit humain se ramène au succès progressif de son effort pour élucider ses propres mythes en leur donnant une consistance, c'est-à-dire un objet positif. Mais une évolution même progressive est loin d'être nécessairement prédéterminée ; au contraire, nul être ne devient, dans l'ordre de la vie, ce qu'il sera, et même peut-être ce qu'il est déjà à moitié, qu'à contre-coeur.

M. Pradines, L'Esprit de la religion, Préface, Aubier-Montaigne, 1946.